Brésil. Les raisons et la place de la campagne politique «Lula Livre»

Par Valério Arcary

Lula est en prison à Curitiba depuis plus d’un an [8 avril 2018)]. La libération/liberté de Lula sera conquise prioritairement dans la rue et non pas devant les tribunaux. Il n’y a aucune chance qu’une décision judiciaire, dans un avenir prévisible, profite même à Lula sous la forme d’une assignation à résidence.

Certes, étant donné les tensions et la confusion au sein du gouvernement ainsi que les divergences entre le gouvernement et le Congrès, de même qu’entre ceux-ci et le pouvoir judiciaire, nous ne pouvons exclure la possibilité qu’à un moment donné il y ait une autorisation d’assignation à domicile. En effet, le plus important pour le pouvoir est que Lula reste sans droits politiques. Lula présent dans la rue, faisant appel à la mobilisation populaire contre le gouvernement Bolsonaro, serait intolérable pour ce dernier.

Tant qu’il n’y aura pas de changement profond des rapports de forces, c’est-à-dire une nouvelle situation politique, Lula continuera à être emprisonné. Pour que cette conjoncture se modifie, il sera nécessaire que diverses mobilisations s’amplifient et se radicalisent. Elles concernent la résistance face à l’attaque massive contre le système des retraites, la défense des investissements dans le secteur de l’éducation publique et le refus des coupes budgétaires (à hauteur de 30%) dans les universités et les instituts fédéraux [dans 240 villes, environ un million et demi d’enseignants et d’étudiants ont fait grève et manifesté le 15 mai 2019, nous y reviendrons], la protection de la population pauvre et noire contre les violences policières, les garanties données aux indigènes pour ce qui concerne la définition cadastrale de leurs terres contre les invasions organisées par les latifundistes, la réglementation de l’utilisation des produits agrochimiques, la limitation de l’activité des compagnies minières [en particulier la société transnationale Vale dont le siège est à Saint-Prex, canton de Vaud, Suisse, voir l’article publié sur ce site en date du 19 février 2019] pour éviter de nouvelles catastrophes comme à Mariana, Brumadinho et tant d’autres.

Tant que n’explosent pas des mobilisations de masse, entraînant des millions de travailleurs et de travailleuses et de jeunes dans les rues, Lula restera en prison. Au centre de la tactique politique actuelle visant à obtenir la libération de Lula, il s’agit dès lors de faire avancer inlassablement ces diverses luttes, car ce sont elles qui libéreront Lula. La justice n’accordera la liberté que lorsqu’elle sera acculée par la pression populaire.

Le scénario de la défense juridique de Lula, devant les tribunaux, n’est pas aujourd’hui favorable. L’illusion trompeuse que l’objectif du combat pour la libération de Lula sera tranché par la STJ (Cour suprême de justice) ou par la STF (Cour fédérale suprême) est évidente. Bien qu’il ne soit pas impossible que certains ministres, individuellement, se positionnent de manière critique face à de nombreuses décisions prises [en tant que procureur] par l’actuel ministre de la Justice Sérgio Moro, une décision collégiale en faveur de Lula est de l’ordre de l’improbable.

La classe dirigeante brésilienne, bien que partiellement divisée, soutient, dans sa grande majorité, l’opération Lava Jato [menée sous houlette de Sergio Mmoro]. Le plus grand symbole de Lava Jato est l’incarcération de Lula. Le projet du gouvernement Bolsonaro, et l’arc d’alliances politiques qui lui assurent sa base, a pour stratégie une offensive agressive contre les droits économiques et sociaux de la classe laborieuse et du peuple. Toutes les organisations de cette classe, tous les mouvements sociaux, qu’ils soient syndicaux ou populaires, noirs ou féminins, jeunes ou LGBT, indigènes ou écologistes sont menacés.

Le PSOL (Parti du socialisme et de la liberté) s’est retrouvé dans l’opposition aux gouvernements du PT [de Lula, puis de Dilma Rousseff]. Le PSOL a vigoureusement désapprouvé, pendant plus de douze ans, le programme de coalition organisé par Lula et Dilma Rousseff afin de préserver la gouvernabilité; ce faisant, ces gouvernements cédaient aux exigences de la classe dirigeante et des partis qui la représentent au Congrès national. Le PSOL est né d’une rupture avec le PT parce qu’il n’a pas accepté cette orientation stratégique. Cette lutte s’est déroulée, honnêtement, dans la rue et au Congrès.

Le PSOL a dénoncé, à maintes reprises, les concessions faites lors de négociations dangereuses entre les gouvernements de coalition dirigés par le PT et les grandes sociétés capitalistes, y compris le système de financement des élections.

Le PSOL a critiqué l’impuissance du PT devant son propre gouvernement. Ni le PT ni le gouvernement dont il avait la présidence n’ont osé faire appel, sérieusement, à la mobilisation sociale des travailleurs, ni lors de l’organisation puis de la destitution de Dilma Rousseff en août 2016.

