Le prix de l’occupation et les chiffres de «l’aide à la reconstruction»

La MINUSTAH et «l'aide»

Par José Luis Patrola

Ceux qui ont déjà parcouru le territoire haïtien savent que le vaudou est une pratique religieuse présente dans une grande partie de la population. C’est surtout parmi les paysans que ce culte est très fort. Puisqu’il s’agit d’un culte religieux, ce qui se passe réellement dans les cérémonies et les célébrations vaudou reste entouré d’un grand mystère. Néanmoins, après avoir passé une année et demie dans ces terres, j’ai pu vérifier qu’en tant que religion le vaudou a ses avantages et ses inconvénients sur le plan de la libération et la formation de la conscience des Haïtiens. Le vaudou, ou toute autre religion, n’utilise pas nécessairement le mensonge dans sa pratique. Ce sont les gens qui croient volontairement ce qui s’y dit ou ce qui s’y fait.

Les chiffres présentés lors de la réunion à New York [1] comme base du Plan de Reconstruction de Haïti ne sont pas mensongers. Le chiffre de 5’300 millions de dollars a été énoncé. Les Etats-Unis et l’Union Européenne se présentent comme les principaux donateurs. Le président haïtien, René Garcia Preval, écoutait ces chiffres avec quelque méfiance. Il sait que les nombres ne mentent pas, mais qu’ils peuvent par contre être trompeurs.

Les chiffres présentés par Ban Ki-Moon sont vrais et correspondent à la réalité. La plupart des personnes présentes à la réunion sont restées silencieuses devant ces beaux chiffres et les perspectives de reconstruction d’un pays qui était déjà en ruines de longues années avant le tremblement de terre du 12 janvier 2010. La Banque Mondiale et le FMI se présentent comme étant deux grandes coordinatrices de l’important budget que l’on mettra sur pied avec l’aide inestimable de Bill Clinton et de George W. Bush.

Le chiffre de 5’300 millions (5,3 milliards) de dollars ne ment pas, mais il occulte un autre chiffre, très important, en rapport avec le premier. En effet, la majorité des participants à la réunion de New York a oublié que l’occupation militaire qui a été installée à Haïti depuis 2004 a nécessité plus de 3’600 millions (3,6 milliards) de dollars pour son entretien. En même temps, les charmants chiffres présentés ne révèlent pas l’ensemble du calcul. Les 13’000 soldats états-uniens envoyés à Haïti depuis le tremblement de terre impliquent une dépense de 468 millions de dollars par année et ce uniquement en termes de salaire. En même temps, l’augmentation de 3’500 personnes dans le corps de la MINUSTAH [Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti, sous commandement brésilien], après le tremblement de terre, accroît les dépenses de 126 millions de dollars annuels, rien que pour le paiement des salaires.

Par ailleurs, ceux et celles qui ont présenté, le 31 mars, le «plan de reconstruction» n’ont fait aucun commentaire sur le fait que Haïti a une dette extérieure supérieure à 1’300 millions (1,3 milliards) de dollars contractée il y a des décennies et payée mensuellement par les mêmes organismes qui vont coordonner le plan d’aide.

D’après les militaires eux-mêmes, le coût d’un soldat de rang inférieur déployé pour des services militaires à Haïti atteint 3’000 dollars par mois de salaire. Alors que le salaire minimum haïtien est de 60 dollars par mois. Autrement dit, un militaire venant de n’importe où dans le monde reçoit chaque mois l’équivalent de quatre ans de travail d’un Haïtien «vivant» avec salaire minimum. Le salaire versé à un soldat durant une année, soit 36’000 dollars, équivaut donc à 50 ans de travail d’un Haïtien.

Le petit calcul ci-dessus démontre que les chiffres peuvent tromper. La majorité des participants à la réunion de New York n’ont fait aucun commentaire sur la forme de paiement de ce nouveau prêt dont va bénéficier Haïti. Même pas René Préval, le président d’Haïti. Qui va donc payer les nombreuses entreprises états-uniennes mentionnées par George W. Bush et qui sont déjà engagées et désignées pour agir dans différentes zones du pays détruit? Aucune entreprise ne va travailler sans être bien rémunérée. Par ailleurs, un prêt est un prêt ; et Haïti devra rembourser cet argent, bien que ce pays paie depuis longtemps une dette qui n’est pas la sienne.

