Entre le samedi 12 et le mercredi 16 avril 2014 un incendie a frappé Valparaiso. Dans l’après-midi du samedi un incendie d’origine forestière s’est propagé vers plusieurs collines de cette ville portuaire. Selon des estimations provisoires 1900 hectares de terrain ont été ravagés, 2900 maisons détruites, un total de 12’500 personnes ont été touchées.
Comme le montre l’article de l’historien chilien Sergio Grez, les origines de cette catastrophe sont de nature structurelle et résident dans la politique néolibérale et ses conséquences néfastes en termes d’inégalité, de manque de services publics, d’urbanisation «sauvage», etc. Valparaiso est une des villes les plus pauvres du pays, avec un taux de pauvreté de 22,6% et des niveaux de scolarité très bas. De plus, 71% des travailleurs de cette ville n’ont aucun contrat de travail (http://eldesconcierto.cl/catastrofes-espejos-de-la-desigualdad-en-chile/). Le gouvernement, face à cette catastrophe, a promis d’offrir un chèque cadeau d’un montant d’environ 300 CHF aux personnes touchées. Ce chèque sera seulement utilisable dans les trois grandes chaînes de grandes surfaces: Paris (du holding Cencosud, propriétaire Horst Paulmann, deuxième fortune du Chili, lié à la dictature de Pinochet et à la colonie nazie Colonia Dignidad [1]), Falabella (un des leaders au niveau latino-américain, propriété de Juan Solari) et Ripley (groupe Calderón, présent aussi au Mexique, au Pérou et en Colombie). (Rédaction A l’Encontre)
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L’incendie qui a frappé Valparaiso, avec ses conséquences terribles pour la population la plus démunie, a pour causes structurelles la pauvreté, l’extrême inégalité sociale, le capitalisme dépendant, le modèle néolibéral et l’indifférence réelle de la part des dirigeants politiques des dernières quatre décennies face à la nécessité de réduire l’inégalité sociale et de prendre des mesures efficaces permettant d’arrêter la dégradation de la plus grande ville portuaire du Chili d’antan. Il s’agit simplement du résultat de l’instauration de l’actuel modèle économique.
Valparaiso (située à quelque 120 km au nord-ouest de Santiago), qui a toujours abrité une population majoritairement pauvre, a vu s’accentuer la pauvreté durant les dernières décennies. Pour cette raison, on a assisté à une multiplication des constructions précaires, avec du matériel léger ou même des détritus. Ces maisons ont été construites dans des lieux inadaptés (sur les pentes de certaines ravines), où l’accès aux services de base (eau, électricité, égouts, collecte de déchets, éclairage public, rues et escaliers) est insuffisant et précaire. Pire encore, très souvent ces services sont assurés de manière «sauvage», seulement grâce à l’initiative des habitants et par conséquent avec des matériaux inadaptés. Cela entraîne un surpeuplement tout comme des maisons insalubres et fragiles. De plus l’accumulation de déchets dans les failles devient un combustible en cas d’incendie, ce qui augmente l’étendue et les conséquences du sinistre.
La responsabilité principale pour des situations de ce type incombe à l’Etat et à la municipalité. L’Etat n’a pas organisé des travaux d’infrastructure de grande envergure afin de remédier aux besoins les plus urgents de Valparaiso. Il n’a pas non plus élaboré un plan destiné à sauver la ville de sa dégradation jusqu’à maintenant irrésistible. L’Etat et la caste politique qui l’administre sont au même titre responsables de l’absence de mesures ayant pour but d’arrêter le processus monstrueux de centralisation du pays, au détriment des régions et des villes, telles que Valparaiso.
