Depuis ses calomnies racistes contre les immigrants jusqu’à sa célébration des cadeaux offerts aux riches par les républicains, la première allocution [le 30 janvier] de Donald Trump sur l’état de l’Union était faite pour plaire à sa base conservatrice – et elle constituait une insulte calculée aux millions de personnes qui s’opposent à lui et à son programme. Après le discours, l’éditeur de SocialistWorker.org Alan Maass a donné la réponse socialiste via Facebook Live. Nous en publions ici la version éditée.
Donald Trump prononce sa première allocution sur l’état de l’Union
Ce qui sort de la bouche de Donald Trump est TOUJOURS imprévisible, ce qui est logique lorsqu’on a un président merdique [allusion à sa caractérisation des pays et peuples de merde].
On ne sait jamais quand il va sortir une affirmation tellement sectaire et haineuse que même les réactionnaires républicains sont obligés de s’en distancer. Mais à en juger par la réaction des républicains au Capitole ce soir, il semble que Trump se soit montré juste assez sectaire et haineux pour qu’ils puissent l’applaudir et sourire à tous ses propos.
Au moins au début du discours, Trump essayait de projeter l’image qui était la sienne pendant la campagne présidentielle et par moments pendant sa présidence, en s’affichant comme un défenseur des gens ordinaires. Mais, en réalité, il a agi comme lui-même et les membres de sa classe savent si bien le faire: il s’est s’attribué le mérite de choses accomplies par d’autres – des choses qu’en réalité il comprend à peine.
Et en attendant, nous sommes censés lui être reconnaissants – à lui en particulier et plus généralement à tous les républicains – pour des mesures politiques qui profitent presque uniquement et avant tout à lui-même et à ses compatriotes millionnaires.
Mais ne vous en faites pas. Comme Trump nous l’a dit, on peut rêver d’absolument tout.
On peut rêver n’importe quoi. À moins, bien sûr, que vous ne soyez l’un de ceux qu’on appelle les DREAMers [litt. rêveurs, soit les centaines de milliers de migrant·e·s qui risquent de voir le droit de rester aux Etats-Unis], alors il ne vous reste qu’à retourner dans un pays que vous ne connaissez pas. En effet, à en croire ce que nous avons entendu ce soir, les jeunes immigrants sont particulièrement déterminés à commettre des meurtres et des méfaits aux États-Unis, et il faut donc qu’ils retournent aux pays qu’ils ont quitté comme enfants.
Ils n’ont qu’à y retourner avec leurs parents, qui peuvent eux aussi rêver de tout – sauf du droit à une vie meilleure pour eux-mêmes et pour leur famille – simplement parce qu’ils n’ont pas le bon passeport qui leur permettrait d’avoir ce rêve-là.
Pour eux la nouvelle great America est un peu différente.
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Traditionnellement, lors de ces discours sur l’état de l’Union, les républicains et démocrates tentent d’envoyer des messages politiques par l’intermédiaire des convives qu’ils invitent.
C’est ce qui m’a amené à me demander qui nous inviterions dans un état de l’Union socialiste. On pourrait y inviter Jean Montrevil [voir article à ce sujet de Barry Shepard publié sur ce site en date du 2 février 2018], un activiste de New York et défenseur des immigrants.
Mais c’est impossible, car plus tôt ce mois, Jean a été arrêté à côté de son domicile dans le Queens, mis en garde à vue et, quelques jours plus tard, expulsé vers Haïti, un pays où il n’a pas mis les pieds depuis 30 ans.
Jean est arrivé aux États-Unis en 1986 avec une carte verte et un statut légal. Mais le ICE (Immigration and Customs Enforcement – Contrôle de l’immigration et des douanes) a maintenant le pouvoir de l’expulser sur la base d’une condamnation pour possession de drogue lorsqu’il était mineur, des faits qui remontent à plusieurs décennies.
Je trouve cette hypocrisie particulièrement difficile à supporter ce soir après avoir vu Trump, qui a commis des crimes réels – et bien pires à tout point de vue – tout au long de sa vie, et des crimes encore plus odieux depuis qu’il est président. Et pourtant il peut diffamer et calomnier des êtres humains honnêtes, tels que Jean Montrevil.
L’histoire de la déportation de Jean est terrible, mais c’est une histoire qui nous devient familière aujourd’hui, un an après la montée au pouvoir de Trump. La terreur qu’a ressentie Jean lorsqu’il était enlevé de chez lui, jeté derrière les barreaux, envoyé dans un pays où il pourrait subir la violence et la mort – est une terreur que partagent littéralement des millions de personnes dans cette Amérique devenue récemment plus «great».
