Par Eric Ruder
Le mouvement Occupy, le lundi 12 décembre 2012, organise la solidarité avec les dockers dans les principales villes de la côte Ouest des Etats-Unis, de San Diego à Los Angeles, en passant par Oakland, Portland, Tacoma, Seattle, Vancouver et Anchorage. Le «modèle» pour cette action visant à mobiliser largement contre la politique anti-syndicale des employeurs réside dans l’action de masse conduite à Oakland le 2 novembre. Dans ce sens, pour assurer la continuité d’une information sur ce thème, nous pensons utile de mettre à la disposition de nos lecteurs et lectrices une analyse de l’action du 2 novembre à Oakland. (Rédaction de A l’Encontre)
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Les rues de Oakland, en Californie, ont retenti des voix de dizaines de milliers de personnes déterminées à se faire entendre le 2 novembre 2011 alors que des travailleurs, des étudiants, des militants et des personnes de tous âges répondaient à l’appel pour une grève générale lancé par le mouvement Occupy Oakland.
La détermination du mouvement à Oakland s’est reflétée dans des milliers d’autres mouvements aux Etats-Unis qui ont participé à une journée nationale d’action solidaire, une semaine après l’assaut brutal de la police qui a transformé le centre-ville de Oakland à ce qui ressemblait à une zone de guerre et qui a presque ôté la vie à Scott Olsen, un manifestant qui a été frappé à la tête par une bombe lacrymogène.
Des gens de la zone de Bay Area ont répondu à l’appel de Occupy Oakland à une grève générale: les enseignants ne sont pas allés au travail, des étudiants ont quitté leurs classes et les fonctionnaires ont pris congé pour rejoindre les manifestants.
Le point culminant est venu en fin d’après-midi avec une marche massive depuis le campement du mouvement Occupy à la place Frank Ogawa – qui a été rebaptisée Place Oscar Grant [d’après un Noir désarmé abattu par la police en 2009] – devant l’hôtel de ville, jusqu’au Port de Oakland, le cinquième en importance du pays. L’équipe de nuit a été bloquée par la manifestation lorsque les dockers ont refusé de traverser les «lignes» établies par des piquets de grève qui rassemblaient quelque 15’000 personnes.
«Il y a longtemps que cela devait arriver», a expliqué James Curtis, un membre dirigeant du International Longshore and Warehouse Union (Syndicat international des dockers et des magasiniers – ILWU), Local 10: «Maintenant, ils ont réveillé le tigre dormant.»
La grève a suscité une solidarité qui s’est manifestée sous différentes formes, un peu partout dans la ville. Les bâtiments de l’école publique d’Oakland ont été les points de départ pour les marches des étudiants, des enseignants et des parents. Ces défilés se dirigeaient vers la direction de l’Education de Oakland, ainsi que vers plusieurs banques et vers l’Hôtel de ville. Une marche de 700 personnes en provenance du Laney Community College a entraîné la fermeture d’une banque de Wells Fargo. Des centaines de fonctionnaires du syndicat Service Employees Union (Union internationale des employés des services – SEIU), Local 1021, ont participé au rassemblement.
De nombreux enseignants des lycées, des collèges de quartier et de l’Université de Californie (UC) ont tenu des “teach-ins” (forums d’éducation) sur l’économie et sur les 99%; et le syndicat des étudiants post-gradués de l’UC – UAW Local 2865 – a demandé à ses membres d’utiliser les classes pour donner une formation sur les coupes budgétaires.
Les rues d’Oakland ont pris un air de fête. D’après les estimations des militants, sur l’ensemble de la journée quelque 20’000 personnes se sont mobilisées vers la Place Oscar Grant, où avait eu lieu l’affrontement, la semaine précédente, lorsque les policiers ont chargé les manifestants de Occupy qui avaient été évincés de la place à l’aube.
Plus de 100 personnes avaient été arrêtées le 25 octobre. Et la police avait utilisé du gaz lacrymogène, des grenades paralysantes, des balles en caoutchouc contre les manifestants. Une des victimes était Scott Olsen, un vétéran de la guerre contre l’Irak, qui a été frappé par une bombe lacrymogène. Une semaine plus tard, il était encore à l’hôpital avec une fracture du crâne et une lésion au cerveau.
Mais le 2 novembre 2011, la scène à la place Oscar Grant avait une apparence très différente. Des personnes de Bay Area sont venues depuis le site central de Occupy pour y participer aux activités avant de rejoindre d’autres actions de protestation dans la ville. Ces dernières mettaient en évidence une série de questions comme les saisies de maisons, les fermetures d’écoles, les attaques contre les syndicats et les coupes dans les services municipaux.
Betty Olsen-Jones, présidente de l’association Oakland Education, résume ainsi la situation: «Nous sommes réduits à voir nos enfants pris dans une voie sans espoir d’emplois ou sans perspective sérieuse de travail (…). Nous devons faire face à des classes avec des élèves de plus en plus nombreux et nous sommes obligés de respecter un curriculum imposé depuis en haut; nos jeunes savent que le système considère les banques comme étant plus importantes qu’eux. Il est important que nos étudiants voient que les enseignants se battent pour leurs droits. Aujourd’hui nous faisons l’histoire. Nous voulons un monde où il n’y ait pas de division entre les 99% et le 1%.»
Dana Blanchard, une enseignante à Berkeley, était la porte-parole officielle pour la Fédération des enseignants de Berkeley pour la journée d’action. Elle explique: «Les enseignants et les étudiants en ont assez. Aujourd’hui nous montrons ce que peut être une riposte unie de la communauté.»
