Etats-Unis. «Le duopole des deux partis est organisé pour écraser le débat»

clintonPar Elizabeth Schulte et Alan Maass

Donald Trump est si méprisable que personne ne prête attention aux positions d’Hillary Clinton, soit à ce qu’elle défend réellement.

Trump a démontré une fois de plus lors du dernier débat télévisé le 19 octobre 2016 qu’il est, en quelque sorte, l’arme secrète… de la campagne présidentielle d’Hillary Clinton.

Le candidat républicain, le candidat de ce qui fut jadis le parti dirigeant du capitalisme états-unien, est allé jusqu’à «pisser à la figure» même de ceux, parmi les républicains, qui ne lui ont pas encore retiré leur soutien.

Même son propre colistier, le candidat à la vice-présidence, Mike Pence, a pris ses distances avec ses déclarations délirantes à propos de l’élection truquée le visant. Et Trump d’insister mercredi soir 19 octobre qu’il ne pouvait pas promettre de reconnaître les résultats de l’élection si Hillary Clinton était élue. L’enregistrement de la conversation où il se vante d’agresser sexuellement les femmes a dégoûté particulièrement les électrices. Mais Trump ricane face à chaque révélation et a indiqué, avec nonchalance, qu’il nommerait des juges d’extrême droite à la Cour suprême qui abrogeraient le droit légal à l’avortement.

trumpNous entrons ici dans un territoire inconnu. Il est tout à fait possible que le résultat de Donald Trump, le 8 novembre, sera pire que celui de tous les candidats des deux grands partis dans l’histoire moderne.

Mais ce qui est peut-être encore plus incroyable, c’est que l’autre candidate d’un des deux grands partis à l’élection pourrait elle-même recueillir un résultat très bas, si son opposant n’était pas Donald Trump.

Bien qu’il soit si repoussant, quantité de personnes semblent prêtes à préférer une gigantesque catastrophe plutôt que de voter pour Hillary Clinton. Un sondage récent parmi les 18 à 35 ans, commandé par le hashtag de Twitter #GiantMeteor2016, a révélé qu’un sur quatre parmi les jeunes (qui ont répondu) déclarait préférer qu’une météorite géante percute la Terre plutôt que de voir, soit Donald Trump, soit Hillary Clinton, à la Maison-Blanche.

Les manifestations publiques de haine contre de Donald Trump font chaud au cœur. Les protestataires anti-sexistes à New York et à Chicago qui chantent devant les gratte-ciel de Trump «Pussy grabs back» (Arrière les prises par la chatte, puisque Trump dans cet enregistrement se vantait d’attraper ainsi les femmes). Ou les employés de la cuisine érigeant un mur de camions de tacos [pour symboliser le mur que Trump propose de construire à la frontière mexicaine] devant un hôtel de Trump situé près de la salle où avait lieu le débat de mercredi soir à Las Vegas.

Mais, en même temps, chaque nouveau scandale impliquant Donald Trump fait que les gens prêtent moins attention aux scandales d’une candidate démocrate à la présidence dont les conseillers ont répondu à la critique d’un militant du mouvement Black Lives Matter par le seul mot «Yuck» (beurk), comme nous l’avons appris grâce à WikiLeaks.

Les démocrates sont bien contents de rester silencieux tandis que le comportement grossier de Trump définit les termes du débat. Hillary Clinton aurait facilement pu dévier les projecteurs centrés sur Trump et défier ses fanfaronnades réactionnaires. Mais elle est infiniment plus à l’aise avec une campagne centrée sur «combien elle est différente de son concurrent», plutôt que sur ce pour quoi elle est, elle.

Vous avez probablement entendu dire par tant de partisans d’Hillary, vos amis, votre famille, vos collègues syndicaux, les membres de l’organisation féministe que vous soutenez, que dans cette élection il ne s’agit pas de voter pour ce que vous croyez mais contre ce que vous ne croyez définitivement pas.

Mais chaque fois que la campagne de Trump fait une embardée et dérape vers la droite, cela dispense le camp d’Hillary Clinton de défendre le programme de sa candidate.

