Revaloriser les agricultures locales

Nous publions ci-dessous, pour information, notre traduction des conclusions finales de l’Atelier 17 de la Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et les Droits de la Terre-Mère, portant sur l’agriculture et la souveraineté alimentaire. Les 27 articles ont été débattus au cours de l’assemblée plénière du mercredi 21 avril dans l’amphithéâtre de Tiquipaya (ville du Département de Cochabamba) et mis en consultation lors de l’assemblée plénière du 22 avril 2010. Plus d’une formulation de ce texte spécifique – au-delà des idiosyncrasies culturelles pouvant créer des malentendus – devraient être un sujet de discussion. Certaines intonations quasi mystiques ne peuvent être ignorées au nom du risque de sombrer dans l’«eurocentrisme». (Réd.)

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Les mouvements sociaux et les organisations populaires réunies à Cochabamba, Bolivie, dans le cadre de la Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et les Droits de la Terre-Mère constatent que, malgré nos nombreuses mobilisations et nos constantes dénonciations, les gouvernements capitalistes, les organisations internationales et les institutions financières internationales restent engagés sur la voie d’une aggravation de la destruction de la planète. Le changement climatique est une des menaces les plus sérieuses portées contre la Souveraineté Alimentaire de tous les peuples du monde. Une fois de plus, nous constatons que:

1. L’industrie agroalimentaire, à travers son modèle social, économique et culturel de production capitaliste mondialisée, avec sa logique de production d’aliments pour le marché plutôt que pour satisfaire le droit à l’alimentation, est une des principales causes du changement climatique. En effet, les principales causes de la crise climatique et de la croissance du nombre de personnes affamées dans le monde sont: le changement de l’utilisation du sol (déforestation et expansion de la frontière agricole), les monocultures, la production, la commercialisation et l’utilisation de composants agrotoxiques et agrochimiques, le traitement industriel des aliments et toute la logistique pour transporter les denrées sur des milliers de kilomètres afin d’atteindre le consommateur, la production de gaz à effet de serre dans les gigantestques dépôts de déchets et de fumier liés à l’élevage industriel intensif.

2. La déprédation et la destruction des aquifères, des sources et des nappes phréatiques ainsi que des écosystèmes et des cycles écologiques qui les font vivre sont indissolublement liées aux processus de privatisation impulsés par les gouvernements capitalistes et les organisations internationales. Nous observons comment le changement climatique détruit des glaciers et d’autres sources d’eau, en même temps que se rétrécit de jour en jour le droit fondamental des êtres humains d’avoir accès à l’eau potable et à l’eau nécessaire pour la production d’aliments. Or, ces développements sont dus aux avancées de l’industrie agroalimentaire, de l’exploitation minière, de l’extraction d’hydrocarbures, du traitement industriel des aliments, des plantations forestières, de la plantation et de la production d’agrocombustibles, de l’aquaculture industrielle et des mégaprojets hydroélectriques.

3. Le déploiement territorial de mégaprojets d’infrastructure au service du capital modifie les processus naturels, sociaux et culturels, rendant impossibles les formes de cohabitation harmonieuse avec la Terre-Mère à cause de la destruction des moyens nécessaires à la vie, de l’expulsion de leurs territoires des communautés paysannes, indigènes / autochtones et des communautés de pêcheurs sous l’effet des facilités offertes à l’expansion du modèle agro-exportateur hyperintensif.

4. Le changement climatique entraîne des migrations forcées dans les régions rurales et constitue une menace pour les peuples indigènes / autochtones et pour les communautés paysannes et de pêcheurs. Ce sont ces communautés qui subissent le plus de ravages lorsque sont détruits leurs moyens d’existence, leurs savoirs agricoles ancestraux et locaux et leurs identités.

5. Les agrocombustibles (agrocarburants) ne constituent pas une alternative car ils privilégient une production agricole destinée au transport par rapport à la production agricole [destinée à la consommation locale par] des êtres humains. Les agrocombustibles repoussent la frontière agricole en stimulant la concentration des terres, ils détériorent les sols, épuisent les sources d’eau, contribuent à la hausse des prix des aliments et consomment davantage d’énergie qu’ils n’en produisent.