Par exemple, ces pères de Highland Park [arrondissement de quelque 14’000 habitants], dans le New Jersey, qui sont soi-disant tellement dangereux que pour les arrêter et entamer des procédures d’expulsion les agents de l’ICE les attendent lorsqu’ils viennent déposer leurs enfants à l’école ou les emmènent lorsqu’ils attendent à un arrêt d’autobus.
Le révérend Seth Kaper-Dale, pasteur à Highland Park, a évoqué une nuit où 35 pères ont été enlevés par l’ICE du même complexe d’appartements : «Cette nuit-là, j’ai eu 60 enfants devenus orphelins ou qui ont perdu leur père», déplore-t-il.
Au sujet de Jean Montrevil il faut ajouter qu’il est un activiste, il est cofondateur de la New Sanctuary Coalition (Coalition pour le Nouveau Sanctuaire), qui accompagne avec des bénévoles les immigrants risquant l’expulsion lorsqu’ils se rendent aux bureaux d’enregistrement de l’ICE ou les aide à faire les recours légaux. Son son ex-épouse Janay Cauthen, a déclaré à l’équipe de Socialist Worker avec qui elle a écrit un article:
«Jean a été pris pour cible parce qu’il dit ce qu’il pense».
Cette expérience d’être devenu une cible à cause de son activisme politique, Jean la partage avec les huit militants de No More Deaths, une coalition d’activistes en Arizona, qui ont été accusés de crimes fédéraux en raison de leurs efforts pour sauver les migrants qui traversent la frontière entre les États-Unis et le Mexique.
Ces accusations ont été annoncées une semaine après que No More Deaths a publié un rapport révélant comment les agents de la patrouille frontalière avaient saboté les conteneurs d’eau et autres provisions que le groupe laisse sur les sentiers du désert pour aider les migrants à survivre lors du voyage.
Dans une société juste, ce seraient ces agents qui seraient mis en détention et jugés. Mais leurs crimes – car ce sont effectivement des crimes – sont légaux, tout comme le sont ceux de leurs supérieurs à la Maison-Blanche.
Autre exemple: tout au long de l’année jusqu’à ce jour, l’administration Trump a commis le crime de garder 800’000 jeunes immigrants en otage, aussi sûrement que si elle les menaçait avec une arme.
La proposition de la Maison-Blanche que nous avons entendue ce soir concernant un «compromis équitable» en matière d’immigration consisterait à étendre les protections du programme Deferred Action for Childhood Arrivals – DACA (Action différée pour les personnes arrivées comme enfants) à ce groupe d’immigrants, tout en les bloquant dans les limbes pendant 12 ans. Et encore, uniquement si le Congrès accepte de restreindre radicalement toute immigration légale et d’abolir le programme le «diversity visa program» [tirage au sort pour obtenir le droit de résidence] qui offre une petite ouverture aux personnes des pays non européens et non-blancs que Trump qualifie volontiers des «shitholes». Et bien sûr s’il accepte la construction un imposant mur le long de la frontière avec le Mexique.
Le DREAMer Juan Escalante a, à juste titre, appelé cela une «prise en otage raciste». «En effet, ce gouvernement se sert cyniquement de nos vies et de notre avenir comme levier pour obtenir tout ce qu’il veut du Congrès».
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Voilà quelques ajouts récents à la liste de crimes de Washington. Mais ici, à «l’état socialiste de l’Union», il nous faut ajouter que cette liste ne concerne pas que la Maison-Blanche et le Parti républicain. Les dirigeants du Parti démocrate devraient au moins être inculpés pour complicité suite à leur capitulation, le mois dernier, face à l’extorsion de Trump.
Lorsque Trump a annoncé que le programme DACA serait supprimé d’ici le mois de mars, les démocrates ont promis de se battre pour un vote «net» sur la préservation des protections du programme DACA pour une minorité de sans-papiers.
C’était loin d’être une position radicale ou exigeante. Mais quand les démocrates au Sénat ont eu l’occasion de faire pression pour un vote en faveur du DACA, ils ont capitulé.
Trois jours après le shutdown fédéral, les démocrates ont cédé et ont accepté un texte assurant provisoirement le financement de l’Etat contre une vague promesse que les républicains pourraient, un jour, adopter une loi sur l’immigration. Même le New York Times, qui est beaucoup plus poli que le Socialist Worker, a dit qu’il s’agissait d’une trahison par rapport aux DREAMers.
Ce fiasco illustre parfaitement la dynamique que nous connaissons depuis bien des années avant l’arrivée de Donald Trump à Washington: les démocrates acceptent toutes les concessions et tous les compromis, ce qui fait que les républicains et la droite s’en tirent à bon compte.
