Par Ricardo Antunes
Si le programme dit de la «Bourse Famille» constitue l’exemple du plus pur «assistancialisme», il a fait que les «programmes sociaux» de l’ex-président Fernando Henrique Cardoso (FHC – président de 1995 à 2000) ressemblent à l’aumône donnée à la fin de la messe. (Réd.)
Tout le processus électoral brésilien [qui s’est conclu par la victoire de Dilma Roussef, économiste de 62 ans, candidate de Lula, puis du Parti des travailleurs le 31 octobre 2010] a été guidé par le dualisme électoral, sans excitation ni émotion aucune.
Il s’est résumé à une dispute entre deux blocs représentant l’ordre: d’un côté, se tenait un «toucanat» [le toucan est le symbole du Parti de la social-démocratie brésilienne, représenté par José Serra] désenchanté et fracturé; de l’autre, un lulisme, très en forme, tiré par son leader et faisant tout pour que l’image de «sa créature» soit associée à celle de son créateur.
Et, à la base de tout cela, les puissants capitaux qui se trouvaient ancrés dans un port sûr, avec la certitude que la source d’où ils tirent leur butin serait préservée, quel que soit le résultat. Dernier élément, l’élection était une bataille définie par les règles habituelles d’un marketing politique quasi «scientifique» que les capitaux connaissent si bien.
Mais hors de ce contexte, plus de 36 millions d’électeurs et électrices ont choisi l’abstention, le vote nul ou le vote blanc, une manifestation très multiforme et lourde de signification. Ce fut d’ailleurs en fonctionnant comme une sorte de tuyau d’écoulement de ce mécontentement que Marina Silva [Parti Vert] a décollé au plan électoral [19,3%].
Mais celle-ci a abordé la question environnementale sans toucher à aucun point essentiel, en essayant d’arranger tout le monde et de n’offenser personne. Quant à Plínio de Arruda Sampaio [candidat du PSOL, d’origine chrétienne et âgé de 80 ans, disposant d’un grand prestige dans le domaine de la réforme agraire et de son évolution vers la gauche], qui a dit dans sa campagne ce qui devait être dit, sans faire aucune concession médiatique, il a recueilli une parcelle – petite mais de qualité – du vote dissident [0,87%].
Les deux candidats en présence au second tour ayant des programmes très semblables, la campagne ne pouvait être différente. Le solde primaire [le solde primaire des opérations de l’Etat présente la différence entre les recettes et les dépenses publiques, avant le paiement des intérêts de la dette publique], la haute rémunération des taux d’intérêt, la politique de stabilisation monétaire et les faveurs accordées au grand capital, faisait consensus dans le duel électoral.
Si FHC a créé le Plan Real [1994-2004], Lula l’a poursuivi. Si le toucanat a toujours rémunéré les capitaux, Lula, tel un Bonaparte, les a augmentés, menant l’agrobusiness aux cieux et laissant la réforme agraire au purgatoire. Les différences ne sont au fond que des nuances d’intensité de la privatisation du secteur public et d’élitisme de la politique d’assistance [bourse famille].
Si le premier gouvernement Lula a provoqué de l’envie au sein du toucanat, par les pressions qu’il a réussi à réaliser (il suffit de penser à la taxation des retraités et aux projets de «partenariat public-privé» [porte ouverte à la privatisation], ce fut dans la bataille électorale pour la réélection, en 2006, qu’une stratégie de marketing menée dans la campagne luliste découvrit que la population était exténuée et qu’elle subissait beaucoup de privations à cause de la privatisation.
Alors Lula a fait de cette «constatation» non seulement la pierre de touche de sa victoire contre Geraldo Alckmin [candidat du PSDB en 2006 contre Lula, ancien gouverneur de Sao Paulo], mais de la victoire coup de théâtre de Dilma contre Serra. Le toucanat, qui est associé à l’idée même de privatisation, n’imaginait pas que la population pourrait miser sur cette carte: Dilma [présentée comme une ancienne de la guérilla de Carlos Marighela et Carlos Lamarca dans la seconde moitié des années soixante, mais, depuis lors, devenue ministre de l’Energie, un secteur clé pour le Brésil, puis nommée par Lula à la tête de la Maison civile, ce qui est l’équivalent français de premier ministre].
Cela sans parler du fait que si la Bourse Famille est l’exemple du plus pur «assistancialisme», elle fait néanmoins – si l’on ne considère que l’aspect quantitatif – que les «programmes sociaux» de FHC ressemblent à l’aumône distribuée aux pauvres à la fin de la messe.
De plus, même si le salaire minimum de Lula est une provocation pour un pays qui se veut économiquement avancé, lorsqu’on le compare à celui de FHC, il est bien supérieur et il met en évidence le mépris dont le toucanat a fait preuve face au salaire des travailleurs et travailleuses.
Finalement, si l’on veut comprendre l’importance que Lula a eue lors des élections, il faut aussi considérer que durant la crise financière [2008] Lula a essayé de mettre en avant l’idée d’un l’Etat-antidote, créant dans l’imaginaire populaire l’idée fallacieuse d’un gouvernement plus interventionniste qu’il ne le fut en réalité.
Mais lorsque dans le calme on tentera de mieux comprendre le règne de Lula, on ne pourra cacher sous le tapis son premier mandat.
Pour conclure, il est bon de rappeler que les similitudes et les différences entre FHC et Lula sont bien curieuses. Alors que FHC a bien terminé son premier mandat et s’est sali dans le second, il s’est passé exactement l’inverse avec Lula. (Traduction A l’encontre)
* Ricardo Antunes est professeur de sociologie à l’Institut de Philosophie et de Sciences Humaines de l’Unicamp [Université de Campinas – Etat de São Paulo] et auteur de «La Désertification Néolibérale au Brésil» (Ed. Autores Associados, 2004), parmi de nombreux autres titres. Les Editions Page deux vont, dans les mois à venir, publier deux ouvrages de Ricardo Antunes, dont l’un sur le thème Marx et le travail.
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