Cuba. Une émigration qui suscite un branlebas en Amérique centrale

Migrants cubains à la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua: la «crise» apparaît de dimension dès le 12 novembre 2015
Migrants cubains à la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua:
la «crise» apparaît de dimension dès le 12 novembre 2015

Rédaction A l’Encontre

«Un drame». Le mot est sur beaucoup de lèvres à La Havane en cette période de fêtes, fin décembre, pour désigner la crise migratoire dans laquelle sont entraînés de milliers de Cubains, bloqués entre l’Equateur et le Nicaragua, dans l’attente d’un hypothétique visa pour les Etats-Unis. Ils sont entre 7000 et 10’000, au Costa Rica et au Panama, réfugiés dans des entrepôts et auberges de fortune. Et leur nombre augmente de manière exponentielle ces dernières semaines.

Résultat, le Nicaragua, le Guatemala et le Belize ont fermé leurs frontières aux réfugiés. «Les Cubains quittent le pays vers l’Equateur avec une idée positive qui ne les quitte plus. Au détriment de toute réalité. Ils pensent que leur voyage vers les Etats-Unis se passera comme dans un rêve et que les histoires d’horreur qu’ils ont entendues sur la traversée ne leur arriveront pas», confie un ex-fonctionnaire du ministère de l’Immigration de Cuba.

«Ils oublient que, pour remonter jusqu’aux Etats-Unis, il faut passer par la Colombie où ils seront rançonnés et les femmes violées par la guérilla. Cuba est un pays calme, sans violence, peut-être parce que nous n’avons pas assez à manger pour avoir la force de nous donner des coups», ironise-t-il.

Cette crise migratoire en direction de «l’Oncle Sam» est la plus importante depuis 1994, année où des milliers de balseros (Cubains qui s’enfuient sur des radeaux) sont partis vers les Etats-Unis. «Plusieurs de mes amis sont partis cette année vers l’Equateur. Ce n’étaient pas des pauvres. Ils avaient de bonnes professions. Ils ont vendu leurs maisons [achetées par des spéculateurs, de fait, de divers pays, sur un marché de moins en moins gris], abandonné leurs métiers. Une folie. Une collègue est partie en Floride il y a 15 ans sur un radeau. Elle a dû laisser ses deux petits de 4 ans et 7 ans à Cuba et n’a pu les revoir que 15 ans plus tard», confie Virgen, une libraire havanaise.

Les raisons de cet afflux de réfugiés sont dues à la peur que les États-Unis modifient les lois d’asile privilégiées dont bénéficient les Cubains, contrairement à tous les autres pays sud-américains. Si, tous les moyens sont bons pour se rendre aux Etats-Unis, les migrants cubains ont modifié leur approche. Pendant longtemps, la plupart tentaient leur chance sur des radeaux de fortune pour rejoindre la Floride. C’est encore le cas, mais la pression des garde-côtes cubains et américains a ensuite amené bien des balseros à transiter par le Mexique. De plus en plus de candidats s’envolent vers l’Equateur, l’un des rares pays à ne pas exiger de visa… jusqu’au 1er décembre 2015.

Le 27 novembre 2015, le vice-chancelier de l’Equateur, Xavier Lasso annonçait que, dès le 1er décembre, le pays de Rafael Correa exigerait des visas de touriste à tous les Cubains voulant entrer en Equateur sous cette qualité. Cela marquait la fin d’une décision de 2008, ayant fait l’objet d’un marketing politique en 2008: le statut de «citoyen universel» d’où découlait la réglementation migratoire pour les ressortissants cubains.

Cette décision a suscité des réactions de Cubains à Cuba même. Ceux et celles ayant acheté des billets d’avion pour l’Equateur, mais ne disposant pas de visa, ont manifesté devant l’ambassade de l’Equateur à la Havanne. Sans difficultés. Un signe.

