Selon les analystes, le vigoureux retour de l’opposition au sein du parlement vénézuélien fortifie le pluralisme, bien que cette situation risque aussi de conduire à moyen terme à une nouvelle crise politique.
Avec presque 99% des bulletins de vote dépouillés, le Pouvoir Electoral a annoncé que le Partido Socialista Unido de Venezuela (PSUV – fondé en 2007 et prenant appui sur le gouvernement de Chavez) au pouvoir ainsi que son allié, le petit Parti Communiste, se sont assurés au moins 98 des 165 sièges qui composent la monocamérale Assemblée Nationale Législative, alors que la coalition d’opposition Mesa de la Unidad Democrática (MUD) en a obtenu 63.
Deux autres sièges sont revenus à Patria Para Todos (PPT), le regroupement de gauche (izquierdista) qui a rompu avec le gouvernement cette année, et les deux derniers sièges à repourvoir restent l’objet d’une dispute jusqu’à ce dimanche [3 octobre 2010].
Mais en ce qui concerne la quantité des votes, la MUD a recueilli 5’448’864 suffrages, ce qui représente le 48% du total dépouillé jusqu’à maintenant, l’alliance du PSUV en a recueilli 5’259’998, qui équivalent à 46,4 pour cent, le PPT a obtenu 330’260 votes, c’est-à dire le 2,9%, et le reste des votes se sont portés en faveur de minuscules regroupements, majoritairement d’opposition, ou ont été déclarés nuls ou blancs.
Quant à la participation aux urnes, les autorités ont annoncé qu’on avait atteint le 66,45 pour cent des 17,6 millions de votants inscrits sur les listes électorales de ce pays qui compte 28,8 millions d’habitants.
Le coordinateur de la MUD, Ramón Aveledo, a dit : «Le peuple vénézuélien a parlé». Et, après avoir fait l’addition de tous les votes étrangers à l’officialisme [le pouvoir «bolivarien»], il a ajouté : «Ceux qui sont les adversaires du gouvernement représentent le 52 pour cent de l’électorat et l’Assemblée actuelle (qui terminera ses travaux en janvier 2011) ne représente donc plus le Venezuela. Ainsi, celle-ci ne doit pas, et moralement et politiquement elle ne le peut pas, décider en matière de législation.»
Affirmation à laquelle le chef de campagne et député élu du PSUV, Aristóbulo Istúriz, a répondu : «Nous allons légiférer jusqu’au dernier jour, qu’ils se préparent à cela. Nous n’atteignons pas la majorité des deux tiers des sièges, mais nous avons obtenu une victoire indiscutable.»
Quant au président du Venezuela, Hugo Chávez, il a déclaré sur le réseau social d’Internet Twitter que les élections constituaient «une nouvelle victoire du peuple» et qu’il fallait «continuer à renforcer la révolution».
Des analystes politiques tels qu’Eduardo Semtei considèrent que Chávez maintiendra «le pied sur l’accélérateur» de ses initiatives de changements politiques et économiques dans la société vénézuélienne, ce qui le conduira à de nouveaux chocs avec les forces d’opposition.
«Une crise politique s’approche, peut-être dans les prochains mois, parce qu’avec son succès électoral, la société qui s’oppose au projet de Chávez se sentira plus forte et qu’elle va réagir face aux mesures qui seront prises contre elle», a déclaré à IPS le sociologue et professeur de sciences politiques, Carlos Raúl Hernández.
Selon Hernández, «ce qui s’est passé au Venezuela peut être qualifié d’historique, au risque de tomber dans un lieu commun, parce que cela constitue l’arrêt et même le naufrage du projet d’exhumer et de rééditer, par la voie électorale, un socialisme de type communiste après que celui-ci est mort à la fin du siècle passé en tant que phénomène culturel d’Occident».
Face à la rue et à l’opinion internationale, l’opposition continuera à avancer sous le mot d’ordre du «nous sommes la majorité», mis en avant pendant toute la campagne, alors que l’officialisme s’appuiera sur la légalité formelle et le contrôle par les «hommes du président» de presque tous les leviers du pouvoir politique et économique, au niveau aussi bien national que des Etats (propres à la structure fédéraliste du pays).