6. Les organismes génétiquement modifiés (OGM) ne sont pas non plus une solution pour le changement climatique. Ils sont exclusivement utilisés par des firmes transnationales [Monsanto, Syngenta] pour contrôler les semences et l’alimentation au niveau mondial. Ils constituent une atteinte sérieuse aux connaissances locales, à la santé des personnes, à l’environnement et à l’autonomie régionale, et empêchent de respecter effectivement le Droit à l’alimentation.

7. Continuent à se développer des technologies au service des intérêts des grands capitaux, technologies que l’on présente comme pouvant résoudre les différentes crises qu’affrontent actuellement la Terre-Mère et l’Humanité. Elles comprennent entre autres la géoingéniérie [manipulation délibérée du climat], les nanotechnologies, les technologies de type Terminator [création de semences stériles] et d’autres du même genre, la biotechnologie synthétique et le biochar [charbon de bois produit à partir de la biomasse]. Or, ces technologies constituent de fausses solutions, car elles sont utilisées pour favoriser l’accumulation du capital et pour constituer d’importants marchés pour les transnationales. Elles ne feront qu’aggraver la dépendance, la concentration [du pouvoir socio-économique et politique] et la destruction.

8. La progression de la libéralisation des échanges, grâce entre autres aux accords d’association économique et aux traités de libre-échange et de protection des investissements, constitue une attaque directe contre la souveraineté des pays et des peuples, contre l’autonomie des Etats et contre la capacité d’action multilatérale des organismes internationaux. A mesure que cette liberté de commerce déploie ses effets, les impacts destructeurs – sur les économies locales, sur la Souveraineté Alimentaire, sur l’environnement ainsi que sur les droits sociaux et culturels des peuples comme sur les droits de la Terre-Mère – augmentent.

9. L’actuelle aggravation de l’accaparement des terres et des océans par des groupes économiques, des entreprises transnationales et des capitaux spéculatifs aussi bien étatiques que privés constitue l’une des agressions les plus graves et imminentes qu’affrontent les peuples et leur souveraineté alimentaire, sociale et politique. L’extrême concentration des terres et leur passation en mains étrangères, aggravées par les actuelles normes de libre-échange, portent atteinte à la biodiversité végétale et animale, aux réformes agraires et aux processus de recomposition des territoires indigènes et paysans pour lesquels les mouvements sociaux ont lutté sans relâche.

10. Les diverses formes de propriété intellectuelle sont un instrument de privatisation qui détruit les systèmes de connaissance autochtones et locaux, traditionnels et scientifiques, en limitant l’utilisation et la conservation de la biodiversité agricole et en rendant illégales les pratiques culturelles et agricoles locales, communautaires et ancestrales. Face à cette réalité que subissent les peuples du monde entier, les mouvements sociaux et les organisations populaires réunies dans cette Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique (CMPCC) s’engagent à continuer à lutter pour des solutions d’ensemble et à se mobiliser jusqu’à ce que les gouvernements respectent leur devoir de les promouvoir. Nous centrerons nos efforts sur la réalisation de la Souveraineté Alimentaire, en défendant et en appuyant l’agriculture paysanne et indigène en tant que source d’aliments, de dignité et d’identité, et en tant qu’alternative réelle et concrète pour refroidir la planète, en faisant de l’équité de genre l’axe de nos actions.

11. Voici les solutions que nous estimons être prioritaires: récupérer et valoriser les agrocultures [agriculture porteuse de diversité et de durabilité,inscrite dans un terroir] conjointement aux formes de vie locales, paysannes et indigènes / autochtones ainsi que les systèmes de connaissance ancestrales de production et de récolte des aliments, les systèmes locaux et traditionnels de santé, qui ont été détériorés et sous-estimés par la logique agro-industrielle orientée vers la surproduction, l’exportation et la génération de profits, en soulignant que la Souveraineté Alimentaire est la voie pour répondre au changement climatique et pour y apporter des solutions.

