Par Lance Selfa
Lorsque Donald Trump se met à vendre des bibles pour Pâques [1], on sait qu’il a besoin d’argent.
Et ce, malgré la manne de plus de 4 milliards de dollars qu’il a engrangée (et qui continue de grimper: 7,85 milliards le 26 mars) lorsque son réseau social Truth a fait son entrée sur le marché boursier NASDAQ [bourse de valeurs qui met l’accent sur les firmes spécialisées dans le domaine de la technologie], dans ce qui finira probablement par être une action «mème» ratée, surtout si Trump perd l’élection de 2024.
Mais les deux projets de Trump pour gagner de l’argent sont arrivés à un moment crucial pour lui. Confronté à une échéance de mars pour déposer une caution de près d’un demi-milliard de dollars pendant qu’il fait appel du jugement rendu à son encontre dans le cadre de l’affaire civile de New York pour ses pratiques commerciales frauduleuses, il cherche désespérément à éviter la prison et à rester dans les rangs des personnes les plus riches des Etats-Unis. Alors qu’il semblait que Donald Trump devrait subir les conséquences de son incapacité à obtenir une caution de la part d’une firme financière réputée, une cour d’appel new-yorkaise lui a accordé un bref sursis. Elle a repoussé la date limite de dépôt de la caution, tout en réduisant son montant à 175 millions de dollars. Une fois de plus, le système judiciaire a renfloué les caisses de Trump.
Dans la mesure où les démêlés juridiques de Trump constituent la toile de fond inévitable de sa campagne, l’impact réel qu’ils ont sur ses perspectives d’avenir n’est pas toujours clair. Mais derrière les gros titres, ils font des ravages.
Prenons les éléments suivants:
- L’année dernière, le Comité national républicain (RNC-Republican National Committee) a connu sa pire année de collecte de fonds, corrigée de l’inflation, depuis 1993.
- La campagne de Joe Biden devance actuellement celle de Donald Trump de près de 50% (155 millions de dollars contre 109 millions de dollars) en termes d’argent collecté et d’argent en caisse, et dispose de plus de deux fois plus d’argent en banque que les Républicains.
- Trump continue de perdre des millions en frais juridiques.
- La récente fusion entre la campagne Trump et le RNC – dans laquelle la belle-fille de Trump [Lara Trump, qui a épousé Eric Trump] est devenue, le 8 mars 2024, coprésidente du RNC – est assortie de conditions. Le comité d’action politique de Trump, Save America PAC, qui paie ses factures d’avocat, sera en mesure d’empocher des fonds avant que la RNC ou les partis républicains au niveau des Etats ne reçoivent de l’argent.
- Les partis républicains d’Etats clés (swing states) sont en proie à des luttes de factions entre les partisans de Trump et les politiciens qui ne le sont pas (par exemple, dans l’Etat du Michigan). Ils font face à des inculpations criminelles pour leur implication dans le système de faux électeurs de Trump pour 2020 (par exemple, dans le Nevada, le Michigan et la Géorgie) ou à des scandales qui ont contraint les dirigeants de ces GOP (Parti républicain) à démissionner (par exemple, en Arizona et en Floride).
- Les principaux membres républicains de la Chambre des représentants des Etats-Unis ont démissionné en nombre sans précédent, ce qui laisse supposer que le Parti républicain pourrait perdre sa faible majorité à la Chambre avant les élections de 2024.
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Ce sont là autant de signes d’un parti sous pression, voire en plein désarroi. Pourtant, deux grands groupes ont intérêt à minimiser ces faits: le premier, évidemment, est le Parti républicain en tant que tel. Il ne veut pas que ses partisans pensent qu’il s’agit d’une vraie poubelle alors qu’il essaie de les organiser pour gagner une élection présidentielle. Le second est le «front populaire» autour de Biden et des démocrates, qui considère qu’une victoire de Trump serait synonyme de fin de la démocratie et de l’ordre constitutionnel. Il est en effet difficile d’affirmer que votre opposition est un mastodonte fasciste lorsqu’elle n’est même pas capable d’assurer ses missions les plus élémentaires.