Faisons donc une pause et arrêtons un moment de regarder le train Trump accidenté et parlons de sur quoi Hillary Clinton et le Parti démocrate devraient être tenus de rendre des comptes. Vous en avez entendu des extraits durant le débat d’hier soir, mais si la campagne d’Hillary Clinton peut faire ce qu’elle veut, vous n’en entendrez plus beaucoup parler avant le 8 novembre – pour autant que Trump y collabore de facto avec son spectacle d’horreur continuel.

Une amie des immigré·e·s à la Maison-Blanche?

Le débat de mercredi soir a évoqué l’immigration, mais pour toute personne pour qui le sujet est d’importance ce n’était guère un débat. Particulièrement après que Hillary Clinton eut esquivé une question à propos du libre-échange et des frontières en reprochant aux Russes d’avoir encore une fois pénétré dans son courrier électronique.

Hillary Clinton aurait pu dénoncer le racisme déplorable de Trump. Il a commencé sa campagne en qualifiant les immigrés mexicains de «violeurs» et en promettant de construire un mur à la frontière. Son dernier accès de xénophobie a inclus sa promesse d’instituer un «contrôle extrême» avant d’autoriser un musulman à entrer aux Etats-Unis.

Mais tenons-nous en à notre sujet d’aujourd’hui: qu’en est-il d’Hillary Clinton ?

Pour ce qui est de la mise en œuvre sur le terrain, Hillary Clinton se joint aux politiciens aussi bien républicains que démocrates qui en appellent à des contrôles plus sévères à la frontière. En 2013, elle a soutenu des projets de lois qui ouvraient la voie à la naturalisation, comme elle l’a rappelé dans le débat, mais à condition que des milliards de dollars soient consacrés à de nouveaux équipements de surveillance de la frontière et à des barrières (barrières appelées par d’autres un mur) le long de cette dernière, en plus de 20’000 gardes-frontière supplémentaires.

Les conséquences concrètes de cette politique sont mortelles. Depuis janvier de cette année, les responsables disent que moins de personnes ont tenté de passer illégalement la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, mais que plus sont mortes en tentant de le faire. Selon le médecin légiste du comté de Pima dans l’Arizona, 117 cadavres ont été ramassés dans le désert le long des voies de migration dans le sud de l’Etat depuis le début de l’année, soit une augmentation par rapport à l’année passée.

Voilà le vrai visage de la promesse de Hillary Clinton de «protéger nos frontières»: la mort et le malheur pour les gens qui fuient la persécution et la pauvreté.

Les partisans d’Hillary Clinton se focalisent sur le cauchemar d’une présidence Trump pour les immigré·e·s. Mais le cauchemar a déjà lieu. Trump a pu fanfaronner à propos du nombre exact, mais la vérité c’est que Barack Obama a présidé à la déportation de plus de 2 millions de personnes, plus que tous les présidents du XXe siècle réunis.

Sacrifier les vies des immigrés au nom de la sécurité de la frontière n’est guère propre au dernier président démocrate à la Maison-Blanche. C’est Bill Clinton qui, en 1994, a imposé l’opération Garde-porte («operation Gatekeeper») pour flatter l’extrême droite en déversant plus de millions pour la surveillance des frontières et, oui, la construction de murs.

Ce qu’Hillary a dit à Goldman Sachs

Ok, ok, mais le vrai scoop, c’est comment WikiLeaks a mis la main sur les e-mails du responsable de la campagne d’Hillary Clinton, John Podesta [1], et les transcriptions de trois discours d’Hillary Clinton, payés par Goldman Sachs. Or, lors du dernier débat, Hillary Clinton a esquivé le contenu des documents révélés et a déclaré que la question la plus importante était de savoir si Trump allait condamner l’espionnage russe pour avoir publié ces e-mails.

Mais, hey, souffrez avec nous.

Ce n’est pas un scoop qu’Hillary Clinton a des liens étroits avec le grand patronat et les milieux financiers, depuis des décennies. Mais quand elle parcourt le pays pour dire aux gens que les Etats-Unis sont «déjà grands» [en réponse à Trump], il vaut la peine de se rappeler pour qui les Etats-Unis sont réellement grands.

