Par Claude Angeli
A Washington, les comptables du Pentagone évaluent à 800 milliards les dépenses engagées par les Etats-Unis pour seize années de guerre en Afghanistan. Une somme extravagante consacrée, au fil des ans, aux opérations militaires – les effectifs américains se sont parfois montés à 140’000 hommes –, à la formation des forces afghanes et aux aides civiles accordées à ceux qui ont dirigé le pays de 2001 à aujourd’hui: présidents, ministres ou hauts fonctionnaires. La plupart d’entre eux ont été qualifiés de «corrompus» par la presse américaine et par certains élus, sans pour autant que s’interrompe le flot de dollars.
Un autre chiffre mérite réflexion. Les forces de l’Otan ont perdu, en seize ans, 3500 hommes en Afghanistan, dont 2400 Américains, sans compter des milliers de blessés et d’amputés. En revanche, les comptes sont bien moins précis dès qu’il s’agit des morts afghans: talibans, civils et membres des forces gouvernementales tués au combat ou victimes d’attentats. Quelques dizaines de milliers, voire davantage, et une évaluation à établir par les historiens.
Qu’en pensent les stratèges du Pentagone, à quelques mois de l’entrée dans la 17e année de guerre? Selon les services de renseignement américains, les talibans contrôlent plus de la moitié du territoire afghan, et la récolte de l’opium est toujours excellente.
Pessimisme au Pentagone
Autant de milliards dépensés, pour en arriver là? Obama s’en était inquiété. En 2011 et en 2013, au Qatar puis au Pakistan, des diplomates américains et des agents de la CIA avaient, avec son accord, rencontré des responsables talibans. De simples «contacts», dit-on encore aujourd’hui, sans la moindre négociation et sans résultat probant.
En mai 2017, les effectifs américains présents sur le sol afghan s’élèvent à 8400, et leur mission consiste à former et à encadrer les forces afghanes, y compris lors des opérations antiterroristes. Mais cela ne saurait suffire au général John Nicholson, le chef de la coalition internationale (13’000 militaires au total). Il voudrait obtenir un renfort de 5000 combattants, dont 3000 Américains. Reçu, lundi 8 mai, par une commission de sénateurs, le patron du Pentagone, Jim Mattis, s’est, lui aussi, montré pessimiste. «Une nouvelle année dure [en Afghanistan] est devant nous», a-t-il annoncé.
Aucune décision n’est prise, mais, après Obama, le président Trump a autorisé les mêmes rencontres et les mêmes échanges avec l’ennemi taliban. Il n’est pas le seul, d’ailleurs, à chercher une issue à ce conflit. Récemment, à Moscou, une réunion tripartite entre Russes, Chinois et Pakistanais a permis de faire le point sur les négociations menées avec plusieurs chefs talibans, grâce à l’intervention de l’ISI, le puissant service de renseignement militaire du Pakistan.
Quels que soient les résultats de ces contacts, rencontres ou négociations, la démonstration est éclatante, et elle ne concerne pas la seule guerre d’Afghanistan. Les avions, les drones, les blindés, les radars, les missiles, les satellites et tous les systèmes d’écoute et de surveillance de la NSA n’ont toujours pas permis à la Grande Amérique de l’emporter sur les talibans. Les milliards de dollars dépensés par Bush, par Obama et bientôt par Trump ne remplaceront jamais une simple réflexion stratégique. Ou une bonne politique étrangère. (Article publié dans Le Palmipède du 10 mai 2017, p. 3, titre de la rédaction A l’Encontre)
- A quelle dépense honorable peut-on comparer les 800 milliards de dollars perdus en Afghanistan? A six années d’aide mondiale au développement. Et, pourquoi pas, à des millions de vies qui auraient, grâce à ces aides, échappé à la famine. (C. A.)
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Macron au front
Quelque 250 militaires français campent actuellement en Afghanistan au sein d’une coalition internationale qui entamera bientôt la 17e année de guerre anti-talibans. «Macron ira sans doute rendre visite aux militaires français envoyés à l’étranger, mais je ne crois pas qu’il se rendra à Kaboul, affirme un proche du ministre de la Défense. C’est la continuité.»
La présence de plusieurs conseillers qui ont entouré Macron durant la campagne en est la preuve. Au premier rang, Le Drian, qui a approuvé toutes les interventions françaises décidées par Hollande, et Jean-Paul Palomeros, un général d’aviation cinq étoiles, avec le titre de conseiller militaire. Aujourd’hui à la retraite, Palomeros a, jusqu’en 2015, occupé un poste prestigieux à l’Otan. Et, si Macron l’a choisi, ce n’est pas pour lui annoncer que la France allait se retirer du commandement militaire de l’Alliance.
Autre recrue, l’actuel ambassadeur de France à Washington, Gérard Araud, néoconservateur bon teint, qui s’était réjoui, en 2011, de la guerre menée par Sarkozy en Libye. Enfin, parmi les experts aussi consultés: François Heisbourg, qui était du nombre de ceux qui, en 2003, voulaient que la France aille combattre en Irak aux côtés des Américains. (Claude Angeli)
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