12. Promouvoir les systèmes de production agricoles susceptibles d’éviter d’endommager la Terre-Mère et assurer leur financement ainsi que des politiques et des mécanismes de contrôle social participatifs et publics. Ceux-ci doivent inclure la recherche aussi bien que l’investissement public en vue d’éliminer l’utilisation de produits à base de pétrole, d’améliorer la composition organique du sol, de réduire les pertes post-récolte, de renforcer les marchés locaux, de promouvoir l’agriculture urbaine, de protéger les sources et les nappes phréatiques et de soutenir l’agriculture familiale paysanne indigène / autochtone et la Souveraineté Alimentaire.

13. Défendre, revaloriser et diffuser le modère soutenable de production agricole paysanne et indigène / autochtone, ainsi que d’autres modèles et pratiques ancestrales écologiques qui contribuent à résoudre le problème du changement climatique et à assurer la Souveraineté Alimentaire. Celle-ci est comprise comme le droit de tous les peuples à contrôler leurs propres semences, leurs terres, leur eau et leur production alimentaire. Elle consiste ainsi à garantir, par une production localement et culturellement adaptée et en harmonie avec la Terre-Mère, l’accès des peuples à des aliments en suffisance, variés et nutritifs, en accord avec la Terre-Mère, tout en approfondissant la production autonome (participative, communautaire et partagée) de chaque nation et de chaque peuple. Parallèlement, nous refusons l’uniformisation alimentaire au l’échelle mondiale, avec ses effets nutritionnels, environnementaux, sociaux, culturels et sanitaires.

14. Reconnaître le droit de tous les peuples, des êtres vivants et de la Terre-Mère d’accéder à l’eau et d’en bénéficier. De même, reconnaître le droit des peuples et des pays à contrôler, réguler et planifier l’utilisation et la gestion respectueuses et solidaires de l’eau et de ses cycles dans le cadre des accords et des conventions internationales et du droit coutumier. Il s’agit également d’interdire toute forme de privatisation et de marchandisation de l’eau, en créant des organes de participation populaire pour en réguler les usages multiples, tout en protègeant sa qualité et en planifiant son utilisation future pour la consommation des êtres vivants et pour la production alimentaire. Dans ce cadre, nous soutenons la proposition du gouvernement de la Bolivie de reconnaître l’accès à l’eau comme un Droit humain fondamental, tel que stipulé dans la « Déclaration du droit humain à l’eau », que nous considérons comme un pas important dans la bonne direction.

15. Interdire les technologies et les processus technologiques qui mettent en péril le bien-être et la survie de la Terre-Mère et des êtres vivants et qui sont impulsés exclusivement en raison de leur potentiel en termes de profits pour un nombre restreint d’entreprises, alors qu’elles provoquent et accélèrent le changement climatique. Cela concerne notamment les agrocombustibles, les organismes génétiquement modifiés, les nanotechnologies, la géoingéniérie et toutes ces technologies qui, sous prétexte d’aider le climat, portent en réalité atteinte à la Souveraineté Alimentaire et agressent la Terre-Mère. Interdire à l’échelle mondiale, de manière définitive, les technologies du type Terminator, les pharmacultures et autres processus similaires.

16. Interdire la pêche au chalut car elle est déprédatrice et destructrice de la biodiversité tout en supprimant les moyens de subsistance des pêcheurs artisanaux.

17. Interdire l’extraction minière à grande échelle qui pollue et détruit les écosystèmes, conduit à l’expulsion des populations locales, pollue les cours d’eau et menace la souveraineté alimentaire des peuples.

18. Refuser, condamner et interdire toute stratégie politico-militaire et commerciale qui attente à la souveraineté alimentaire des peuples et les rend vulnérables au changement climatique.

