Par Paulo Pasin et Mauro Puerro (de São Paulo)
«Je ne serai pas le poète d’un monde caduc.
Ni ne chanterai le monde à venir.
Je suis ligoté à la vie et regarde mes compagnons.
Ils sont taciturnes mais nourrissent de grandes espérances.
Parmi eux, je considère l’énorme réalité.
Le présent est si grand, ne nous éloignons pas.
Ne nous éloignons pas trop, allons main dans la main.»
Carlos Drumond de Andrade (1902-1987): Sentimento do Mundo (1940); traduction Didier Lamaison (Gallimard-2005)
«Mãos Dadas» (Main dans la main) est l’un des poèmes les plus connus de Drummond. Il a été publié en 1940 dans le livre «Sentiment du monde». A l’époque, les fascistes et les nazis menaient une terrible offensive et menaçaient le monde entier. Avec «Mãos Dadas», le poète a cherché à réfléchir à la dure réalité et à exposer de manière lyrique l’importance de l’unité de la classe ouvrière pour affronter le nazi-fascisme.
Traditionnellement, la gauche marxiste a adopté la même position que Carlos Drummond. Face au danger fasciste et à ses horreurs, elle cherche à unir la classe pour le combattre. Elle sait que les organisations syndicales et politiques des travailleurs et travailleuses ainsi que de la gauche seront impitoyablement persécutées, voire anéanties, par un régime fasciste.
Dans ces élections, la gauche marxiste est divisée sur la tactique électorale. Le Psol soutient Lula pour battre Bolsonaro dès le premier tour [2 octobre], tandis que le PCB (Partido Communista Brasileiro), le PSTU (Partido Socialista dos Trabalhadores Unificado) et l’UP (Unidad Popular pelo Socialismo) ont lancé leurs propres candidats, laissant ouverte la possibilité d’appeler à voter pour Lula au second tour. Les candidatures de Sofia Manzano pour le PCB, de Vera Lúcia pour le PSTU en coalition avec le Polo Socialista Revolucionário et de Leo Péricles pour l’Unidad Popular doivent être considérées avec le plus grand respect, même si l’on n’est pas d’accord avec cette tactique électorale.
Les trois formations ont défendu jusqu’à présent leurs positions politiques – à notre avis certaines justes et d’autres fausses – malgré les difficultés imposées par les limites de la démocratie brésilienne. Elles n’ont pas eu accès aux débats télévisés, à la propagande électorale, et ont disposé de très peu d’espace dans la couverture des élections faite par les grands médias. Nous avons beaucoup de respect pour le militantisme courageux du PSTU et du Polo Socialista, du PCB et de l’UP. Nous nous sommes toujours retrouvés dans sur le même côté de la barricade dans les luttes et, à l’avenir, nous le serons aussi, à coup sûr, dans beaucoup d’autres combats.
Nous pensons sincèrement que les camarades ont déjà rempli leurs objectifs dans le cours de la campagne électorale, en faisant connaître leurs projets et leur vision de la société. Mais ce serait une erreur de risquer de laisser la détermination du résultat de l’élection au second tour. Bolsonaro continue de s’agiter contre la Justice électorale. «Si nous ne gagnons pas au premier tour, alors il s’est passé quelque chose d’anormal au sein du TSE (Tribunal supérieur électoral)», a déclaré le (président) milicien dans un entretien accordé à SBT (Sistema Brasileiro de Televisão – SBT News) à Londres [lors de sa présence aux funérailles de la reine]. Une affirmation grave. Une menace explicite de coup d’Etat.
Sous-estimer les menaces fascistes de ce gouvernement est une énorme erreur politique. Donner un mois de campagne supplémentaire [le second tour est prévu le 30 octobre] au génocidaire [1] est tout ce qu’il veut en ce moment. C’est un temps alloué à Bolsonaro pour essayer d’augmenter son résultat électoral. C’est aussi un délai lui permettant d’augmenter le climat de peur, de violence et d’assassinats [2] contre ceux qui s’opposent à la barbarie des bandits installés au Planalto [siège du président à Brasilia]. C’est encore un temps pour l’armée, qui a incroyablement obtenu du TSE le droit de procéder à un comptage parallèle des suffrages, de remettre en question la volonté populaire lors des élections. La gauche marxiste ne peut pas laisser cette durée supplémentaire d’un mois aux fascistes.
Le destin de la gauche et du mouvement syndical et populaire, des organisations de la classe laborieuse, est en jeu, peut-être pour plusieurs générations. Dans un régime autoritaire, tout le monde sera implacablement persécuté. Nous ne pouvons en aucun cas risquer un second gouvernement génocidaire. Le bolsonarisme ne prendra pas fin le 2 octobre. Toutefois, une défaite électorale écrasante au premier tour donnerait du moral, du courage à notre classe et nous mettrait en meilleure position pour renvoyer ce courant fascistoïde dans les poubelles de l’histoire.
Voter pour Lula au premier tour ne signifie pas être d’accord avec la politique d’alliances [entre autres accord avec Geraldo Alckmin comme vice-président, sans mentionner les accords dans les Etats] et le programme de sa candidature. Nous reconnaissons qu’il existe de nombreuses limites. Cependant, avec toutes les limites que l’on peut souligner, la classe laborieuse, la jeunesse, les différents mouvements sociaux, la majorité de la gauche et les couches paupérisées ont adopté la candidature de Lula comme l’instrument décisif pour vaincre le fasciste. Tout le monde se sentira plus fort pour lutter en faveur des revendications de notre classe et nécessairement pour se battre afin de les faire aboutir sous un éventuel gouvernement Lula.
Le deuxième tour se joue en fait au premier dans ce contexte particulier. Nous avons donc respectueusement dialogué avec les candidat·e·s à la présidence du PCB, du PSTU-Polo Socialista et de l’UP pour leur dire qu’il ne serait pas déshonorant de retirer leur candidature, maintenant, afin d’appeler à voter pour Lula en vue de battre électoralement Bolsonaro le 2 octobre. Cela permettrait de renforcer le camp de ceux qui sont conscients des tâches indispensables qui à l’avenir nous reviennent sous un gouvernement Lula. Cela serait conforme à la tradition de la gauche marxiste et au grand écrivain brésilien qui, dans le passé, a poétiquement exprimé ce besoin contre le fascisme. (Article publié sur le site Esquerda online, site du courant Resistencia du PSOL, le 27 septembre 2022; traduction rédaction A l’Encontre)
Paulo Pasin, ancien président de la FENAMETRO (Fédération nationale des travailleurs du métro)
Mauro Puerro, Professeur, ancien directeur de la FEPESP (Fédération des enseignants de l’Etat de São Paulo)
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[1] Le terme génocidaire renvoie aux plus de 700’000 morts du Covid suite à la politique de Bolsonaro et au feu vert du régime aux massacres des populations amérindiennes, dans l’Amazonie. (Réd. A l’Encontre)
[2] Dans la nuit du 7 au 8 septembre 2022, dans la région du nord du Mato Grosso, Benedito Cardoso dos Santos a été assassiné par un suppôt de Bolsonaro. Le 24 septembre, dans la ville de Cascavel (région métropolitaine de Fortaleza a été assassiné Antônio Carlos Silva de Lima. De plus, voir sur le climat de peur l’enquête de Datafohla publiée dans la note 1 de l’article mis en ligne sur ce site le 15 septembre. (Réd. A l’Encontre)
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