Ce décret du gouvernement Correa – partie prenante «du bloc progressiste des amis de Cuba» – s’insère aussi dans la décision du gouvernement du Nicaragua de bloquer quelque 3000 migrants cubains à la frontière avec le Costa Rica. L’armée a été déployée à cet effet. De son côté, le Costa Rica a prolongé, fin novembre, le permet de séjour temporaire aux Cubains qui voulaient continuer leur route vers les Etats-Unis. L’Equateur, comme le précise le correspondant de BBC Mundo, en date du 27 novembre 2015, s’était transformé dans une rampe de lancement vers les Etats-Unis. Le gouvernement de Quito a créé une page web – consuladovirtual.gob.ec – qui doit être visitée par les «touristes cubains» et, par la suite, ils doivent remplir un formulaire unique demandant un visa de touriste pour 90 jours. Un accord a été passé le 24 novembre au Salvador – pays d’Amérique centrale utilisé pour le passage vers le Guatemala, puis le Mexique, entre les gouvernements – entre des gouvernements de la région. Le 30 novembre 2014, le quotidien cubain Granma, le seul du pays, donc informant avec «précision», se félicitait de l’ardeur des fonctionnaires de l’ambassade d’Equateur. Suite à une «enquête» de Sergio Alejandro Gomez, ces employés équatoriens n’hésitaient pas à faire des heures supplémentaires [horarios extendidos] pour accorder des visas à des citoyens et citoyennes de Cuba. Le cliché ci-dessous en fournit la preuve.

La consule équatorienne accorde des visas «au premier groupe de Cubains qui sont entrés, hier le 29 novembre, dans l'ambassade d'Equateur à La Havanne»
La consule équatorienne accorde des visas «au premier groupe de Cubains qui sont entrés, hier le 29 novembre, dans l’ambassade d’Equateur à La Havanne»

Les dirigeants sud-américains ont multiplié ces dernières semaines les réunions pour trouver une solution à la crise. Après avoir longtemps refusé de s’impliquer dans le dossier, Washington est parvenu à un accord cette semaine avec les pays d’Amérique centrale. Un premier groupe de Cubains, dont le nombre n’est pas précisé, voyagera en janvier en avion du Costa Rica jusqu’au Salvador.

De là, les réfugiés traverseront le Guatemala, puis le Mexique, en bus, jusqu’aux États-Unis. Bien des détails de l’opération restent obscurs, Washington ne souhaitant pas créer un nouvel afflux de réfugiés. Les Havanais, eux, prennent de plus en plus la mesure du désastre humanitaire en cours. Tel Pedro, dentiste: «Partir? Jamais. Avec un peu d’argent, le peu qu’on a, on vit bien à Cuba.» (Sources BBC Mundo; Le Figaro, Hector Lemieux 30 décembre 2015; Granma, 30 novembre 2015, édité par rédaction A l’Encontre)

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[1] Le nombre de boat people cubains qui se lancent à la mer pour tenter d’arriver jusqu’aux Etats-Unis continue d’augmenter malgré le dégel récent des relations diplomatiques entre La Havane et Washington, ont indiqué mercredi les gardes-côtes américains. Depuis le 1er octobre 2014, 4’084 Cubains ont tenté d’entrer aux Etats-Unis «illégalement par la mer», selon les gardes-côtes, soit déjà plus que les 3’940 enregistrés sur toute l’année fiscale précédente, qui sert de référence pour ce décompte et s’achève le 30 septembre. Quelque 116 migrants cubains surpris en mer ces derniers jours dans le détroit de Floride ont été rapatriés à Cuba, précisent les gardes-côtes dans un communiqué. Séparant la pointe sud de la Floride de Cuba, les eaux du détroit, large de quelque 150 kilomètres, sont infestées de requins. «Les gardes-côtes dissuadent vivement de tenter d’entrer illégalement dans le pays par la mer», a déclaré le capitaine Mark Gordon, cité dans le communiqué. «Ces voyages sont extrêmement dangereux». Les migrants clandestins cubains sont les seuls à être autorisés à rester aux Etats-Unis s’ils parviennent à toucher terre. Mais ils sont rapatriés s’ils sont découverts en mer. Avec le dégel entre Cuba et les Etats-Unis, amorcé dès décembre 2014, puis la reprise de leurs relations diplomatiques en juillet 2015, certains Cubains craignent que ce régime spécial d’immigration ne disparaisse. Cette crainte a provoqué une augmentation du nombre de boat people, selon les autorités américaines. Washington a pourtant assuré ne pas vouloir modifier ses lois migratoires pour le moment, malgré le rapprochement (AFP, 9 septembre 2015)

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