L’escroc qu’est Trump mise sur les pigeons – ceux qui pensent qu’il a lu la Bible ou suit les spéculateurs du marché à court terme qui vont faire monter ses actions sans valeur – pour payer ses factures d’avocat et financer sa course à la présidence. Trump et le GOP se sont-ils tournés vers ces moyens «non conventionnels» parce que les moyens conventionnels – la collecte d’argent auprès des entreprises et des riches – leur sont fermés? Les grandes firmes sont-elles vraiment en train d’abandonner leur précieuse équipe de choc à Washington? N’y comptez pas.
Rappelez-vous tout le battage médiatique autour des grandes firmes états-uniennes qui ont juré de ne plus accorder des fonds aux politiciens du GOP qui ont soutenu l’émeute du 6 janvier 2021 et le «gros mensonge» de l’élection présidentielle de 2020 «truquée» et «volée» qui l’accompagnait. Même si les grandes firmes ont publié des déclarations condamnant le 6 janvier et ont travaillé avec les grands médias et les organisations non gouvernementales pour assurer une «transition pacifique» entre Trump et Biden, c’était toujours une farce de croire qu’elles étaient les championnes de la démocratie. Comme toujours dans la politique états-unienne, suivre l’argent est le meilleur moyen de comprendre ce qui s’est passé.
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En effet, quelques mois après le 6 janvier, la plupart des grandes firmes ont recommencé à faire des dons aux politiciens du GOP. Les journalistes d’investigation libéraux Rebecca Crosby et Judd Legum ont montré qu’au moins 50 grandes entreprises, dont Microsoft, Walmart, AT&T et General Motors, ont versé au GOP, depuis 2021, un total de 23 millions de dollars à ceux qui niaient le résultat des élections (Popular Information, 28 mars 2024).
La configuration précédente, telle qu’établie en 2016 et 2020, lorsque la plupart des fonds des firmes sont allés aux candidats démocrates à la présidence, se répétera probablement en 2024. Pour les grandes firmes, le style chaotique de Trump, son opposition au libre-échange et à l’immigration, et son incapacité à endiguer la pandémie étaient des raisons plus que suffisantes pour préférer Hillary Clinton en 2016 et Joe Biden en 2020. Néanmoins, une fois que Trump a pris ses fonctions et qu’il s’est comporté – rhétorique et tweets mis à part – comme un conservateur traditionnel en matière de fiscalité, de déréglementation et de juges favorables aux entreprises, les milieux d’affaires ont été plus qu’heureux de suivre le mouvement. Personne ne devrait donc penser que le monde des affaires envisage sérieusement de simplement abandonner le GOP.
Dans le monde plus restreint des milliardaires républicains conservateurs, le rapprochement avec Trump est déjà en cours. Le fonds spéculatif de Wall Street, Paulson&Co. (John Alfred Paulson qui a fait sa fortune avec les subprimes), prévoit une collecte de fonds en avril 2024, avec un grand nombre de ces ploutocrates. Son objectif est de récolter 33 millions de dollars en une seule fois, soit suffisamment pour battre le record de 26 millions de dollars atteint par les démocrates le 28 mars lors de leur collecte de fonds à New York, à laquelle ont participé trois des quatre présidents du Parti démocrate encore en vie.
Il est important de noter que la plupart de ces ploutocrates idéologiques ont fait fortune dans la finance, la technologie, le commerce de détail et les casinos. Ils utilisent leur fortune personnelle pour se positionner en tant qu’acteurs dans l’éventualité d’une victoire de Trump en novembre. Pour eux, «l’Etat de droit», «la Constitution» et d’autres éléments dont les conservateurs de principe sont censés se préoccuper ne les motivent pas vraiment quand ils pourraient risquer de devoir payer des impôts plus élevés sur leur fortune. La promesse de Joe Biden d’augmenter l’impôt sur les sociétés à 25% (un taux inférieur à celui qu’il avait promis en 2020) et d’ajouter une surtaxe sur les milliardaires a incité ces derniers à se préparer à soutenir à nouveau Trump.