Actuellement, la grande majorité des gens aux États-Unis sont en faveur du maintien du programme du DACA. Mais plutôt que de donner corps à cet état d’esprit sous forme de protestations ou d’actions politiques, les démocrates acceptent cette prise d’otage raciste; ils s’inclinent devant des mesures encore plus extrémistes de la part des anti-immigrants, en espérant en contrepartie une version édulcorée du DACA.
Il ne s’agit pas seulement d’une erreur tactique ou de manque de volonté. En réalité, les démocrates sont non seulement des complices de ces crimes républicains: ils constituent l’aile liberal (progressiste) d’un système bipartite et en sont par conséquent également coupables, même si leur stratégie est différente et leur alibi a peut-être meilleure allure.
C’est ce qui explique une triste réalité que beaucoup de gens auront de la peine à croire, à savoir que le gouvernement états-unien a expulsé plus de personnes au cours de la dernière année complète de la présidence de Barack Obama que l’année suivante qui a commencé avec la présidence de Donald Trump.
Mais, c’est la triste vérité: Obama a signé le décret exécutif instituant le programme DACA qui protège actuellement 800’000 immigrants. Mais au cours des huit années de son mandat, son administration a procédé à la déportation de trois fois plus de personnes que n’importe quel autre président de l’histoire.
C’est aussi un crime et il ne devrait pas rester impuni.
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La question qui a dominé la première année de la présidence du Trump est probablement l’immigration. Mais elle ne représente qu’une fraction du programme réactionnaire que l’administration poursuit sur tous les fronts.
Trump s’est vanté ce soir d’une loi votée par les républicains, loi qui va, selon lui, mettre beaucoup plus d’argent sur nos comptes bancaires. Mais ce qu’il fait en réalité c’est de légaliser le pillage, sauf qu’on ne le désigne pas par ce nom.
Si les victimes d’une catastrophe naturelle – ou pas si naturelle si l’on tient compte du changement climatique – s’emparent d’articles de première nécessité dans un magasin fermé à clé, elles peuvent être arrêtées. Mais lorsque les dirigeants politiques pillent les recettes fiscales du budget fédéral et remettent le butin aux entreprises et aux riches, alors que les programmes sociaux dont dépend le reste de la population sont massivement amincis, on considère tout simplement qu’il s’agit d’un bon business.
Ces procédés ne sont pas populaires. Plus des trois quarts de la population sont favorables au maintien du DACA. Moins d’un tiers souhaitait que la loi républicaine sur la réduction des impôts soit adoptée. Lorsque les républicains ont tenté de «repeal and replace» (d’abroger et de remplacer) la loi sur les soins de santé abordables, moins d’un quart des gens se déclarait favorable au Trumpcare.
En ce qui concerne l’opinion publique, l’opposition à Trump sur ces questions – et aussi plus généralement – est historique. Aucun président à ce stade de son mandat n’a encore atteint le seuil d’approbation de 32% qui est celui de Trump en ce moment.
Ce jugement va au-delà des sondages d’opinion. Les gens veulent faire quelque chose contre Trump et les républicains. C’est ce qui s’est exprimé plus tôt dans les Marches des femmes. De façon inattendue, il y a également eu une participation massive pour célébrer l’anniversaire des manifestations de l’an dernier, qui ont vu la plus importante journée de protestation de l’histoire des États-Unis.
Les manifestations ont prouvé que l’opposition à Trump et à son régime n’a pas disparu. Elles n’ont pas suffi à l’obliger à se soumettre. Mais la question est de savoir ce que nous devons faire maintenant. Comment les arrêter? Comment gagner?
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C’est d’ailleurs là l’objet d’un courriel que j’ai reçu récemment de Bernie Sanders et de son projet Our Revolution.
Sanders a le mérite d’avoir voté contre la capitulation face à la demande de rançon raciste. Il a toujours été l’une des voix les plus retentissantes de Washington pour exposer le genre de mensonges que Trump a raconté ce soir sur la manière dont ses politiques allaient nous être favorables.
Mais pour ce qui est de savoir comment on pourrait gagner, le message de Sanders se résume à une seule chose: «Préparez-vous aux élections [de mi-mandat] qui auront lieu en novembre prochain, dans 10 mois.» C’est alors que nous pourrons élire des «démocrates progressistes qui vont s’opposer vigoureusement aux républicains et lutter pour nos valeurs».
En nous exprimant au nom du Socialist Worker et de l’Organisation socialiste internationale (ISO), nous pensons que les démocrates nous ont donné beaucoup de raisons de douter qu’ils lutteront contre les républicains et pour nos vraies valeurs.