Les différents gouvernements municipaux à leur tour – la droite classique tout comme la coalition de centre gauche qui se sont succédé pendant 24 ans à la tête de la commune de Valparaiso – ont manqué à leur devoir d’administrer de façon efficiente et probe les ressources dont ils disposent. Ils ont aussi totalement omis d’élaborer un plan destiné à résoudre les causes profondes des maux de la ville. Par exemple, les citoyens se demandent ce qu’il est advenu des ressources obtenues de l’Unesco depuis l’inscription d’une partie de la ville coloniale au patrimoine mondial de l’humanité en 2003. A part la peinture neuve de quelques façades et la restauration d’un nombre limité d’œuvres architecturales, nous n’avons pas constaté d’effets visibles suite à l’arrivée de ces ressources. La dégradation de la ville a continué avec un enchaînement d’incendies, d’explosions de gaz, de glissements de terrain et d’inondations, ce qui a eu pour conséquence la mort de plusieurs personnes et la destruction d’édifices publics, de maisons et de quartiers entiers. Les déchets, la saleté et la puanteur s’accumulent dans les rues et les fossés, rendant la vie plus risquée et désagréable. Sans oublier que tout cela contribue à enlaidir une ville qui, grâce à son entourage naturel, devrait être l’une des plus belles du Chili.
Dans ce contexte, l’intervention des pompiers a eu des aspects héroïques. Au Chili, les pompiers sont exclusivement composés de volontaires non rémunérés (ce qui est une fierté nationale). Les fonds fournis par l’Etat et les municipalités sont complètement insuffisants pour faire face aux besoins d’un pays particulièrement exposé à des risques d’incendie, provoqués par la grande concentration urbaine, les inégalités sociales, la pauvreté d’une grande partie de la population et les conditions géographiques et climatiques. Les pompiers doivent réaliser de fréquentes collectes publiques pour pallier cette carence. Pour tous ces motifs, on peut affirmer que les autorités étatiques et municipales sont en grande partie responsables pour le manque de ressources qui permettraient de combattre de manière efficace ces dégâts qui affectent presque exclusivement les plus pauvres et les plus faibles.
En somme, le malheur qui frappe Valparaiso n’est pas le produit d’une fatalité historique, ni géographique. C’est le résultat d’une structure sociale profondément polarisée, d’une distribution odieuse de la richesse comme aussi d’une apathie et d’une ineptie de la caste politique qui n’a pas comme référence le développement des services publics, ainsi que ses membres le prétendent de façon acharnée dans leurs discours. Ils sont plutôt guidés par le profit personnel et collectif qu’ils retirent grâce à leur rôle d’administrateurs du modèle économique et social imposé par la dictature. (Traduction A l’Encontre)
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[1] Horst Paulmann, né en 1935, a passé en Italie en 1946, puis en Argentine en 1948 et est arrivé au Chili en 1950, où il rejoignit la «communauté allemande». En 2012, une enquête menée par le quotidien en ligne El Mostrador révéla que la biographie de Horst Paulmann comportait un «trou», alors qu’il avait reçu la nationalité chilienne par une grâce présidentielle de Ricardo Lagos (2000-2005). Le non-dit biographique était le suivant: son père était membre de la hiérarchie nazie et juge principal des SS entre 1943 et 1945, sous le nom de Karl Werner. Le procès intenté en Allemagne se conclut en 1961, mais la disparition de Karl Werner Paulmann en 1958 annula, de fait, la sentence. Horst Paulmann, quant à lui, fut dénoncé pour ses pratiques anti-syndicales, entre autres, dans la chaîne de grandes surfaces (Paris), liée à sa firme de cartes de crédit Banco Paris. Dans les années 1996-1997, ses supermarchés étaient, entre autres, approvisionnés par des produits venant de la Colonia Dignidad. Cette dernière fut créée par Paul Schäfer (1921-2010), en 1961. Schäfer était un ancien des Jeunesses hitlériennes, puis «médecin» de l’armée du IIIe Reich. Cette colonie était dirigée par lui de manière despotique. En tant que véritable «enclave allemande», elle a été utilisée par les services répressifs de Pinochet dans le cadre de l’«Opération Condor» qui coordonnait, dans les années 1970, les activités criminelles des dictatures du Chili, de l’Argentine, du Paraguay, de la Bolivie, du Brésil et de l’Uruguay contre les militant·e·s de la gauche. (Rédaction A l’Encontre)
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