Les instances chargées de la reconstruction de Haïti sont les mêmes qui ont imposé les plus importants ajustements structurels à l’économie haïtienne durant ces dernières années, frappant durement tous les services publics: comme la santé, la construction de routes et d’écoles. Ce sont aussi les mêmes qui ont écrasé, au moyen d’accords de libre-échange, l’économie agricole dont vit 70% de la population haïtienne. Ce sont donc les mêmes instances qui perçoivent tous les mois les paiements d’une dette honteuse, les mêmes qui ont conduit Haïti à la pauvreté, qui reviennent sur le devant de la scène mondiale en tant que héros d’une bataille contre la pauvreté.

La réunion à New York a présenté quelques chiffres au monde comme s’il s’agissait d’un calcul mathématique exact, sans risques d’erreurs. Cinq milliards trois cents millions de dollars. Les voix de Cuba et du Venezuela se sont élevées contre l’arbitraire de la mathématique de ces chiffres réels mais trompeurs. La somme de 5,3 milliards de dollars est un mensonge dissimulé sous l’aspect évident de la science exacte. Ils sont en train de frapper Haïti avec une cruelle épée financière. Et ils sont en train de frapper l’esprit du monde en prétendant que les chiffres sont exacts.

J’en appelle aux esprits de Capois La Mort, de Toussaint Louverture, de Henri Christophe et de Jean Jacques Dessalines [2] pour qu’ils réveillent la conscience internationale, et surtout celle du peuple haïtien, pour que nous puissions nous élever contre toute cette cruauté et ces mensonges.

Les chiffres ne mentent pas, mais parfois ils sont trompeurs. (Traduction A l’Encontre)

* José Luis Patrola est professeur d’Histoire, membre du MST (mouvement des Sans terre) et coordinateur de la brigade de coopération entre la Via Campesina du Brésil et les organisations paysannes de Haïti.

1. Mercredi 31 mars 2010, les «donateurs internationaux» se sont réunis aux Nations unies à New-York afin de réunir «quatre milliards de dollars pour reconstruire Haïti». Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations unies a affirmé: «Nous envisageons aujourd’hui un renouveau national complet, un effort de refondation nationale à une échelle sans précédent depuis des générations». Cette réunion rassemblait quelque 120 pays et organisations. La Secrétaire d’Etat étatsuienne, Hillary Clinton, a promis 1,15 milliard de dollars pour «le redressement à long terme du pays». Bill Clinton était présent en qualité de représentant spécial de l’Onu pour Haïti, chargé de coordonner l’aide internationale. Banque Mondiale (Robert Zoellick) et FMI (Dominique Strauss-Kahn) étaient de la partie. (Réd.)

2. François Capois (176o-1806) dit Capois-La-Mort à cause de son courage sans égal. Esclave rebelle il combattit les troupes françaises, tout d’abord dans le Nord-Ouest. Capitaine en 1802, il reçut le grade de général en 1803.
Toussaint Louverture (né esclave en 1746 près de Cap Français, mort prisonnier au Château de Joux dans le Doubs – France). Il fut le premier dirigeant noir à avoir battu les forces d’une puissance coloniale européenne. Lire à son sujet: Jacques de Cauna, Toussaint Louverture et l’indépendance d’Haïti. Témoignages pour un Bicentenaire (Ed. Karthala, 2004) et de C.L.R. James Les Jacobins Noirs. Toussaint Louverture et la révolution de Saint Domingue (diverses éditions).
Henri Christophe (1767-1820) est le fils d’un esclave affranchi de Grenade du nom de Christophe. Il va combattre aux côtés de Toussaint Louverture dans le Nord. Dès 1806, il réside dans le Nord du pays où il forme un «royaume séparatiste». En 1807, il se proclame «président et généralissime des forces de terre et de mer de l’Etat d’Haïti.» En 1811 il deviendra «le roi Christophe» (ou Henri 1er).
Jean-Jacques Dessalines (1758 – assassiné le 16 octobre 1806). Il est né esclave à Saint-Domigue. Il devient lieutenant de Toussaint Louverture. En 1802, il organise la mutinerie contre le pouvoir napoléonien. Après la déportation de Toussaint Louverture – suite à une brève soumission au pouvoir français – il réorganise l’insurrection et va battre les troupes françaises en 1803. En 1804, il proclame l’indépendance d’Haïti ; il se fait nommer «gouverneur général à vie» et fin de devancer Bonaparte, empereur sous le nom de Jacques 1er. Son gouvernement décidera, dans un second temps, de mener une réforme agraire au profit des esclaves sans terre, ce qui conduira à son assassinat. (Réd).

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