Mais au-delà de cette question il y a un problème plus immédiat: nous ne pouvons pas nous contenter d’attendre jusqu’en novembre 2018.
Les pères et les mères au Highland Park, dans le New Jersey, ne peuvent pas se permettre d’attendre un Congrès démocrate jusqu’à l’année prochaine. Pas plus que les militants de No More Deaths en Arizona ne peuvent se contenter de soutenir des candidats progressistes; pas plus que les femmes qui se dressent contre les agressions sexuelles sous la devise #MeToo, ou les activistes luttant pour Black Lives Matter, ou les militants syndicaux dont les républicains veulent étrangler les organisations syndicales.
Nous ne pouvons pas attendre encore 10 mois, c’est maintenant qu’il faut agir.
Il ne faut pas minimiser les dégâts que Trump a causés pendant son mandat. Mais en même temps, on ne devrait pas oublier ce que nous avons vu au cours de l’année dernière lorsque les gens se sont levés et ont dit non à ce programme et ont eu un réel impact.
Nous ne parlons pas uniquement des millions de personnes qui sont descendues dans la rue en janvier de cette année et de l’année dernière pour dénoncer Trump et mettre en évidence ce qui doit changer dans cette société. Il y a aussi eu le soulèvement dans les aéroports lorsque Trump a essayé d’imposer son interdiction de voyager aux musulmans, et les foules qui sont sorties pour manifester leur solidarité et faire pression sur les tribunaux pour qu’ils annulent l’interdiction. Ou les mobilisations pour affronter les membres républicains du Congrès et stopper l’assaut du Trumpcare.
Il y a aussi les nombreuses manifestations locales pour défendre les immigrants ciblés par l’ICE. Celles-ci ont remporté une victoire importante hier, lorsqu’un juge fédéral a ordonné la libération d’un compagnon de Jean Montrevil à New York, Ravi Ragbir, qui a été libéré de sa détention et sera probablement déporté.
Ce n’est pas la seule victoire que nous avons besoin de gagner, et nous avons également subi de nombreuses défaites. Mais c’est un événement important, que nous devrions célébrer et qui montre qu’il est possible de faire quelque chose.
On peut dire plein de choses sur ce genre de luttes, mais je tiens aussi à souligner que la résistance dont nous avons besoin actuellement va au-delà des protestations et des piquets.
Les organisations socialistes et radicales se sont développées tout au long de cette année de la présidence de Trump, et l’audience auprès des personnes qui cherchent une alternative de gauche ne montre aucun signe d’épuisement. Les actions qui sont menées entre les manifestations et les mouvements ont aussi leur importance.
Ici à Chicago nous sommes dans une maison pleine de socialistes, et nous sommes encore plus nombreux, certains sont ici mais la majorité ne l’est pas. Mais il est important de savoir ce que font ces personnes, non seulement pour organiser les protestations et l’opposition politique à ce à quoi nous sommes opposés, mais aussi pour faire connaître et populariser les perspectives pour lesquelles nous militons. C’est important. C’est une autre partie de notre réponse sur comment nous pouvons gagner.
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Lorsque les républicains ont réussi en plein jour leur hold-up de réduction des impôts, Seth Moulton, un membre démocrate du Congrès du Massachusetts, a déclaré lors d’une assemblée publique: «Je ne pense pas qu’en tant de démocrate à la Chambre je vais pouvoir arrêter maintenant ce projet de loi fiscale. Mais je pense que nous pourrons présenter un bien meilleur projet de loi fiscal si nous réussissons à faire élire davantage de démocrates en 2018.»
Autrement dit, ce que les démocrates disent, c’est qu’ils ont besoin de nous le jour des élections, dans dix mois, et uniquement ce jour-là.
Mais une journée ne suffit pas. C’est tous les jours de l’année qu’il nous faut bâtir une résistance et une solution alternative au statu quo – dans nos lieux de travail, sur nos campus, dans nos collectivités. C’est là «la réponse socialiste à l’état misérable de l’Union»: il faut s’organiser contre les crimes de Trump et pour un monde meilleur.
Nous savons tous que c’est une tâche énorme et longue qui nous attend. Mais nous espérons que vous vous joindrez à nous dans l’ISO, avec des publications comme Socialist Worker, avec les éditions comme Haymarket Books et toutes les autres personnes et organisations qui existent dans ce pays. C’est dès maintenant que nous devons commencer à avancer de la sorte. (Article publié le 31 janvier 2018 sur le site socialistworker.org; traduction A l’Encontre)
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