Par Gideon Levy
La décision de l’administration Trump de couper de 30% le budget de l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) peut s’éclairer par la phrase suivante du Département d’Etat: «Nous allons dialoguer avec l’ONU pour trouver une nouvelle approche, car le modèle de l’UNRWA n’est pas viable, en ce qu’il augmente sans fin et de manière exponentielle le nombre de réfugiés.» L’administration Trump prétend que le nombre «de véritables réfugiés» s’élève à 500’000 et non à 5 millions selon les données de l’UNRWA. Or, quotidiennement quelque 3 millions de réfugiés bénéficient d’un appui à la scolarisation (526’000 enfants), de soins de santé, de diverses aides sociales, que ce soit à Gaza, au Liban, en Jordanie, en Syrie ou dans les territoires occupés (Cisjordanie).
Depuis des années, aussi bien Jared Kushner, le gendre de Trump, que le nouvel ambassadeur en Israël (depuis mars 2017), David Friedman, avocat d’affaires, financent la colonisation des territoires occupés. Le Yesha Council, qui sert de structures chapeautant les colonies, a salué la nomination de David Friedman. Et faut-il rappeler que le texte de la loi définissant Israël comme «l’Etat-nation du peuple juif» affirme: «l’Etat considère que le développement des implantations juives relève de l’intérêt national et que l’Etat prendra les mesures pour encourager, faire avancer et servir cet intérêt.» Les faux-semblants ne sont plus à l’ordre du jour. (Réd. A l’Encontre)
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Maintenant, c’est sur la place publique: les Etats-Unis ont déclaré la guerre aux Palestiniens. Avec son gendre Jared Kushner, un expert en organisations humanitaires et en réfugiés palestiniens, la grande brute Donald Trump a décidé de mettre fin au financement de l’agence des Nations Unies qui vient en aide aux réfugiés palestiniens. L’explication officielle est que le «modèle d’affaires» et les pratiques budgétaires de l’UNRWA en ont fait une «opération irrémédiablement défectueuse».
Trump et son gendre, les gardes du sceau du bon gouvernement, ont découvert que l’agence n’était pas bien gérée. La contribution annuelle états-unienne de 360 millions de dollars prendra donc fin. Même en Israël, qui se réjouit de chaque calamité palestinienne et du fait que tout cela est un jeu à somme nulle, les gens pensent que le plus grand ami de tous les temps de l’Etat israélien est allé un peu trop loin.
Les Etats-Unis nouvelle version [New America] traitent les petits délits et les crimes majeurs de la même manière. Les allocations aux organisations d’aide américaine opérant dans les territoires occupés comme l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID) ont été réduites de 200 millions de dollars.
Washington a décidé de frapper les Palestiniens au porte-monnaie. De toutes les sommes énormes destinées à aider les régimes corrompus, de tous les milliards dépensés pour des guerres inutiles et des massacres, c’est l’aide au camp de réfugiés de Jabalya [le plus grand camp de réfugiés palestiniens situé au nord de la ville de Gaza] qui serait mal gérée et doit donc cesser. Les Palestiniens – des maîtres chanteurs fils de maîtres chanteurs – ne méritent plus de recevoir des fonds à cause «du modèle d’affaires». Ce serait risible si ce n’était pas si tragique; le prix de la plaisanterie sera payé de Chatila [camp de réfugiés situé à Beyrouth-Ouest; où se déroula le terrifiant massacre de septembre 1982] à Rafah [camp situé au sud de la bande de Gaza, à la frontière égyptienne].
Au cours de la prochaine décennie, les Etats-Unis s’apprêtent à verser 38 milliards de dollars à Israël, l’un des pays les plus développés de la planète et ayant l’une des armées les mieux équipées au monde – mais là il s’agit évidemment d’un bon «modèle d’affaires». On ne peut pas supprimer un seul dollar, puisqu’il s’agit évidemment de l’aide humanitaire à un pays dans le besoin, un pays qui ne gaspille pas un centime.
