Par Ken Klippenstein
La Maison Blanche a demandé la levée des restrictions sur toutes les catégories d’armes et de munitions auxquelles Israël est autorisé à accéder à même les stocks d’armes états-uniens entreposés en Israël.
Cette levée des restrictions a été intégrée dans la demande de complément de budget de la Maison Blanche, envoyée au Sénat le 20 octobre. «Cette demande permettrait le transfert de toutes les catégories de matériel de défense», tel que l’exprime la requête de supplément budgétaire.
Elle concerne des stocks d’armes en Israël dont l’existence est peu connue. Le Pentagone les a constitués en vue d’une utilisation dans de possibles conflits régionaux. Israël a été autorisé à y accéder seulement dans des circonstances précises – le président Joe Biden cherche précisément à supprimer ces limitations.
«S’ils sont adoptés, ces amendements [au budget] permettront de contourner en deux temps les restrictions sur les transferts d’armes états-uniennes vers Israël», a déclaré John Ramming Chappell, juriste au Center for Civilians in Conflict [cette institution vise entre autres à renforcer la protection des civils dans les conflits armés].
Créé dans les années 1980 pour approvisionner les Etats-Unis en cas de guerre régionale, le War Reserve Stockpile Allies-Israel (WRSA-I) est le plus grand maillon d’un réseau qui, en fait, constitue des caches d’armes des Etats-Unis à l’étranger. Hautement réglementés pour des raisons de sécurité, les stocks sont soumis à un ensemble d’exigences strictes. Dans les circonstances définies par ces prescriptions, Israël a pu puiser dans les stocks, achetant les armes à peu de frais s’il utilise la subvention effective de l’aide militaire américaine.
Avec la WRSA-I, Biden cherche à lever pratiquement toutes les restrictions significatives sur le stock et le transfert de ses armes à Israël, avec l’intention: de supprimer les réserves ayant trait aux armes dites obsolètes ou excédentaires; de supprimer un plafond fixé annuellement de dépenses pour la reconstitution du stock; de supprimer les limitations ayant trait à des armes spécifiques; et de réduire le contrôle du Congrès. Tous les changements prévus dans le projet budgétaire modifié de Biden seraient permanents, à l’exception de la levée du plafond des dépenses, qui ne concerne que l’exercice budgétaire 2024.
Ces changements interviendraient dans le cadre d’un partenariat en matière d’armement déjà entouré de secret, comme l’a récemment rapporté The Intercept (7 novembre 2023). Alors que, par exemple, l’administration Biden a fourni de longues listes détaillées d’armes fournies à l’Ukraine, les informations données sur les armes fournies à Israël pourraient tenir en une seule et courte phrase. La semaine dernière, Bloomberg (article d’Anthony Capaccio publié le 14 novembre mis à jour le 15) a obtenu une liste d’armes fournies à Israël. Obtenue grâce à une fuite, elle révèle que les livraisons comportaient des milliers de missiles Hellfire [missile à guidage radar fabrique par Lockheed Martin], du même type que ceux utilisés massivement par Israël dans la bande de Gaza.
La levée des restrictions sur les transferts à Israël – comme l’élimination de l’exigence que les armes fassent partie d’un surplus du stock – pourrait nuire aux intérêts des Etats-Unis en diminuant leur préparation à des conflits propres dans la région, a déclaré Josh Paul, un ancien fonctionnaire du State Department’s Bureau of Political-Military Affairs (Bureau des affaires politico-militaires du département d’Etat).
Josh Paul, qui a démissionné en raison de l’aide des Etats-Unis en matière d’armement à Israël, a déclaré à The Intercept: «En supprimant l’exigence selon laquelle ces équipements doivent être déclarés excédentaires, cela augmenterait également la pression existante sur les préparatifs militaires des Etats-Unis afin de disposer en permanence d’un stock suffisant pour pouvoir fournir davantage d’armes à Israël.» [Voir dans la note 1 ci-dessous les autres motivations de Josh Paul ayant trait à sa démission expliquées à Radio Canada le 1er novembre].
