Maroc-Rif. Nasser Zefzafi devant les juges: «les responsables du désastre devraient occuper ma place»

Nasser Zafzafi, leader du Hirak, mouvement de protestation d’Al Hoceïma

Réd. A l’Encontre

Selon la rédaction de Le Desk et d’autres sources, le nombre de personnes placées en détention préventive suite aux «événements d’Al Hoceïma» a atteint 176, a annoncé, jeudi à Rabat, le ministre délégué chargé des Relations avec le parlement et la société civile, porte-parole du gouvernement, Mustapha El Khalfi.

• En date du 6 juillet 2017, ces détenus, contre lesquels aucun jugement définitif passé en force de chose jugée n’a été prononcé, se répartissent comme suit: 56 personnes en cours d’instruction (48 devant la Cour d’appel de Casablanca et 8 devant celle d’Al Hoceïma), 120 personnes en cours de jugement (64 devant le Tribunal de première instance d’Al Hoceïma, 51 devant la Cour d’appel d’Al Hoceïma et 5 devant la Cour d’appel de Nador), a précisé El Khalfi qui s’exprimait lors d’un point de presse au terme de la réunion hebdomadaire du Conseil du gouvernement.

Mustapha El Khalfi a ajouté que 63 autres personnes poursuivies sont en état de liberté, dont 4 devant passer face la Cour d’appel de Casablanca, 17 devant celle d’Al Hoceïma et 42 devant le Tribunal de première instance d’Al Hoceïma, tandis que 21 autres personnes ont vu leurs dossiers classés.

• Le procès de Nasser Zefzafi, leader de la contestation populaire dans le nord du Maroc, débute, lundi 10 juillet à Casablanca, alors que les manifestations ont quasiment cessé. Mais les militants restent mobilisés pour «la libération des prisonniers».

Emprisonné depuis la fin mai pour avoir interrompu le prêche d’un imam dans sa ville d’Al Hoceïma, Nasser Zefzafi doit passer en milieu de matinée devant les juges de la chambre criminelle de la cour d’appel de Casablanca. Le chef du Hirak (le «mouvement»), nom donné localement à la contestation), aux harangues enflammées dénonçant «l’Etat corrompu», fait face à de lourdes charges, notamment «atteinte à la sécurité intérieure» pour lesquelles il encourt plusieurs décennies de prison.

• Nasser Zafzafi a été entendu pendant six heures par le juge d’instruction de la cour d’appel de Casablanca ce lundi 10 juillet 2017, selon le site Tel Quel. D’après ses avocats, le leader du Hirak est apparu «déterminé» et «en bonne condition physique».

C’est après six longues heures devant le juge d’instruction que le comité de défense de Nasser Zafzafi (au total 25 avocats) est apparu sur l’esplanade de la cour d’appel de Casablanca. Le leader du Hirak a été présenté ce lundi 10 juillet devant le juge d’instruction pour les besoins de l’enquête approfondie. «Au cours de cette séance, nous avons discuté les PV de la police judiciaire», nous révèle Saïd Benhammani du comité de défense.

Décrit par ses avocats comme «déterminé», «de bonne humeur» et «en bonne condition physique», la figure de proue du Hirak a répondu avec «aisance à toutes les questions qui lui ont été adressées», nous déclare maître Abdessadek El Bouchtaoui. Lors de son audition, Nasser Zafzafi a nié «catégoriquement» toutes les accusations portées contre lui.

«Il a expliqué au juge que les accusations de séparatisme et d’ébranlement de la sécurité de l’Etat sont infondées. Il a mis en avant le caractère pacifique des protestations, mais aussi la légitimité des revendications des manifestants», nous confie maître Benhammani.

L’avocat souligne que son client a relevé devant le juge que «ce sont les responsables des retards cumulés dans la mise en œuvre des projets de développement de la région qui devraient être à sa place». Selon la même source, Zafzafi a exprimé son attachement «à l’unité territoriale et à la monarchie».

A cause de la complexité du dossier de Zafzafi, l’interrogatoire a été ajourné. «Un nouveau programme sera élaboré par le juge d’instruction et on saura demain la date de la prochaine séance», nous précise maître Benhammani. «Des preuves vidéos de la police judiciaire dont on ignore le contenu pour le moment seront présentées», ajoute la même source.