Dans un discours chez Goldman Sachs, il y a trois ans, elle a tout fait sauf excuser les faibles régulations bancaires imposées en 2010 par la loi de réforme financière Dodd-Frank. «Il faut réfléchir plus au fonctionnement et aux transactions et aux régulations afin d’éviter de tuer ce qui marche, mais se concentrer sur la manière la plus efficace d’avancer avec la force des cerveaux et le pouvoir financier qui existe chez nous», ainsi flattait-elle son auditoire de banksters.

Expliquant que la loi Dodd-Frank avait été votée pour des raisons «politiques», elle a assuré Goldman Sachs, cette banque d’investissements justement appelée en 2009 «une pieuvre géante enroulée sur le visage de l’humanité», qu’elle croyait que les meilleurs contrôleurs de Wall Street sont – accrochez-vous – Wall Street lui-même.

«Il n’y a rien de magique dans la régulation, trop c’est mauvais, trop peu c’est mauvais», déclarait-elle et on peut penser qu’elle a dû souligner le «trop, c’est mauvais».

Pour toutes les familles ouvrières qui ont supporté le poids des hypothèques qui leur ont mis la tête sous l’eau pendant la crise des «subprime», Hillary Clinton a signalé, si quelqu’un en doutait encore, de quel côté elle était, du côté des parasites de Wall Street.

Revenir sur Roe

Vous vous souvenez des droits en matière de procréation? Dans le débat de l’autre soir, c’était assez choquant d’entendre prononcer les mots «avortement» ou «Roe et Wade» [2]. Mais jusqu’à présent dans cette campagne présidentielle, on a entendu très peu parler de cette question essentielle de santé publique pour les femmes.

Ce n’est pas par manque de raisons d’en parler. Par exemple, le Texas élève des obstacles aux cliniques offrant la possibilité d’un avortement au moyen de restrictions légales punitives; une femme dans l’Indiana a été accusée de meurtre pour avoir fait une fausse couche; les républicains du Congrès calomnient le Planning familial (Planned Parenthood) au moyen d’une vidéo truquée.

Mais vous ne pourriez rien soupçonner de tout cela en écoutant les candidats à la présidence, y compris la femme démocrate qui dit qu’elle soutient le droit de choisir d’une femme.

L’autre soir, Donald Trump a admis qu’il nommerait à la Cour suprême des juges qui, sans aucun doute, abrogeraient l’avortement légal. En comparaison, Hillary Clinton semblait, elle, réellement humaine. Mais cela fait que les limites de sa défense du droit à l’avortement légal, aujourd’hui et dans le passé, ont été rejetées dans l’ombre.

Hillary Clinton a contribué à perfectionner la stratégie actuelle des démocrates de chercher un «terrain d’entente» avec les conservateurs sur la question de l’avortement, une question à propos de laquelle n’importe quel défenseur sincère des droits des femmes ne trouverait rien sur quoi s’entendre avec la droite. Elle a aidé à formuler le slogan de «sûr, légal et rare» comme objectif des démocrates favorables au libre choix des femmes.

Les arguments du «terrain d’entente» n’ont pas sauvé les droits en matière de procréation. Bien au contraire ils ont cédé du terrain idéologique à la droite et affaibli le côté favorable au libre choix des femmes.

Si vous voulez savoir combien ces droits importent à Hillary Clinton, voyez son candidat à la vice-présidence, Tim Kaine. En 2005, il faisait campagne pour être élu gouverneur de Virginie en promettant de faire baisser le nombre d’avortements dans cet Etat par la promotion de l’éducation à «l’abstinence seulement». La section de Virginie de la NARAL (National Abortion and Reproductive Rights Action League) lui avait retiré son soutien parce qu’«il adhère à de nombreuses restrictions au droit d’une femme de choisir».

