Par Rafael Osío Cabrices
Tout a commencé par un mensonge. Un mensonge organisé par l’Etat [du Venezuela, sous le gouvernement N. Maduro et de D. Cabello] et diffusé à la TV [officielle] à l’heure de maximale écoute. Soit précisément les armes contre lesquelles Luis Carlos Díaz [journaliste réputé, défenseur des droits humaine, défendu par Amnesty International entre autres dans une déclaration publiée le 12 mars] avait été averti depuis des années.
Selon le mensonge officiel, Luis Carlos Díaz et Nelson Bocaranda Sardi [né en 1945, journaliste réputé ayant reçu le prix de «meilleur journaliste» par ses collègues] étaient au courant que la panne électrique allait se produire.
Nelson Bocaranda Sardi, un journaliste vétéran de la TV, de la radio, de la presse, et aujourd’hui un journaliste d’investigation online, est un des journalistes les plus réputés du pays. Il fut pendant des mois la seule source d’information fiable sur la maladie mortelle de Hugo Chávez quand le régime [en octobre 2012] Maduro répétait à la nation que le Comandante se rétablissait.
Luis Carlos Diaz est un cyber-militant, journaliste radio et contributeur occasionnel à Caracas Chronicles. Il a commencé à travailler sur les nouveaux médias et la liberté d’expression au journal d’informations (TJ) RevistaSIC et s’est acquis ensuite une réputation internationale par ses contributions à de multiples canaux et ses explications sur les droits des usagers et le journalisme online.
Ce mensonge [face à son égard] a été extrait des paroles des deux journalistes incriminés. Le tout a ensuite été remonté avec malice et reformulé de manière tendancieuse sur un clip conçu pour tromper.
Cette vidéo, diffusée le 8 mars, prétend que Luis Carlos et Nelson étaient au courant que la panne d’électricité allait se produire, en même temps que le sénateur états-unien Marco Rubio [président de la Chambre des représentants de la Floride entre 2006 et 2008, élu sénateur républicain de Floride et qui mène campagne (électorale) pour une intervention directe des Etats-Unis au Venezuela] – le coupable principal de la panne d’électricité, selon le régime de Maduro – et le président par intérim Juan Guaidó.
En réalité, la bande originale a été «réorganisée» avec malignité. Dans les faits, Luis Carlos et Nelson parlaient de la possibilité d’un black-out des communications organisé par des hackers russes et chinois pour rendre impossible de diffuser des nouvelles de ce qui se passe au Venezuela [ce thème concernait y compris Aporrea et suscita certaines appréhensions auprès de semi-chavistes – Réd.]. Mais la vidéo, qui reprend les attaques précédentes de la propagande contre Luis Carlos, est un montage inapte de leurs paroles pour leur faire dire qu’ils avaient prévu le black-out, plus exactement la panne électrique quasi généralisée à tout le pays, avant qu’elle n’ait lieu, le jeudi après-midi.
Diosdalo Cabello est un ancien lieutenant qui avait pris part avec Hugo Chavez aux tentatives de coups d’Etat de 1992 contre le gouvernement élu du président Carlos Andrés Pérez [ce dernier fut élu en 1988 avec 52,91% des voix, puis en condamné et suspendu de ses fonctions en mai 1993 pour malversation; puis destitué, finalement, pour corruption – Réd.]. Depuis 2000, il est un des hommes les plus puissants du Venezuela. C’est lui l’instigateur de ce mensonge.
Il anime un show à la TV d’Etat VTV intitulé Con el mazo dando/ A coups de massue, qui est une véritable fabrique de mensonges. En tant que gorille en chef du régime, Diosdalo Cabello fait pleuvoir sur ses auditeurs un torrent de menaces, de discours de haine, pour susciter la peur: c’est l’aile la plus radicale du «chavisme-madurisme». Les Colectivos [organisations irrégulières du gouvernement], les forces paramilitaires qui exercent désormais l’essentiel de la répression, sont plus agressifs encore au micro.