Si les journalistes de la presse nationale et internationale étaient venus en nombre pour cette dernière étape de l’instruction, la famille du leader de Hirak n’était pas au tribunal. «C’est assez difficile pour nous de faire le déplacement à chaque fois», explique le père de Nasser Zafzafi, joint au téléphone.

Nabil Ahemjik et Silya Ziani, deux autres figures du Hirak, seront présentés devant le juge d’instruction le 12 juillet prochain, nous indique le comité de défense.

• Selon l’AFP et Le Monde du 10 juillet 2017, pendant près de huit mois, la petite ville d’Al Hoceïma et la localité voisine d’Imzouren ont vibré au rythme de manifestations pacifiques, rassemblant parfois des milliers de personnes, pour le développement d’une région historiquement frondeuse, qu’elles jugent marginalisée et négligée. La relance par l’Etat d’un vaste plan d’investissements et de chantiers d’infrastructures – avec des visites répétées de cohortes de ministres – n’a pas suffi à désamorcer la colère.

 • Sous la pression, peut-être aussi avec l’approche de la saison estivale, les manifestations se sont réduites début juillet. La tension est aussi retombée avec le retrait des policiers de lieux publics emblématiques à Al Hoceïma et Imzouren, une mesure décidée par le roi Mohammed VI en signe d’apaisement, selon les autorités locales.

Mais le mouvement n’a toutefois pas totalement disparu avec la poursuite d’attroupements improvisés de jeunes sur les plages, d’appels, sur les réseaux sociaux et de concerts de casseroles ou de klaxons. La libération des détenus est devenue le nouveau leitmotiv des protestataires, qui s’inquiètent en particulier du sort de Sylia Ziani, figure féminine du mouvement, aujourd’hui en «dépression grave» selon ses avocats.

• Samedi soir, une manifestation de soutien à la jeune femme de quelques dizaines de personnes a été violemment dispersée à Rabat. Plusieurs personnalités de défense des droits humains et des manifestantes ont été frappées par les policiers, a-t-on pu voir sur des images qui ont fait le tour des médias marocains.

Les autorités ont justifié leur intervention par le «refus d’obtempérer» des manifestant·e·s, ainsi que par leur intention «préméditée de provoquer et d’agresser (…) les forces publiques».

 • L’approche «sécuritaire» adoptée par les autorités reste très critiquée par les ONG et la société civile, mais également par une partie de la classe politique. Le patron de l’Istiqlal (parti historique de l’indépendance), Hamid Chabat, a ainsi demandé samedi la remise en liberté de Nasser Zefzafi et de ses codétenus, dont la cause était «pacifique» et les revendications «économiques et sociales».

A l’image du premier ministre islamiste Saad Eddine Al-Othmani, les principaux partis du pays sont revenus sur leurs accusations de «séparatisme» contre le mouvement de protestation «hirak». Et le débat fait toujours rage sur les suspicions de tortures et de mauvais traitements qu’auraient subis certains détenus.

• La semaine dernière, des fuites dans la presse d’un rapport du Conseil national des droits de l’homme (CNDH), un organisme officiel, ont été transmises à la justice. Ces expertises médicales ont été catégoriquement démenties par la police. Dimanche, 9 juillet, un «comité des familles des détenus» a demandé l’ouverture d’une enquête sur ces allégations de mauvais traitements, et a de nouveau appelé à la libération des détenus, en premier lieu de la jeune Sylia Ziani «dont l’état de santé s’est détérioré». (Réd. A l’Encontre)

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«Nous sommes tous Zefzafi»

Par Rosa Massoui

• Le régime hésite sur la marche à suivre pour casser cette figure de la contestation rifaine. La diffusion d’une humiliante vidéo du prisonnier a soulevé, lundi, une vague d’indignation.

Ses diatribes, en arabe dialectal ou en tarifit, la langue berbère du Rif, ont touché les cœurs et nourri, pendant huit mois, la flamme de la révolte dans le nord du Maroc. Nasser Zefzafi y a gagné un respectueux surnom: «Amghar» («le Sage»). Dans ses discours sans concession, il dénonce la marginalisation politique, sociale et culturelle de sa région, avec, toujours, ce leitmotiv: le pacifisme.