«Miner le contrôle et l’obligation de rendre des comptes»
Le gouvernement des Etats-Unis n’est censé dépenser que 200 millions de dollars par année budgétaire pour réapprovisionner le WRSA-I, soit environ la moitié du plafond total pour l’ensemble des stocks états-uniens déposés dans le monde. La demande de la Maison-Blanche en date du 20 octobre prévoit toutefois de lever la limite imposée aux contributions au stock situé en Israël. Cela permettrait au stock d’être continuellement reconstitué.
«La demande de financement supplémentaire d’urgence du président, a déclaré Josh Paul, créerait pratiquement une filière ouverte permettant de fournir des équipements de défense à Israël par le simple fait de les placer dans le stock WRSA-I ou dans d’autres stocks destinés à Israël.» [2]
Les Etats-Unis exigent actuellement qu’Israël fasse certaines concessions en échange de certains types d’assistance en matière d’armement de la part du Pentagone, mais la demande de la Maison Blanche supprimerait également cette condition.
Enfin, la demande de la Maison Blanche réduirait également le contrôle du Congrès sur les transferts d’armes en réduisant la durée de la notification préalable au Congrès avant un transfert d’armes. Selon la loi actuelle, le préavis doit être de 30 jours, mais la demande de budget complémentaire de Biden permettrait de raccourcir ce délai dans des circonstances «extraordinaires».
«La demande de budget supplémentaire de l’administration Biden affaiblirait encore davantage le contrôle et l’obligation de rendre des comptes, alors même que le soutien des Etats-Unis permet une campagne israélienne qui a tué des milliers d’enfants», a déclaré John Ramming Chappell, du Center for Civilians in Conflict.
La Chambre des représentants a déjà adopté une loi reflétant la demande de la Maison Blanche le mois dernier, et elle est maintenant soumise au Sénat.
William Hartung, expert en armement au Quincy Institute for Responsible Statecraft, a déclaré: «Pris dans son ensemble, le projet d’amendement budgétaire est tout simplement extraordinaire et il sera beaucoup plus difficile pour le Congrès ou le public de contrôler les transferts d’armes des Etats-Unis vers Israël, alors même que le gouvernement israélien s’est engagé dans des attaques massives contre des civils, dont certaines constituent des crimes de guerre.» (Article publié par le site The Intercept le 25 novembre 2023; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] Radio Canada s’entretient, le 1er novembre, avec Josh Paul sur les marches de la National Gallery, tout près du Capitole, à Washington: «Après un bref échange de courtoisie, il revient sur ces deux dernières semaines et sur les raisons qui l’ont poussé à remettre sa démission, après 11 années au bureau militaire du département d’Etat américain. “Durant toutes mes années au département d’Etat, ça n’a jamais été notre objectif de fournir des armes létales à un pays en sachant qu’elles allaient servir à tuer de façon massive des populations civiles… Ce n’est pas la première fois qu’on est confronté à des questions morales complexes. Mais dans le cas du conflit entre Israël et le Hamas, on ne suivait plus du tout les lignes directrices habituelles applicables à n’importe quel transfert d’armes à un pays. Dans le cas de l’Ukraine, par exemple, lorsqu’il a été question d’envoyer des bombes à fragmentations, il y a eu un débat, l’administration Biden était réceptive aux différentes recommandations et conditions, et a toujours tenu compte des droits de la personne. Pour Israël, il fallait juste répondre aux demandes.”» (Réd.)
[2] Dans un article daté du 1er décembre, JForum écrit: «Le président américain Joe Biden a demandé d’élargir l’accès d’Israël au stock d’armes américain, supprimant donc les restrictions qui lui sont imposées pour accéder à ce stock critique, avec moins de contrôle de la part du Congrès. La Maison-Blanche a demandé au Sénat américain de lever les restrictions dans une demande d’accord supplément budgétaire qui s’est tenu le 20 octobre Si la demande est acceptée, elle permettra à Israël de recevoir de puissantes armes américaines à un coût réduit, avec une surveillance réduite de la part du Congrès. La demande présentait des changements à la politique qui réglemente les stocks d’armes américaines situés en Israël, notamment des bombes intelligentes, des missiles, des véhicules militaires et d’autres munitions et équipements.» Le titre significatif de l’article: «Des drones suicides envoyés en Israël pour la seconde phase». (Réd.)
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