Brésil: 8500 licenciements par jour!

Atelier d'Embraer

Par Fernando Silva*

Même le Carnaval et ses jours d’allégresse et de folie à travers tout le pays ne parviennent à occulter le drame du chômage qui continue d’avancer à un rythme affolant. Selon des données du Ministère du Travail, pour le mois de janvier 2009, ce sont 101’748 postes de travail fixe qui ont été supprimés. Faisons le compte: cela donne une moyenne de 3282 licenciements par jour.

Selon un reportage de la Folha de São Paulo, ce sont 800’000 emplois fixes qui ont été supprimés dans notre pays depuis le mois de novembre 2008. Mais ce chiffre paraît presque modeste au regard des 8800 postes de travail supprimés en moyenne chaque jour depuis le mois de février 2008. Sans parler des 4’200 licenciements annoncés à la veille du Carnaval par l’entreprise aéronautique Embraer [parmi les plus importants producteurs à l’échelle mondiale d’avions petit et moyen courrier]. Et nous ne parlons que des emplois formels, des contrats à durée indéterminée. Les chiffres et les données concernant les conséquences de la crise économique sur les secteurs plus précarisés et subissant le sous-emploi de la classe ouvrière ne sont pas encore publiés.

Le cynisme du grand capital

La situation au Brésil n’est bien sûr que le reflet de l’aggravation de la crise économique mondiale, qui semble n’avoir pas encore atteint le fond, si l’on en croit les chiffres de la violente contraction récessive dans les pays du centre, le chômage massif et la faillite de géants du secteur de la finance et de la production aux Etats-Unis, en Europe et au Japon.

Ces chiffres indiquent une situation criminelle, remplie du cynisme du grand capital et des fanfaronnades du gouvernement. Parce qu’ici comme là-bas, la recette du grand capital consiste à se décharger sur les travailleurs du poids de la crise, sous forme de licenciements et de suppression de droits, alors que les gouvernements et les Banques centrales essaient de déverser des montagnes d’argent pour sauver le capitalisme.

Au Brésil, le cynisme c’est d’abord celui des grandes entreprises qui, dans les périodes de croissance, ont battu des records de production et de bénéfices. Cela concerne aussi bien les banques, des usines d’assemblage ou des entreprises exportatrices, comme la compagnie Embraer.

Quand la crise commence, les calculs sont simples pour le capital: on coupe dans les emplois et dans les coûts du travail. Et, profitant du moment d’extrême difficulté et de la situation défensive dans laquelle se trouvent les salarié·e·s face à la menace du chômage, on remet sur le tapis la question de la diminution des droits des travailleurs, ainsi que celle de la flexibilisation des salaires et du temps de travail. Cette «flexibilisation» est présentée comme une contrepartie permettant de garantir l’emploi.

Voyons le cas de l’entreprise Embraer. Celle-ci veut supprimer 20% de ses effectifs alors que, selon le Syndicat des Métallurgistes de São José dos Campos [dans l’Etat de Sao Paulo], elle a un carnet de commandes fermes qui atteint 21,6 milliards de dollars et une production de 270 avions prévue pour 2009.

La politique du gouvernement ne défend pas l’emploi

Mais il y a aussi du cynisme de la part gouvernement fédéral et du président Lula lui-même: leurs effets de manche se limitent à des manifestations publiques de mécontentement quant à la situation et à des critiques aux entrepreneurs qui licencient.  Mais il n’y a pas de mesures effectives pour mettre fin à cette saignée des postes de travail. Comme on s’est déjà accommodé de cette situation, l’une des plus importantes mesures prises par le gouvernement a été d’annoncer une timide extension des prestations de l’assurance-chômage et cela pour certains secteurs seulement…

Pour mesurer le degré de cynisme atteint, prenons l’exemple des 4200 licenciements chez Embraer. Dans le cas qui nous occupe, le gouvernement fédéral est actionnaire – bien que minoritaire – de l’entreprise, à travers la BNDES [Banque Nationale Brésilienne pour le Développement Economique et Social]. Et l’on ne parle pas des fonds de pension des Etats [fédéraux] qui participent également à la gestion de l’entreprise. Ce qui est le plus important, c’est qu’en tant que membre du Conseil d’Administration, le gouvernement, au travers de la BNDES, a le pouvoir de mettre son veto aux licenciements…

Mais le problème, c’est qu’en temps de crise, le centre de gravité de la politique générale du gouvernement c’est d’abord de sauver les capitalistes et leurs affaires et de relancer l’économie par le marché intérieur. On réduit, même si ce n’est que timidement, les taux d’intérêts, on assure une augmentation réelle du salaire minimum, les banques des Etats [le Brésil est une République fédérale] libèrent de l’argent pour les entreprises, on étatise la dette extérieure à court terme des entreprises privées en utilisant les réserves de change [accumulées lors de l’essor des exportations].

