Les sans-terre dénoncent l’absence d’une Réforme agraire concrète

Un campement de sans-terre: préparation d'une occupation (15 avril 2009)

Brasil de Fato*

Avec les actions de lutte du mois d’avril 2009 en faveur de la Réforme agraire, le MST dénonce l’aide du gouvernement aux grandes firmes du latifundium et les coupes dans les ressources destinées aux campements de familles de travailleurs ruraux sous prétexte de la crise. (Réd.)

Le Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre (MST), qui a mené au mois d’avril 2009 des actions dans le cadre de la campagne «Lutte pour la Réforme agraire» dénonce dans un communiqué le manque d’empressement du gouvernement fédéral dans l’exécution de politiques tournées vers les zones rurales et les travailleurs ruraux. Selon le MST, en même temps que le gouvernement avance le prétexte de l’actuelle crise financière pour réduire les investissements dans la réforme agraire, il a augmenté – en utilisant le même prétexte de la crise – l’aide aux plus grandes firmes de l’agro-industrie qui, même ainsi aidées, continuent de licencier des travailleurs dans tout le pays. Depuis novembre 2008, les latifundia de l’agronégoce ont déjà licencié quelque 200’000 ouvriers.

Depuis le début de ces actions de lutte d’avril, des terres ont été occupées dans quinze Etats et dans le District Fédéral [Brasilia]. Par ces actions, le MST entend obtenir l’installation sur des terres à cultiver de cent mille familles vivant actuellement dans des campements. Dans le cadre de ces actions, la Fazenda Balame, dans l’Etat de Pernambuco [capitale Recife], a été occupée. Cette Fazenda appartient à la famille de José Cordeiro de Santana, connu sous le nom Zé de Riva, condamné en 2002 pour avoir commandité l’assassinat du Cacique Xição Xukuru, le leader indigène internationalement connu pour sa lutte en faveur de la reprise de ses terres traditionnelles par le peuple Xukuru. L’homme avait été assassiné sur le territoire de la municipalité de Pesqueira [Etat de Pernambuco] en 1998.

Dans la Fazenda Espirito Santo, appartenant au banquier Daniel Dantas, à Eldorado dos Carajás (Etat du Pará), occupée depuis février 2009, des tueurs à gage ont assassiné par balle neuf sans-terre et ont retenu en otages trois membres du MST qui revenaient de manifestations organisées en mémoire d’un massacre ayant eu lieu dans cette municipalité. C’est dans la dernière semaine de son action, du 12 au 19 avril 2009, que le MST a intensifié les occupations dans tout le pays, en mémoire de ces 19 sans-terre assassinés par la Police Militaire du Pará lors du massacre survenu le 17 avril 1996 à Eldorado dos Carajás. On peut lire ci-dessous une note du MST sur la position adoptée par le gouvernement fédéral face à la question de la Réforme Agraire.

Un bilan de la politique agricole du gouvernement fédéral

Nous sommes à nouveau en train de mener des actions de lutte afin d’exiger du gouvernement fédéral qu’il mette en place la Réforme agraire et également discuter avec la population de la situation des travailleurs ruraux, de l’agriculture et de la gravité de la crise à la campagne. Nous nous sommes livrés à des occupations, des marches et des actions de protestation dans quinze Etats et dans le District Fédéral. Ci-dessous, nous présentons un bilan politique de la situation actuelle de la politique agricole du gouvernement fédéral. L’on peut constater que la situation se trouve même en recul par rapport aux années précédentes.

Les latifundia de l’agronégoce ont déjà licencié vingt mille travailleurs salariés depuis novembre 2008. Quant aux vingt plus grandes agro-industries, elles ont licencié presque cent mille ouvriers. Mais même ainsi, elles continuent de recevoir l’appui gouvernemental et les travailleurs ruraux pauvres de la campagne, eux, restent au second plan.

1. Les ressources pour la «désappropriation» [les propriétaires de terres non-cultivées reçoivent des compensations sous la forme d’obligations d’Etat], approuvées dans le budget de 2009, étaient de 957 millions de reais [100 CHF = 204 reais]. Mais «en raison de la crise», celles-ci ont été réduites de 41 %, ramenant ainsi la somme à 561 millions. Avec cette réduction, il ne sera possible, selon l’Incra [l’Institut national de la colonisation et de la réforme agraire], que d’installer à peine dix-sept mille familles et non septante-cinq mille, comme cela avait été prévu par le gouvernement pour l’année 2009.

2. Les ressources destinées à l’assistance technique aux familles installées, prévues pour 2009, étaient de 224 millions de reais, mais elles ont été réduites à 135 millions de reais. Là aussi la réduction est de 41 %.

3. Pour le Pronera [le Programme national d’éducation dans le cadre de la Réforme Agraire], les ressources approuvées pour 2009 – elles étaient de 69 millions de reais – ont été réduites de 62 %, atteignant alors à peine 26 millions de reais. De plus, l’Incra ne parvient pas à garantir le minimum de rémunération pour les professeurs dans les zones rurales. Divers cours, mis sur pied en partenariat avec des universités dans tout le pays, ont été interrompus par manque de ressources !

4. Pour fixer les paramètres nécessaires à la désappropriation de certaines terres, l’Incra travaille sur la base d’indices de productivité totalement dépassés datant de 1975, ce qui rend difficile la classification des fermes dans la liste de celles considérées comme improductives. En mai 2005, le gouvernement fédéral s’était pourtant engagé lors de la Marche Nationale des Sans-Terre sur Brasilia, à actualiser les indices et à les publier dans les semaines à venir. A la fin de 2005, l’Incra et le Ministère de l’Agriculture avaient actualisé l’ordonnance, mais jusqu’à aujourd’hui celle-ci n’a pas été publiée. La loi agraire fixe que les indices doivent être actualisés tous les cinq ans. Il est donc urgent que ceux-ci soient actualisés sur la base des données du recensement agraire (terre, culture et élevage) de 2006 et qu’une nouvelle ordonnance soit publiée.

