Brésil. Haddad et l’arithmétique de «l’antipétisme»

Par Jeferson Miola

Les deux phénomènes les plus importants révélés par l’enquête Ibope (1er octobre, voir le graphique inclus dans la note 5 de l’article publié sur ce site en date du 2 octobre 2018) sont : 1° l’interruption de la croissance de Haddad; 2° la résilience (et même mieux) de Jair Bolsonaro qui a empêché tout recul dans les sondages. L’enquête de Datafolha (publiée le 2 octobre – voir graphique) est conforme avec les résultats d’Ibope.

Si l’on examine la série des enquêtes portant sur les intentions de vote effectuées depuis le 20 août 2018, date à laquelle Lula (candidat du PT) est apparu pour la dernière fois dans les sondages [puisqu’interdit, dès cette date, de se présenter aux élections par décision du Tribunal électoral, en vertu d’une loi adoptée, après de nombreux  et longs débats, en 2010], on constate les réalités suivantes:

Enquête Datafolha publiée le 2 octobre 2018

• Le 20 août 2018, Lula (candidat potentiel) atteignait 37% des intentions, avec la perspective d’une victoire lors du premier tour (le 7 octobre 2018). La somme des votes du pôle non-antiPT (Ciro Gomes-PDT, Guilherme Boulos-PSOL, Vera Lúcia-PSTU), atteignait donc 43%, tandis que les candidats anti-PT, ceux qui font de l’antiPT leur raison première raison d’être et d’exister atteignaient 35% des intentions.

• Lors la première simulation, avec le candidat remplaçant Lula (effectuée aussi le 20 août), Fernando Haddad [vice-président sur le ticket initial de Lula, maire de São Paulo de janvier 2013 à janvier 2017, ayant subi une défaite massive lors de sa tentative de réélection] obtenait 4% des intentions. Les votes du bloc non-antiPT chutaient donc de 15 % et les votes du bloc antiPT ont bondi à 46 %, atteignant un niveau qui se maintient jusqu’à ce jour.

• A partir de la troisième semaine de septembre 2018, le scénario que nous connaissons aujourd’hui était déjà cristallisé :

• Le choix polarisé entre F. Haddad et J. Bolsonaro, avec la mise à distance de tous les autres candidats d’être présents au deuxième tour (28 octobre), ce qui implique qu’ils seront les deux seuls à être à s’affronter pour le deuxième tour.

• Haddad est stable avec 21 % des intentions de vote et les votes non- antiPT se sont stabilisés dans une fourchette entre 32 et 34 %. Dans les semaines qui ont suivi, Haddad n’a pas réussi à maintenir une croissance quotidienne de près de 1%.

• Bolsonaro a réussi à rester stable autour de 28-30% (dépassant même la barre des 30%, sans tenir compte de la marge d’erreur de plus 2% et moins 2%). Les votes antiPT sont restés stables autour de 48-51%.

Ce tableau met en évidence que:

• Le silence et l’impossibilité d’être présent sur les médias imposés à Lula ont l’effet prévu par la «dictature» combiner du réseau médiatique dominant Globo et du Lava Jato [le symbole de la corruption et de ses effets, sélectifs, sur la possibilité de se présenter comme candidat, ce qui assure une certaine immunité]. Maintenir Lula en prison, le museler et sans moyen de communiquer avec le peuple est la stratégie électorale du régime de Michel Temer. L’instauration de la censure et les manœuvres de Fux et Toffoli [1] pour empêcher les interviews de Lula doivent être comprises dans ce contexte.

• Sans la présence de Lula pour l’élection présidentielle, Haddad n’a pas bénéficié complètement du transfert des intentions de votes de Lula ; et la coalition du non-antiPT n’a pas réussi à retrouver le taux d’intentions dont il était crédité le 20 août (43%)-

•Pour l’establishment, peu importe si le bolsonarisme représente une tragédie pour le Brésil, car l’essentiel est d’empêcher de quelque façon que ce soit le retour du PT au gouvernement. L’antipétisme est donc le thème autour duquel se développe l’élection.

• Le terrorisme antiPT domine dans les médias dirigés par le puissant réseau médiatique Globo, par les Eglises néo-pentecôtistes, dans les réseaux sociaux, dans le système judiciaire, etc. C’est très efficace. L’opération du juge Sergio Moro [qui conduit l’enquête Lava Jato] avec la dénonciation publique pour obtenir une déduction de peine d’Antonio Palocci [ministre des Finances de Lula de 2003 à 2006, puis chef de cabinet de Dilma Rousseff de janvier 2011 à juin 2011, incarcéré depuis septembre 2016 suite à l’affaire Lava Jato] , qui fait partie de cette sale guerre contre Lula, le PT et F. Haddad, semble avoir réussi à nuire à Fernando Haddad.

La performance de Jair Bolsonaro, en revanche, est surprenante. Elle dépasse toutes les projections faites. Il a réussi empêcher une perte dans les intentions de vote et à rester stable, malgré le mouvement #EleNão [manifestation massive des femmes le 29 septembre] et les lourdes attaques de Geraldo Alckmin (PSDB) développée dans la propagande de son parti.

Le candidat fasciste a fini par profiter de la haine que Globo répand contre le PT pour favoriser le Tucano [du nom attribué aux membres du PSDB, à cause des couleurs de son drapeau qui sont celles de l’oiseau] afin qu’il puisse s’emparer de la position que Globo voulait assurer à G. Alckmin.

Les principales tendances du premier tour sont consolidées. En cette semaine décisive de l’élection, Globo et le Lava Jato seront en mesure de promouvoir de nouveaux «évènements» pour affaiblir le vote en faveur d’Haddad au premier tour, neutralisant la croissance traditionnelle que le PT connaît habituellement dans la dernière phase des élections.

Les sondages récents n’apportent pas de grandes nouveautés, ils reflètent à peine la réalité qui s’était déjà consolidée. Le conflit électoral continue d’être clairement polarisé entre la continuité du coup d’Etat institutionnel [contre Dilma Rousseff qui se dénoua avec sa destitution en août 2016] et la restauration de la démocratie, entre les avancées et les conquêtes populaires et les reculs d’une «civilisation» postdictature: entre Bolsonaro et Haddad.

Le climat préfigure un scénario de second tour extrêmement tendu et serré, entre deux options radicalement opposées du Brésil: soit la civilisation gagne, soit la barbarie néolibérale gagne dans sa version raciste, autoritaire et misogyne, bref, dans sa version fasciste. (Article publié sur TV 247, quotidien numérique, le 3 octobre 2018 ; traduction A l’Encontre)

Jeferson Miola est membre de l’Institut des débats, études et alternatives (Idea) de Porto Alegre. Il a été coordinateur exécutif du 5e Forum social mondial. Son blog : https://jefersonmiola.wordpress.com/

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[1] Dias Toffoli, président du Tribunal suprême fédéral, a interdit, le 2 octobre, un entretien avec Lula qui devait être conduit par Florestan Fernandes Júnior, présentateur du programme Voz Activa, de la Rede Minas et collaborateur du quotidien El País, de concert avec Mônica Bergamo de la Folha de São Paulo. D. Toffoli a ordonné que soit mise en œuvre la décision du ministre du Tribunal suprême fédéral, Luiz Fux. Dias Toffoli défendait en la matière une position contraire de son «collègue» Ricardo Lewandovski.

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