Depuis son arrestation, le 29 mai, ce chômeur de 39 ans, leader du «Hirak», est incarcéré à la prison d’Oukacha, à Casablanca, avec une quarantaine d’autres figures du mouvement rifain. Au total, 239 protestataires font l’objet de poursuites judiciaires. Parmi eux, 176 sont détenus. De très lourdes charges pèsent sur Nasser Zefzafi: il est accusé de «complot, de propagande visant à porter atteinte à la sécurité intérieure de l’État, à l’intégrité du royaume et sa souveraineté», à travers «la perception de sommes d’argent », en menant « une attaque ayant pour but la dévastation, le massacre et le pillage dans plusieurs régions».

Lundi, il a été présenté à un juge d’instruction, qui l’a interrogé pendant plus de six heures. «Il a rejeté toutes les accusations portées contre lui et affirmé qu’il avait signé des PV qu’il n’avait pas lu», a indiqué à l’AFP l’un de ses avocats, Said Benhammani, à l’issue de l’audition. Quoi qu’il en soit, cette instruction est entachée par les allégations de torture et de traitements inhumains et dégradants infligés au détenu politique.

Depuis la fuite d’extraits d’un rapport de médecins légistes demandé par le Conseil national des droits de l’homme (CNDH), une instance officielle qui corrobore ces affirmations, la guerre semble déclarée entre l’aile sécuritaire du régime et les tenants d’une politique d’apaisement dans le Rif. Dernier épisode de ce conflit larvé, lundi, un site connu pour être un relais des services marocains (barlamane.com) a diffusé une vidéo muette de Nasser Zefzafi filmé et photographié (on entend les clics de l’appareil), en train d’exposer différentes parties de son corps: jambes, dos, ventre, bras…

Le texte accompagnant la vidéo prétend, à l’appui de ces images, que le détenu politique ne porte pas de traces de violences, qu’il n’aurait donc pas subi de tortures. Contraindre un prisonnier à dévoiler son corps, le filmer et diffuser publiquement ces images pour alimenter la propagande des tortionnaires… le procédé a déclenché un tollé.

«La publication d’une vidéo humiliante de Nasser Zefzafi est une atteinte à ses droits de prisonnier. Nous condamnons cet acte», a réagi l’Association marocaine des droits humains (AMDH). Le site d’information francophone Le Desk a vu dans cette séquence «un nouvel épisode du climat délétère que traverse le pays avec son chapelet de barbouzeries continuelles». L’administration pénitentiaire, elle, décline toute responsabilité, assurant que ces images ont été tournées avant le transfert du détenu à Casablanca. Mais le directeur de la prison d’Oukacha a été relevé de ses fonctions et muté…

«Immédiatement après avoir pris connaissance de cette vidéo», le procureur général du roi à Casablanca a «ordonné l’ouverture d’une enquête pour élucider les circonstances de son enregistrement et la finalité de sa publication», indique un communiqué diffusé lundi soir. Le ministre des Droits de l’homme, Mustapha Ramid, a exprimé son «indignation». Entre-temps, la vidéo controversée a été retirée,

• Signe que le régime marocain, divisé, hésite sur la marche à suivre pour étouffer un mouvement social, politique et culturel qui n’a pas connu de trêve depuis neuf mois. La diabolisation de Nasser Zefzafi, d’abord présenté comme un séparatiste amazigh (Berbère) à la solde de l’Algérie, a laissé place à la stratégie de l’humiliation. Objectif: casser le militant, dissiper l’aura de cette figure charismatique et très populaire qui fustige la corruption, dénonce sans relâche la hogra (le mépris de l’Etat pour le peuple) et revendique fièrement l’héritage de la République d’Abdelkrim El Khattabi, héros de la première guerre anti-coloniale du XXe siècle. Peine perdue. A Al Hoceïma, malgré la répression, les protestations se poursuivent. Avec ce slogan: «Nous sommes tous Zefzafi.»

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