5. L’année passée, nous avions proposé – et cela avait été accordé avec le gouvernement – la libération de 18’000 reais par famille dans le cadre du programme d’habitation rurale devant être mis en place en 2009 en faveur de la construction et des rénovations de logements dans la campagne. Pour la première fois, nous avions un programme concret de logement dans le milieu rural. Mais nous avons appris entre-temps que les ressources ont été réduites à 10,6 mille reais par famille pour cette année. Nous posons la question: Quelqu’un arrive-t-il à construire une maison avec 10 mille reais ?

6. Le gouvernement s’était engagé à garantir une assistance technique à toutes les familles installées, et il avait même fait de la propagande autour de cela. Mais il est apparu clairement dans les négociations qu’en raison de la coupe de 41 %, l’Incra n’aurait même pas les moyens de payer les travaux effectués dans les mois passés par les agronomes restés non payés jusqu’à aujourd’hui. Le gouvernement ne va pas honorer des engagements déjà signés avec des unités productives, et il ne sait rien de la manière dont sera financée l’assistance technique dans le futur. Cela va porter préjudice à la réalisation de projets permettant d’accéder au crédit du Pronaf [Programme National de l’Agriculture Familiale] qui débutera en juillet. A la fin mars 2009, pas un centavo [=le centième du real] n’avait encore été libéré pour l’assistance technique aux projets signés en 2008.

7. Le gouvernement s’était engagé, lors de l’arrivée de la marche sur Brasilia en mai 2005, à ouvrir une ligne de crédit pour un financement spécial d’agro-industries dans des campements. De notre côté, nous demandons 150 millions de reais, mais à peine 20 millions sont assurés pour les dix prochaines années. Il existe cependant un processus de négociation en cours avec la BNDES [Banque Nationale Brésilienne pour le Développement Economique et Social] pour augmenter cette somme. En même temps que tout cela, le gouvernement a libéré 12 milliards de reais via la Banque du Brésil et la BNDES pour venir en aide à la trésorerie des vingt plus grandes firmes de l’agro-industrie du pays qui sont en crise et qui ont déjà licencié presque cent mille travailleurs.

8. A l’heure qu’il est, nous attendons toujours une réponse à une proposition de programme de reboisement dans les campements et dans l’agriculture familiale, qui prévoit une aide pour que chaque famille d’agriculteur puisse reboiser deux hectares de son domaine. La proposition a été présentée et approuvée par le président Lula en 2003.

9. Le gouvernement s’est toujours laissé influencer par les intérêts économiques des entreprises transnationales de l’agronégoce pour autoriser honteusement les semences transgéniques, et cela sans aucune étude sérieuse sur l’impact environnemental et sur la santé. De nouvelles demandes de licences pour du riz, du maïs, etc. sont en cours auprès de la CTNBio [la Commission technique nationale de biosécurité], commission qui a toujours prétendu qu’il n’existe aucun problème. Cette semaine cependant, un juge de l’Etat du Rio Grande do Sul a jugé recevable une plainte déposée par des agriculteurs de cet Etat contre l’exigence de l’entreprise Monsanto de lui verser des royalties. Au-delà de cela, le gouvernement allemand a interdit sur son territoire la culture du soja roundup de Monsanto. L’année passée, le gouvernement a octroyé des autorisations pour trois variétés de maïs transgénique à Bayer (Allemagne), Syngenta (Suisse) et Monsanto (Etats-Unis). La production de semences de maïs transgénique était jusqu’alors interdite, mais miraculeusement, à peine une moisson plus tard, les entreprises ont déjà pu fournir des semences permettant de satisfaire le 40 % de la demande ! Cela aura dans le futur un impact destructeur sur l’agriculture familiale, comme cela s’est déjà produit au Mexique.

10. Le gouvernement a envoyé devant le Congrès la «Mesure provisoire», MP 458, qui définit de nouveaux critères et légalise pratiquement toutes les terres publiques soumises au brûlis en Amazonie, et cela jusqu’à 1500 hectares par personne. Cela démontre un clair abandon de la Réforme Agraire, puisqu’au lieu d’exiger le prélèvement immédiat des terres au-dessus de quinze « modules fiscaux » par l’Union pour les remettre à l’Incra, le gouvernement désigne ces terres pour mise en vente aux enchères, avec un droit de préférence pour l’actuel squatter ! Ainsi la régularisation du squatter est assurée et des techniciens, des directeurs et d’autres structures de l’Incra vont être transférés vers le projet de régularisation. Toutes les organisations impliquées dans le Forum National sur la Réforme Agraire ont dénoncé la proposition de la MP 458 comme étant un clair affront à des principes constitutionnels qui doivent être condamnés par le STF [le Tribunal suprême fédéral].

11. Un projet de loi est actuellement bloqué devant la Chambre des Députés, projet qui autorise la désappropriation de toutes les fazendas où sont trouvés des travailleurs en situation analogue à l’esclavage. La loi a déjà été approuvée par le Sénat Fédéral. Mais en raison de manigances politiques des ruralistes [le lobby des gros propriétaires terriens], le gouvernement s’est rendu et n’a pas mobilisé sa base pour l’approuver. Entre-temps, la Police Fédérale continue de libérer des personnes vivant dans des fazendas dans des conditions de travail proches de l’esclavage. L’on sait déjà que dans 58 % des cas, il s’agit de récidive. (Traduction A l’Encontre)

* Ce texte a été publié dans Brasil de Fato, hebdomadaire proche du MST.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*