Il est évident aussi qu’Israël mérite cette aide extraordinaire, puisque ce pays se conforme à toutes les résolutions adoptées par les institutions internationales (ONU), qu’il est un modèle de moralité qui a obéi à toutes les recommandations états-uniennes concernant le retrait des territoires occupés et le fait de mettre un terme à l’occupation. Cela vaut la peine pour les Etats-Unis de payer pour tous les caprices et les guerres d’Israël, cela ajoute certainement beaucoup à son prestige mondial.
Cette année, les Etats-Unis dépenseront 46 milliards de dollars en Afghanistan, pour une guerre dont ils ne se lassent pas. Ils injecteront 13 milliards de dollars en Irak, longtemps après la fin de l’une des guerres les plus insensées de tous les temps.
Des guerres? D’après le Pentagone, celle de l’Afghanistan a coûté 753 milliards de dollars aux Etats-Unis, celle de l’Irak 770 milliards de dollars. Selon le Watson Institute for International and Public Affairs de l’Université Brown (Etat de Rhode Island), le coût réel de ces guerres se situe à 1,7 trillion [un trillion = un millier de milliards] de dollars. Deux guerres stériles qui ont entraîné la mort inutile de centaines de milliers de personnes, mais l’argent qui y a été dépensé était conforme à un modèle d’affaires approprié. Il en va de même pour les guerres en Syrie et au Yémen.
Seule l’UNRWA serait mal gérée. Le leader du monde libre, le plus grand fauteur de guerre depuis la Seconde Guerre mondiale, décrète qu’il faut réduire la quantité de farine pour Yarmouk [un camp de réfugiés palestiniens près de Damas qui vit un calvaire sous les coups du régime de Bachar al-Assad] et de l’huile de cuisine pour Bureij [camp au centre de la bande de Gaza].
Derrière tout cela, bien sûr se trouve une vérité beaucoup plus profonde. Car l’UNRWA pourrait engager l’avocat Eliad Shraga, dirigeant du Mouvement pour un gouvernement de qualité en Israël [1], et se conformer aux normes de gestion scandinaves, sans que cela change quoi que ce soit. Israël a depuis longtemps déclaré la guerre à l’UNRWA, et comme d’habitude, les Etats-Unis l’ont suivi, tout cela dans le but de retirer de l’ordre du jour la question des réfugiés.
Quiconque connaît les conditions de vie dans les camps de réfugiés sait à quel point leurs habitants sont dépendants de l’agence des Nations Unies. Il est possible qu’il y ait du gaspillage, il y a certainement des profiteurs, la réforme est absolument nécessaire. Mais l’UNRWA fournit une aide humanitaire de base. Sans cette aide, il n’y a pas d’écoles, de cliniques et de nourriture dans les camps. Les Etats-Unis ont une dette indirecte envers les habitants de ces camps. Ils financent et soutiennent l’occupation israélienne. Et ils n’ont jamais levé le petit doigt pour trouver une véritable solution aux souffrances des réfugiés palestiniens.
Mais les Etats-Unis, nouvelle version, ont aussi perdu tout sentiment de honte. Ils ne veulent même plus faire semblant d’être le médiateur honnête ou de s’occuper des nécessiteux du monde, comme leur position les oblige à le faire. Alors disons: honte à vous, America! (Article publié dans le quotidien Haaretz le 2 septembre 2018; titre de la rédaction A l’Encontre; traduction A l’Encontre)
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[1] Le non-subversif The Times of Israël, en date du 14 juillet 2018, s’entretenait avec Eliad Shraga. Ce dernier affirmait: «Nous luttons contre la corruption depuis 28 ans et cela a empiré. Le cancer de la corruption s’est répandu partout – dans les recoins les plus intimes de l’Etat d’Israël, jusque dans l’armée israélienne avec l’affaire des sous-marins [ladite «affaire 3000» portant sur des pots-de-vin pour l’achat de sous-marins et de patrouilleurs à une entreprise allemande]. C’est partout. Regardez combien de maires, de députés, de ministres, de présidents, de Premiers ministres [ont été accusés]. Tout n’est qu’une question d’argent. On ne peut pas dire qu’il existe une sphère propre et non contaminée.» (Réd. A l’Encontre)
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