Voilà comment ça s’est passé: aux alentours de 17h30 Luis Carlos a été vu pour la dernière fois à Union Radio où il travaille. Il montait sur sa bicyclette en disant qu’il rentrait chez lui pour une douche et reviendrait dans un moment.
Quelques heures plus tard, Maduro parlait à la TV pour développer un peu plus sa version de la cause de la panne d’électricité qui a paralysé le pays. Et Maduro de déclarer que deux des coupables avaient été arrêtés et avaient avoué!
Un peu avant minuit, l’épouse de Luis Carlos, Naky Soto – oui, cette journaliste tenace dont Caracas Chronicles avait l’habitude de publier les éditoriaux quotidiens – faisait savoir qu’il avait disparu.
Répondant à son appel à l’aide, nous avons tous lancé une campagne sur Twitter. Quelques journalistes et militants des droits humains sont allés au DGCIM (le Service militaire de contre-espionnage) et à la SEBIN (Servicio Bolivariano de Inteligencia Nacional ; service de renseignement) pour demander où était Luis Carlos. On leur a répondu qu’il n’était pas là. A 02h20 du matin, un peloton de la SEBIN faisait irruption dans l’appartement de Naky et de Luis Carlos. Celui-ci les accompagnait, menotté. Selon PROVEA («Le programme vénézuélien d’éducation et d’action pour les droits de l’homme», l’organisation la plus en vue sur ce terrain), le peloton de la SEBIN repartait en emportant quatre téléphones portables, trois ordinateurs portables, et un disque dur… et aussi de l’argent.
Naky, qui se rétablit d’un cancer du sein, a envoyé une vidéo après le raid de la SEBIN.
Plus tard, ce matin-là, Naky, accompagnée par des représentants de la communauté des journalistes et des organisations des droits humains, se sont présentés au bureau du Procureur général pour exiger sa libération.
Le chavisme a fait cela déjà de nombreuses fois.
Ils lancent une hypothèse absurde pour accuser un opposant de quelque chose que le régime a commis, et ils le mettent en prison pour étayer leurs accusations.
«Aujourd’hui, Luis Carlos, qui s’est donné pour mission d’expliquer comment Internet crée des espaces de liberté et d’oppression et comment le régime utilise les nouveaux médias pour répandre le mensonge et polluer la sphère publique, en a été victime.»
En 2002, ils ont tiré sur les manifestants qui marchaient sur la Palais de Miraflores et ils ont accusé plusieurs policiers et le commissaire à la sécurité Iván Simonovis du massacre: la plupart sont toujours encore en prison. Quelques années plus tard, ils ont accusé la banque Econoinvest du désastre du contrôle des changes et ils ont emprisonné dans un bâtiment militaire pendant plus de deux ans les responsables de la banque. En 2014, ils ont déclaré que Leopoldo López [responsable national du parti Volonté populaire] était responsable des morts tués par la répression d’Etat; il est toujours en résidence surveillée chez lui, après des années dans la prison militaire de Ramo Verde. Le membre du Congrès, Juan Requesens, lui, est enfermé dans la sinistre prison Helicoide du SEBIN, après avoir été accusé de participation à la conspiration pour assassiner Maduro avec un drone, l’année passée.
Et maintenant, Luis Carlos en est la nouvelle victime. Lui qui a consacré sa vie à expliquer comment Internet crée des espaces tant pour la liberté que pour l’oppression et à disséquer les manières avec lesquelles le régime fait usage des nouveaux médias pour répandre des mensonges et polluer l’espace public.
Il est le bouc émissaire pour la théorie fantaisiste de Maduro d’une «attaque électromagnétique». Parce qu’il est «un type calé en tout» et un «hacker», comme l’appareil de propagande l’affirme, il aurait aidé à pirater les systèmes complètement analogues, vieux de plusieurs décennies, qui produisent l’électricité pour notre pays.
Les Soviétiques étaient très forts dans ce genre de manipulation vicieuse visant à détruire quelqu’un. Ils savaient, et nous savons: tout commence par un mensonge. (Article publié dans Caracas Chronicles en date 12 mars 2019; traduction A l’Encontre)
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