19. Défendre la primauté des droits humains, économiques, sociaux et culturels, des droits de la Terre-Mère et la biodiversité par rapport aux TRIPS (traités qui protègent la propriété intellectuelle dans le cadre de l’OMC) et tout autre accord commercial et de droit international. Les pays doivent également assurer le respect du caractère collectif des connaissances des communautés indigènes / autochtones et paysannes, et par conséquent le droit collectif de décision en ce qui concerne l’accès à ces connaissances et à leur utilisation. Les dispositions que prendront les pays pour assurer l’application de ces mesures ne devraient pas être l’objet de litige par des règles d’accords commerciaux conçues pour renforcer ou protéger les droits de propriété intellectuelle. Toute recherche formelle développée avec le soutien public doit être un bien public, non sujet aux règles de propriété intellectuelle qui restreignent le partage de l’information.

20. Interdire le brevetage et toute forme de propriété intellectuelle sur toute forme de vie et de connaissance ancestrale et traditionnelle, et annuler les brevets existants.

21. Interdire les pratiques de dumping (vente de produits en dessous de leur coût de production) et les pratiques commerciales déloyales de la part des pays industrialisés, pratiques qui entraînent une distorsion des prix des aliments et qui portent atteinte à la souveraineté alimentaire, rendant les pays non industrialisés plus vulnérables au changement climatique.

22. Créer des politiques et des normes afin de protéger la petite production nationale d’aliments, y compris avec les subsides considérés comme nécessaires pour le secteur agricole. Il faut aussi garantir le droit à ériger des barrières douanières équivalentes aux subsides incorporés dans des produits exportés tout en permettant la libre circulation des productions locales.

23. Affirmer que pour résoudre les problèmes du changement climatique il est fondamental de renforcer et d’élargir les systèmes agroalimentaires paysans, autochtones, d’agriculture urbaine et de pêche artisanale. Cela signifie qu’il est nécessaire non seulement de changer la logique de la production industrielle d’aliments destinée au marché global et à la recherche de profit, mais aussi de changer la vision qui considère la terre comme une ressource à exploiter, sans droits, servant à satisfaire l’avarice de l’être humain. Les peuples réunis dans cette Conférence affirment que la planète est un être vivant avec des droits et doué d’esprit.

24. Impulser des processus larges, profonds et authentiques, de Réforme Agraire Intégrale et de reconstitution de territoires des indigènes, des peuples afrodescendants et des paysans. Ces processus devraient être développés par les peuples sur un mode participatif et avec une approche de genre. Leur objectif est que les peuples paysans et indigènes / autochtones ainsi que leurs cultures et formes de vie reprennent leur rôle central et fondamental dans les agricultures du monde, en vue d’obtenir la Souveraineté Alimentaire et retrouver une harmonie pour œuvrer à l’équilibre climatique de la planète. Une réforme agraire de ce type doit impliquer le respect des connaissances locales et ancestrales et garantir les moyens nécessaires pour assurer la production de toutes les étapes de la chaîne alimentaire (culture, transformation, commercialisation). Nous exigeons la reconnaissance des droits des peuples indigènes qui se trouvent en isolement volontaire, et le respect de leurs territoires.

25. Promouvoir et consolider l’éducation intégrale (spirituelle, matérielle et sociale) concernant la Souveraineté Alimentaire en tant que support des transformations nécessaires, en intégrant ses propositions à tous les niveaux de l’éducation, aussi bien formelle que non formelle. Cela implique le développement des contenus tirés des réalités locales sur la base d’une conception pluriculturelle et avec la pleine participation des communautés, en veillant à répondre aux besoins de chaque région et de chaque communauté. En même temps, nous affirmons que l’information et la communication élargies sur ces thèmes représentent un des plus importants défis que nous devons affronter.

26. Déclarer que les semences autochtones ou locales (criollas) font partie du patrimoine des peuples au service de l’humanité, base fondamentale de la Souveraineté Alimentaire et d’un libre-échange soumis à la volonté des peuples indigènes / autochtones (originaires) et des paysans. Ces semences devront être gérées et multipliées par « les gardiens de semences » en accord avec les cultures de chaque peuple.

27. Exiger que les discussions sur le changement climatique et les législations nationales portent aussi sur l’impact du réchauffement global sur la Souveraineté Alimentaire. (Traduction A l’encontre )

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