Brésil. Temer accusé d’être à la tête «d’une bande mafieuse»

Michel Temer

Par Michel Leclercq

Après avoir fait trembler pendant quatre ans la classe politique et les grands chefs d’entreprise corrompus, le procureur général de la République su Brésil, Rodrigo Janot, a quitté, dimanche le 17 septembre 2017, ses fonctions. Mais avant de passer la main, il a lancé, le 14 septembre, une dernière salve contre l’impopulaire président brésilien Michel Temer en l’accusant formellement de diriger une organisation criminelle qui a détourné près de 158 millions d’euros [1].

Toutefois, malgré la gravité des soupçons, le chef de l’État devrait échapper une nouvelle fois à un procès, grâce au solide soutien [intéressé] d’une majorité de députés qui devront décider s’il doit ou non être jugé. Dans son acte d’accusation de 245 pages, Rodrigo Janot a également accusé le chef de l’Etat d’entrave à la justice.

En juin 2017, Michel Temer avait déjà survécu à une accusation de corruption passive, la Chambre des députés s’étant opposée à son jugement devant la Cour suprême [2]. Il restera néanmoins dans les livres d’histoire brésiliens comme le premier président en exercice ayant dû répondre de crimes de droit commun.

Rodrigo Janot [3] doit passer le relais ce lundi à Raquel Dodge – nommée directement par Michel Temer – après avoir été pendant quatre ans – avec le juge Sergio Moro – le fer de lance du «Lava Jato» (Lavage express), cette opération qui a mis au jour un tentaculaire réseau de corruption liant hommes politiques de tous partis et dirigeants des plus grandes entreprises du pays telles que Petrobras (pétrole), Odebrecht (BTP) ou JBS (viande). Outre Michel Temer, quatre anciens présidents et 93 parlementaires sont poursuivis.

Au côté de Michel Temer, 76 ans, les caciques du PMDB (Parti du mouvement démocratique brésilien, centre droit) ont formé une «bande mafieuse» qui a continué à agir jusqu’à aujourd’hui, selon Rodrigo Janot. Parmi eux, un ex-ministre, Geddel Vieira Lima, récemment devenu célèbre au Brésil après la découverte par la police fédérale de 51 millions de réais (13 millions d’euros) en coupures de 100 et 50 réais débordant de valises et de caisses qu’il avait entreposées dans un appartement de Salvador de Bahia, la plus grosse saisie d’argent liquide jamais faite dans le pays.

Michel Temer est devenu «le chef de l’organisation criminelle en mai 2016» quand il a succédé à la présidente de gauche Dilma Rousseff, destituée pour manipulations budgétaires, et ce «noyau politique» a reçu 158 millions d’euros de pots-de-vin, selon l’acte d’accusation. «C’est du réalisme fantastique», a réagi le président qui a demandé – sans succès – à la Cour suprême d’écarter Rodrigo Janot des enquêtes le concernant.

L’acte d’accusation a été remis à la Cour suprême qui doit le transmettre au Parlement. Mais, estime Marilde Loiola de Menezes, professeur de sciences politiques à l’université de Brasilia, «en dépit des preuves, vidéos, dépositions, valises d’argent, il est peu probable que l’opposition réussisse à obtenir les 342 votes à la Chambre des députés nécessaires pour écarter le président. Temer peut compter sur une base solide au Parlement qui continuera à le soutenir, ne serait-ce que pour assurer sa survie politique» à un an des élections générales.

Le PMDB avait formé un cartel avec le Parti progressiste (PP, droite affirmée) et surtout le Parti des travailleurs (PT) de l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva (2003 à 2010) pour «se répartir les postes publics les plus importants de telle manière que tous puissent être assurés de sources de revenus indus», a accusé le procureur général.

Dans un équilibre très politique, Rodrigo Janot a accusé, il y a quelques jours l’ancien syndicaliste Lula, porte-drapeau de la gauche sud-américaine, d’avoir été «le grand concepteur» d’une «organisation criminelle», comprenant Dilma Rousseff et plusieurs dirigeants du PT qui aurait, selon l’accusation, détourné 375 millions d’euros de 2003 à 2016.

Ce fut une semaine noire pour l’ex-président Lula qui a aussi été entendu par le juge anticorruption Sergio Moro dans une affaire immobilière et a été lâché par son «ami» Antonio Palocci [voir à ce sujet l’article publié sur ce site en date du 9 septembre 2017]. Cette figure historique du PT et homme clé de sa présidence l’a accusé d’avoir conclu «un pacte de sang» avec le géant des travaux publics Odebrecht pour financer les campagnes du PT [4].