Parmi les participants à la journée d’action il y avait également une délégation assez importante de vétérans des guerres en Irak et en Afghanistan, venus exprimer leur solidarité avec Scott Olsen.
Le Conseil syndical du comté de Alameda a appelé ses membres et son personnel à soutenir la journée d’action du 2 novembre. Le soir, il a organisé un monstre barbecue à la Place Oscar Grant pour nourrir les milliers de personnes qui se rendaient au centre ville après la fin de leur travail. Pendant ce temps les membres du syndicat des Teamsters (conducteurs, routiers, etc.), Local 70, parquaient leur énorme camion – à 18 roues – richement peint au milieu de la place.
En fin d’après-midi, plusieurs vagues de manifestants ont convergé pour une marche vers le port de Oakland, le principal atout économique de la ville, dans l’intention de former un piquet de masse pour bloquer les installations.
A 16 heures un cortège de 2000 personnes s’est ébranlé vers le port, suivi à 17 heures par un autre cortège de 4000 participants. Le groupe Earth Amplified et la chanteuse Jennifer Johns ont accompagné leur départ avec une sérénade intitulée: We Are Worldwide. Quelques minutes plus tard une délégation regroupant des travailleurs du syndicat UNITE HERE, de la Coalition de Syndicalistes noirs, des United Food and Commercial Workers (Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce), Local 5, le SEIU Local 1021 et d’autres, a pris le chemin des installations portuaires.
Des manifestants sont arrivés face à l’énorme complexe portuaire et se sont répartis les différentes entrées. Occupy San Francisco en a pris une et les activistes de Oakland se sont répartis les autres. Au moment où était prévu le changement d’équipes de 19 heures, des milliers de manifestants occupait chacune des entrées principales.
Après plusieurs heures de piquet, le médiateur du port a pris la décision de fermer pour la nuit les installations portuaires de Oakland. Les manifestants en liesse ont célébré la victoire de la grève générale et la plupart d’entre eux sont retournés au centre-ville vers la Place Oscar Grant, où les rues retentissaient de musique, de chants et de débats animés.
En contraste frappant avec l’assaut brutal de la semaine précédente, le Département de police de Oakland (OPD) est resté pratiquement invisible le 2 novembre, aussi bien lors des manifestations de la journée que lors de la marche vers le port et les célébrations du soir.
Le maire de Oakland, Jean Quan et d’autres fonctionnaires de l’administration sont restés en retrait depuis l’attaque de la police la semaine précédente. Ils ont certainement subi des pressions pour que la police se conduise de manière irréprochable pour tenter de regagner des bribes de légitimité.
Mais d’après les manifestants, les flics espéraient également une ouverture pour pouvoir réaffirmer leur autorité. Il est possible qu’ils aient adopté une approche de non-intervention pour tenter de démontrer que sans eux le «chaos» s’installerait. Les événements de la journée se sont cependant pour la plupart déroulés de manière paisible, ordonnée et festive.
Todd Chrétien, un membre de l’International Socialist Organization, a expliqué: «La tentative des OPD d’apparaître comme des victimes faisant partie des 99% est contredite par sa longue histoire de violence raciste et de répression des protestations (…). L’année dernière le maire Quan était dans la rue avec des protestataires Oscar Grant contre l’OPD, mais maintenant elle essaie de jouer des deux côtés de la barrière.»
Quoi qu’il en soit, ni la police, ni les administrateurs de la ville, ni l’establishment économique de Oakland n’ont pu arrêter la manifestation de défi dans les rues et aux portes du port de Oakland.
Jack Heyman, un docker retraité et un militant de ILWU, Local 10, a expliqué à la radio locale de Fresno: «Oakland est le moteur économique de toute la zone de Bay Area. Des milliers marchent vers le port qui est contrôlé par le 1%, des gros capitalistes. Les marches vers le port pour obtenir sa fermeture montrent non seulement à Oakland mais au monde entier le pouvoir de la classe travailleuse.»
Heyman a remercié les jeunes dockers qui ne se sont pas rendus à leur travail le matin du 2 novembre, gênant ainsi les opérations portuaires depuis le matin. «Je salue les jeunes gens qui ont refusé de se rendre à leur travail ce matin. C’est grâce à eux que les propriétaires de navires ont eu beaucoup de peine à réunir des équipes de dockers.»
La crainte d’une grève de travailleurs et d’une journée de protestation de masse a suffi à pousser beaucoup d’entreprises à fermer leurs portes pour la journée, ce qui a encore augmenté le nombre de personnes dans la rue.
Gregory Belvin, un étudiant de 17 ans du lycée de Skyline déclarait: «Les gens se joignent à ce mouvement à un niveau national, et maintenant il apparaît comme plus légitime. Puisque nous faisons partie des 99% nous devons aussi dénoncer les Three Strikes Laws [lois prévoyant que toute personne étant condamnée à trois reprises pour des crimes ou délits se voie automatiquement condamnée à un minimum de vingt-cinq ans d’emprisonnement] et les lois imposant des peines de prison obligatoires. Il y a une guerre contre les jeunes, toute une génération de jeunes de couleur a été perdue aux prisons. Si nous pouvons récupérer ces gens, ils pourront aider à faire un monde meilleur.»
Powell DeGrange, un résident de Oakland, âgé de 26 ans, a exprimé sa joie de pouvoir participer à un mouvement global: «Nous sommes excités de voir que des gens en Egypte ont marché en solidarité avec Oakland. Nous les avons soutenus, et maintenant c’est eux qui nous soutiennent. Nous faisons partie d’un mouvement à échelle mondiale contre la même cupidité et le même impérialisme.» (Traduction A l’Encontre)
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Cet article a été publié sur le site socialistworker.org. en date du 3 novembre 2011.
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