Mais, bien sûr, rien ne retient les principales organisations de femmes d’appuyer le ticket Clinton-Kaine, sans avoir de doutes. Ce n’est pas important pour elles que ces droits soient véritablement abordés dans le débat. Mais en dehors de ces milieux, dans la vie réelle, c’est important pour bien des femmes et beaucoup d’entre elles en ont marre que les démocrates considèrent que leur vote leur est acquis de toute façon lors de chaque élection et ne lèvent pas le petit doigt pour bloquer les attaques contre les droits des femmes.

Vous vous souvenez du salaire minimum à 15 dollars
et toutes ces choses socialistes?

Grâce à la monstruosité qu’est Donald Trump, presque tout le monde a oublié que durant les primaires démocrates, Hillary Clinton avait dû parler de certaines des choses qui sont chères aux électeurs du Parti démocrate.

Le message socialiste de la campagne de Bernie Sanders avait placé ces questions sous les projecteurs et obligé même les démocrates les plus patronaux d’y répondre. Et aussi d’assumer leur terrible bilan pour un bon nombre de choses qui n’ont pas été évoquées dans le débat Trump-Clinton. Pendant un moment, la colère qui bouillonne contre la cupidité patronale et le statu quo corrompu – colère qui s’exprime dans des mouvements sociaux comme Combat pour 15 dollars et Black Lives Matter – avait trouvé un écho dans la grande politique dominante.

A trois semaines de l’élection, tout cela semble bien distant.

En partie, c’est la faute d’Hillary Clinton, mais en partie c’est aussi celle de Bernie Sanders. Il a mis fin à ses critiques acérées contre Hillary Clinton pour dire à ses partisans que c’est désormais le moment de bloquer Trump et non pas d’adresser des exigences à Hillary Clinton. Dans le débat, quand Trump répétait une de ses antiennes à propos de Sanders – qui disait qu’elle avait un «mauvais jugement» –, Hillary Clinton pouvait sourire béatement et faire remarquer que Sanders faisait campagne pour elle et appelait à voter pour elle.

Il y a eu beaucoup de questions qu’Hillary Clinton a dû aborder cette année uniquement parce que les gens se sont mobilisés pour être sûrs qu’elles ne pourraient pas être ignorées, comme les militants anti-racistes qui n’ont pas manqué de lui rappeler son soutien aux lois pénales de Bill Clinton, ou les militants pour les droits des Palestiniens qui l’ont attaquée pour son soutien à l’apartheid israélien.

Mais lors du débat du 19 octobre ces questions ont été invisibles, comme beaucoup d’autres sujets qui concernent les gens. Car cela ne doit pas être évoqué dans les limites étroites qu’impose la politique dominante aux Etats-Unis, où la la peur devant ce qui est pire force les électeurs et électrices à se contenter de ce qui est, espérons-le, moins pire.

Le duopole des deux partis est organisé pour écraser le débat politique et la contestation en dehors de la politique dominante. C’est bien pourquoi il nous appartient de soulever aussi bien les thèmes débattus que ceux mis en avant par les opposants au duopole, cela avant que l’élection tranche entre Clinton et Trump, mais surtout pour préparer la période post-électorale. (Article publié sur le site SocialistWorker.org, le 20 octobre 2016, s’adressant entre autres à celles et ceux ayant soutenu la campagne de Bernie Sanders; traduction A l’Encontre)

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[1] Chef du cabinet de la Maison-Blanche sous Bill Clinton entre 1998 et 2001 et de même conseiller de Barack Obama de janvier 2014 à février 2015. Les e-mails de John Podesta ont trait à la fois à des liens avec le lobby de l’uranium et à des donations pour la Fondation Clinton. (Réd. A l’Encontre)

[2] Roe vs Wade est le jugement de la Cour suprême de 1973, donnant raison à la femme Roe contre le procureur du Texas Wade, qui a autorisé aux Etats-Unis une femme à avorter librement durant les trois premiers mois de grossesse. Depuis lors ce droit n’a cessé d’être contesté et restreint par la droite, surtout républicaine, mais aussi démocrate, surtout dans certains Etats. (Réd. A l’Encontre)

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