Mais cette opposition frontale n’a pas empêché le PSOL de se joindre au Comité national de la campagne «Lula Livre». Cette position résulte de la conclusion que les procès de Curitiba devant la TRF-4 (Cour fédérale régionale) de Porto Alegre, qui a condamné Lula, n’étaient pas valables parce qu’ils violaient le principe démocratique de la présomption d’innocence. Pour trois raisons qu’on peut résumer ainsi: a) parce que Lula n’a pas acheté l’appartement situé à Guarujá; b) parce que la seule preuve d’accusation de corruption était une dénonciation avec récompense qui a profité au délateur, sur la base de toute une série de spéculations, etc.; c) parce que la charge de la preuve doit toujours être du ressort de l’accusation et non de l’accusé.

Le PSOL avait déjà pris position face à la destitution de Dilma Rousseff en 2016. Le PSOL a considéré la destitution votée au Congrès national comme un coup d’Etat parlementaire légal, donc une violation de la Constitution.

L’opération politique réactionnaire qui a commencé avec l’enquête sur Lava Jato, en 2014, a débouché sur les mobilisations de droite de 2015-16 qui ont ouvert la voie au renversement du gouvernement PT, et qui ont conduit le super corrompu Michel Temer [vice-président de Dilma Rousseff sur le ticket électoral] au pouvoir pendant deux ans [Temer est sous l’accusation de vastes corruptions, incarcéré, puis remis en liberté]. Toute cette opération de la droite dure a culminé avec l’incarcération de Lula, ce qui obéissait à une stratégie de lutte pour le pouvoir. [Lula devançait massivement Bolsonaro dans les sondages préélectoraux.]

C’est pourquoi le PSOL considère Lula comme un prisonnier politique. Pour quelles raisons? 1° parce que l’opération Lava Jato a été engagée sous l’angle d’une judiciarisation de la lutte politique afin de fonder la thèse selon laquelle le plus grand problème du Brésil serait la corruption; et dans cette perspective, le PT était désigné comme le plus corrompu des partis; 2° parce que l’intention de ce processus était dès le début d’empêcher la candidature de Lula, qui était encore largement en première position dans les sondages, et de porter un coup à toute la gauche; 3° parce que l’objectif de discréditer la personne de Lula visait à atteindre l’ensemble de la gauche devant le peuple.

Pourtant, certains à gauche se demandent sincèrement: la campagne «Lula Livre» ne divise-t-elle pas la lutte contre Bolsonaro? Il n’y a pas de réponse simple à cette question. La revendication de la libération de Lula divise le Brésil, évidemment, et est débattue au sein de la population. Bien qu’il y en ait beaucoup plus qui pourraient potentiellement rejoindre ou soutenir les luttes contre Bolsonaro que ceux qui sont prêts à défendre la campagne «Lula Livre». Mais ce n’est pas un argument raisonnable.

Même si la campagne «Lula Livre» était très minoritaire, ce qui n’est pas le cas, parce qu’au moins la moitié de la population se positionne contre son incarcération, est une cause juste, raison pour laquelle nous nous y sommes engagés. Bien sûr, dans la classe moyenne, la campagne «Lula Livre» reste minoritaire. Cependant, céder aux pressions de la classe moyenne ne peut servir de boussole de la gauche. Une gauche qui n’a pas le courage de se battre dans des conditions défavorables ne peut jamais gagner.

Il ne s’ensuit pas de cette conclusion que la campagne «Lula Livre» doit être l’axe central de l’agitation de la gauche. C’est impossible. Le centre de son activité réside dans l’organisation et l’impulsion de la lutte de résistance contre le gouvernement Bolsonaro.

Plus grave encore, une partie du peuple de gauche a conclu à tort qu’il n’est pas correct de défendre la liberté de Lula, même comme une revendication subordonnée à la lutte centrale contre Bolsonaro. Cela est faux et pourquoi?

Il est avancé que si le PT était impliqué dans la corruption, Lula ne peut pas être innocent, à cause de la place qu’il occupait dans la direction du PT. Il est vrai que les dirigeants du PT ont été impliqués dans divers crimes, notamment lors des élections ou des votes au sein du législatif. Ils ont donc admis avoir été financés, illégalement. Il est également vrai que certains dirigeants du PT ont été personnellement corrompus. Ils ont empoché des pots-de-vin, se sont enrichis et ont effectué en échange d’avantages des délations qui devaient réduire leurs peines.

Mais même si tout cela est vrai, rien de tout cela ne légitime l’incarcération de Lula. Lula n’est pas en prison parce que le PT a été financé par les entreprises de construction. Lula est emprisonné pour un crime qu’il n’a pas commis, sur la base d’une stratégie politique qui a abouti à l’élection de Bolsonaro.

La campagne «Lula Livre» n’a pas réduit l’audience du PSOL, au contraire elle le renforce. En vérité, elle est exemplaire. Elle restera dans l’histoire, pour ceux qui viendront après nous. Parce que le PSOL a eu le courage d’être une opposition de gauche ferme et courageuse face au gouvernement PT, alors que Lula était le dirigeant le plus populaire et le plus puissant du pays. Mais il a eu la grandeur de défendre Lula, en maintenant y compris des divergences programmatiques, antinomiques, lorsque la classe dirigeante et ses agents politiques l’ont enfermé et humilié en prison. (14 mai 2019, traduction A l’Encontre)

Valério Arcary est membre de la direction nationale de Resistencia, tendance interne du PSOL

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