Bien, les entreprises reçoivent de l’argent de la part du gouvernement et achètent des titres de la dette publique [obligation], font d’autres opérations financières, mais elles continuent à licencier. Comment donc est-il possible de relancer l’économie et le marché intérieur avec ce niveau de chômage et en tenant compte du fait, nullement secondaire, que l’endettement de la population (cartes de crédit, chèques, prêts accordés) se situe à hauteur de 40% du PIB ? Cela au moment où s’exerce une pression concrète en vue de réduire les salaires ?

Avec la situation extérieure qui est également catastrophique, une économie tournée vers l’exportation ne peut donc pas se réorienter, du moins à court terme, vers le marché intérieur.

Des mesures concrètes et radicales

Ce qui est surtout dramatique, c’est l’absence d’une plate-forme générale, d’une campagne nationale de masse qui mette en avant le point de vue de la classe ouvrière pour défendre l’emploi, sans accepter le jeu de la flexibilisation des droits syndicaux, du travail et des salaires.

Avec l’accord de directions syndicales collaborationnistes, incapables de construire une résistance – certes difficile mais indispensable pour défendre l’emploi face à cette offensive – le nombre d’accords qui acceptent une réduction des salaires en même temps que la réduction du temps de travail a augmenté. Une campagne nationale est nécessaire pour exiger l’interdiction des licenciements et le maintien des emplois. Commencer par une campagne large, massive et unitaire pour faire barrage aux plus de 4000 licenciements de l’entreprise Embraer serait déjà un excellent point de départ.

La défense de la réduction du temps de travail sans réduction salariale ni coupe dans les droits, ainsi que le rejet de tout type de réforme du travail, devraient se trouver au premier plan d’une campagne nationale menée par les syndicats et les centrales qui veulent véritablement défendre la classe ouvrière. Il ne faut pas craindre non plus de lancer dans la société des débats sur des mesures qui bien sûr seront attaquées et considérées comme absurdes ou radicales par le grand capital et les médias qui le servent. Comme, par exemple, l’idée du contrôle public et étatique sur les entreprises qui sont en train de licencier en masse ou sont sur le point de fermer. Face à la situation si exceptionnelle dans laquelle nous nous trouvons, quel serait le problème à ce que l’Etat assume le contrôle de la production et de l’entreprise avec les salariés qui y travaillent ? Ou bien allons-nous continuer à rester sur le terrain des déclarations officielles en ne faisant que condamner la situation de chômage massif ?

L’Etat devrait d’ailleurs prendre une série de mesures pratiques en ce qui concerne les chômeurs et chômeuses, comme une véritable extension de l’assurance-chômage jusqu’à 12 mois au moins, l’augmentation des indemnités et des droits pour les chômeurs tels que des aides au transport. Il faudrait également une politique massive et immédiate d’investissements de l’Etat dans la construction d’écoles, d’hôpitaux, de logements et d’infrastructures, non seulement pour créer des emplois, mais également pour offrir à la majorité de la population, en ces temps de crise plus particulièrement, des services publics et sociaux de qualité.

Et puisque l’on y est, pourquoi ne pas remettre sur le tapis la question de la suspension du paiement des intérêts de la dette publique ? Cette mesure libérerait d’importantes ressources permettant au gouvernement d’investir dans la création d’emplois et de services ainsi que de mettre fin à la farce que les entreprises et les banques continuent à opérer, en détenant des titres de la dette dont elles tirent  des bénéfices afin de maintenir leurs profits ou de diminuer leurs pertes. Alors que pendant ce temps… 8800 travailleurs par jour perdent leur emploi au Brésil. (Traduction A l’Encontre)

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* Fernando Silva est journaliste, membre de la Direction Nationale du PSOL (Parti du socialisme et de la liberté) et membre du Comité de rédaction de la revue Debate Socialista.

(8 mars 2009)

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