Au parlement, le gouvernement ne disposera pas des deux tiers que Chávez avait fixés comme victoire nécessaire, cette majorité qualifiée étant exigée pour approuver des lois organiques, de rang plus important que les lois ordinaires et par lesquelles l’architecture politique, économique, sociale et institutionnelle du pays se reconfigure.
Cette majorité est aussi nécessaire pour nommer ou révoquer les magistrats du Tribunal Suprême de justice et ceux des pouvoirs électoraux et citoyens que sont la Fiscalía [le Ministère public], la Contraloría [une sorte de Cour des Comptes] et la Defensoría du Peuple [une institution créée en 1999 et inscrite dans la Constitution], instances toutes aux mains aujourd’hui de personnalités acquises à Chávez.
L’ex-leader de gauche Teodoro Petkoff [1], devenu le phare idéologique de l’opposition, avait estimé que, bien que minoritaire, l’opposition parlementaire jouerait un rôle distinct de celui joué dans la période 2000-2005, «quand elle avait fait partie d’une stratégie golpiste» (coup d’état). «Maintenant elle se propose de renverser le pouvoir de Chávez par des voies absolument démocratiques», a-t-il assuré.
En 2005, par méfiance de l’arbitre [le Conseil national électoral], l’opposition s’était retirée de la course électorale de renouvellement du parlement, laissant ainsi à l’officialisme tous les sièges. Ultérieurement, une douzaine de députés s’était distanciée de Chávez ou était passée à l’opposition, mais sans altérer la décision du PSUV de légiférer à son bon plaisir et même d’habiliter le président à élaborer des décrets-lois.
Des mesures de ce type, l’Assemblée actuelle peut en adopter dans les trois mois d’activité qui lui restent, en habilitant notamment le président Chávez à légiférer par décret, pour la quatrième fois depuis 1999.
Hernández et Semtei n’ont pas examiné en détail la captation de députés officialistes par le PSUV, mais ils croient possible un processus inverse, comme cela s’est produit dans le passé, ce qui pourrait encourager la résistance aux mesures de changement qu’adopterait le gouvernement.
La crise, ajoutent-ils, peut diposer d’un bouillon de culture dans la détérioration d’indicateurs économiques et sociaux, ceux que l’on accuse déjà de causer ou de contribuer au recul électoral du gouvernement et de la personne de Chávez. Parmi les problèmes posés, on compte : la forte inflation, le chômage et le sous-emploi persistants, la criminalité élevée, le manque de logements et de services tels que l’électricité.
Le leader vénézuélien a été réélu avec 7,3 millions de votes en 2006, mais en a perdu deux à trois millions lors des élections consultatives de 2007 et de 2009.
Pour faire face, avec un caractère d’affrontement, à la crise qui pourrait venir, l’opposition politique est stimulée par l’échéance de l’élection présidentielle prévue pour décembre 2012, après le succès qu’elle en remporté en formant la MUD, une coalition de 20 partis nationaux.
La MUD a renforcé sa majorité dans les Etats qu’elle avait gagnés lors des élections régionales de 2008 et a progressé dans d’autres endroits, comme dans l’Etat pétrolier oriental de Anzoátegui et dans le District Capitale (Caracas ouest), où, bien que par une marge très étroite, pour la première fois depuis 1998 les supporters de Chávez perdent une consultation.
Sont sortis du lot avec leurs succès de dimanche Pablo Pérez, gouverneur de l’Etat pétrolier de Zulia, où l’opposition a conquis 13 des 16 sièges en jeu, et Henrique Capriles, dans l’Etat de Miranda, qui couvre une partie de Caracas et une province à l’est de la ville où la MUD a obtenu 700’000 suffrages face au demi-million du PSUV. (Traduction A l’Encontre)
* Correspondant d’IPS à Caracas. Ecrit le 27 septembre 2010
1. Membre de la guérilla de Douglas Bravo dans les années 1960 contre le gouvernement de Romulo Betancourt, il rejoint le PC, puis en sort en 1971 et crée le MAS –Mouvement pour le socialisme ; il se «convertit» au néo-libéralisme dans les années 1990 et devient ministre de la planification sous le gouvernement de Rafael Caldéras au milieu des années 1990.
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