Même s’il a déjà lancé sa candidature à la présidentielle de 2018 par une longue tournée dans son fief du nord-est pauvre du Brésil, l’accumulation des affaires – il a été mis six fois en examen – compromet de plus en plus ses chances de revenir au pouvoir. D’autant qu’il risque l’inéligibilité si sa condamnation à neuf ans et demi de prison pour corruption passive est confirmée en appel. (Le Figaro, 18 septembre 2017)

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[1] Les éléments d’accusation proviennent pour l’essentiel des délations faites – afin de réduire fortement leurs peines – par des dirigeants du géant transnational de l’agroalimentaire JBS-Friboi – entre autres le PDG Joesley Batista. Le siège de JBS se situe à Sao Paulo. Cette firme participe à un quart du marché mondial du bœuf. Sa production se centre sur le porc, le bœuf et la volaille. Temer est visé ainsi que le «spécialiste» des finances du PMDB: Lucio Funaro. (Réd. A l’Encontre)

[2] Le président brésilien Michel Temer fait face avec une apparente sérénité à une nouvelle demande de mise en examen, malgré la gravité des accusations dont il fait l’objet. La photo en une de l’édition de vendredi du journal O Globo est éloquente: le chef de l’Etat apparaît souriant, en bras de chemise, un saxophone à la main, entouré d’un groupe de musiciens.
Ce cliché avait été pris jeudi, lors d’une visite dans l’Etat du Tocantins (nord) quelques heures avant l’annonce de l’accusation formelle par le procureur général Rodrigo Janot, pour «obstruction à la justice et participation à une organisation criminelle».
Lors d’une cérémonie pour donner le coup d’envoi de travaux de rénovation d’un hôpital à Rio de Janeiro vendredi matin, M. Temer n’a pas évoqué l’affaire, mais a affiché une certaine assurance.
Il a demandé à ce que le chantier soit «accéléré» pour qu’il puisse l’inaugurer lors du «peu de de temps qui lui reste pour (son) mandat, environ un an et demi», semblant convaincu de pouvoir aller au terme, fin 2018.
Une confiance presque insolente pour un président hautement impopulaire, qui ne compte que 5% d’opinions favorables. (Romandie 15 septembre 2017)

[3] «Je me résigne à mon destin, parce que dès le début, je savais parfaitement que le fait d’affronter ce modèle politique corrompu cimenté par des années d’impunité aurait un coût», a affirmé Rodrigo Janot, jeudi 14 septembre 2017, avant de présenter son accusation formelle contre le président et six de ses proches collaborateurs. Selon l’AFP du 17 septembre 2017, ces dernières semaines, Rodrigo Janot a aussi présenté des demandes de mise en examen contre trois ex-présidents brésiliens, Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010) et Dilma Rousseff (2011-2016), du Parti des Travailleurs (gauche), ainsi que José Sarney (1985-1990), du PMDB (centre droit), donc formation du président Temer. (Réd. Alencontre)

Lula le mercredi 13 septembre répondant au juge Moro

[4] Le mercredi 13 septembre, Lula faisait sa deuxième déposition devant le juge Sergio Moro à Curitiba. Il devait répondre à l’accusation selon laquelle il aurait obtenu de la part d’Odebrecht une somme pour l’acquisition d’un appartement. L’interrogatoire dura deux heures, soit trois heures de moins que le 10 mai. Lula attaqua l’affirmation d’Antonio Palocci, un ex-bras droit de Lula (dont la trajectoire militante l’amena du courant «lambertiste» à la droite du PT), selon laquelle il «avait passé un pacte de sang» avec Emilio Odebrecht. Lula affirma que la déposition de Palocci – condamné plusieurs fois pour corruption à quelque 17 ans de prison – «semblait écrite par un scénariste de Globo», le réseau «d’informations» dominant au Brésil, producteur aussi de telnovelas. Lula affirma que le juge Moro fondait sa réquisition sur de nombreuses «informations» fournies par le groupe de médias O Globo. La défense de Lula n’a pas permis de mettre un point final à l’accusation selon laquelle, par diverses voies, il aurait obtenu la somme nécessaire à l’acquisition de cet appartement d’un certain luxe.

Par contre, au début du mois, le Ministère public (Ivan Marx) avait levé l’accusation, émise par le juge Rodrigo Janot, contre Luiz Inacio Lula da Silva Lula selon laquelle il aurait «acheté le silence» de Nestor Cervero, ex-directeur de Petrobras, accusation faite sur la base de la dénonciation d’un ex-sénateur du PT, Delcídio Amaral, qui avait accepté le mécanisme de délation pour réduire les imputations le visant. (Réd. A l’Encontre)

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