«L’augmentation de l’impôt de Biden est vraiment perçue avec hostilité par les gens de Wall Street à qui je parle, même par certains des républicains les plus modérés de Wall Street qui n’ont généralement pas une orientation conservatrice», a déclaré Stephen Moore, un conseiller économique extérieur à l’équipe de Trump, au Washington Post (29 mars) «Le taux plus élevé sur les plus-values, le taux plus élevé sur les sociétés – tout cela est un anathème pour ces gens.»
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Cette coterie de milliardaires est suffisamment riche pour aider Trump à combler son déficit vis-à-vis de Biden. Mais Trump pourrait néanmoins se retrouver avec un déficit substantiel vis-à-vis de Biden. Rappelons qu’en 2020, la campagne de Biden a recueilli et dépensé plus de 1,6 milliard de dollars, contre 1 milliard de dollars pour Trump. Ces sommes faramineuses continuent de faire de la course à la présidence un concours entre différents groupements de riches et de grands du monde des affaires. Mais ces sommes représentent – ensemble – à peu près ce que Trump a gagné en une journée avec son opération de «pump and dump» (P&D) d’actions [2]. Toutefois elles ne représentent que la moitié de la subvention de 8,5 milliards de dollars accordée à une usine de fabrication de puces d’Intel Corp. que Joe Biden a annoncée lors d’un récent voyage de campagne en Arizona (New York Times, 20 mars 2024).
En d’autres termes, les élections états-uniennes sont trop chères pour que les citoyens ordinaires aient leur mot à dire, mais elles sont une aubaine pour les firmes et les riches qui cherchent à obtenir des faveurs du gouvernement. L’Amérique des affaires peut prospérer avec l’un ou l’autre parti à la Maison Blanche. Ces considérations ne sont peut-être pas aussi émouvantes qu’une «lutte pour l’âme de la nation» ou la «défense de la démocratie», mais elles sont beaucoup plus proches de ce que les dirigeants de l’establishment bipartisan pensent être l’enjeu du mois de novembre. (Article publié par International Socialism le 2 avril 2024; traduction rédaction A l’Encontre)
Lance Selfa est l’auteur de The Democrats: A Critical History (Haymarket, 2012) et editeur de U.S. Politics in an Age of Uncertainty: Essays on a New Reality (Haymarket, 2017).
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[1] Selon Evangeliques.info du 2 avril: «La seule Bible approuvée par le président Trump!» L’ex-président américain et candidat à la présidentielle en novembre prochain avait déjà sa marque de chaussures et de parfums et aujourd’hui, il vend des bibles. Le 26 mars, il a en effet publié une vidéo sur son média social Truth Social invitant ses partisans à acheter la «God Bless the USA Bible» (Bible «Dieu bénisse l’Amérique»), avec un message qui renvoie vers un nouveau site du même nom.» Outre le texte biblique elle contient des textes des fondateurs de l’histoire des Etats-Unis. Selon la même source, outre la Déclaration d’indépendance et du serment d’allégeance au drapeau des Etats-Unis, on y trouve «le refrain manuscrit d’une célèbre chanson du chanteur country Lee Greenwood, «God Bless the USA», souvent entonnée depuis 1984 lors des rassemblements politiques républicains.
APnews souligne que cette mise sur le marché a lieu alors que les frais de justice de Donald Trump s’accumulent. (Réd.)
[2] Le «pump and dump» (P&D) est une forme de fraude sur les valeurs mobilières qui consiste à gonfler artificiellement le prix d’une action détenue par le biais de déclarations positives fausses et trompeuses (pump), afin de vendre l’action achetée à bas prix à un prix plus élevé (dump). (Réd.)
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