Par Abdel Ghani
C’est aujourd’hui, samedi 12 juin, que les électeurs se rendront aux urnes pour élire la nouvelle composante de l’Assemblée populaire nationale (APN). Une élection qui se tiendra, faut-il le rappeler, dans un contexte particulier, marqué notamment par le boycott de la majorité des partis de l’opposition, une fronde populaire qui s’exprimait par l’intermédiaire des marches hebdomadaires et qui ont été réprimées ces dernières semaines, et sous le régime d’une nouvelle loi électorale avec un nouveau système de vote.
L’enjeu majeur de ce scrutin est, bien entendu, le taux de participation. Si le référendum sur la Constitution du 1er novembre dernier a enregistré un taux historiquement bas, avec 23,7% de participation seulement, les autorités, tout comme les partis participant à ce rendez-vous, s’attendent à un chiffre plus élevé, dans la mesure où ces législatives pourraient éventuellement «intéresser» plus de monde. Mais dans quelle proportion ce scrutin va être plus important? Difficile de le prédire.
Dans tous les cas de figure, plusieurs partis de l’opposition, les démocrates notamment, qui se sont regroupés au sein des forces du Pacte de l’alternative démocratique, ont décidé de boycotter ces élections. Le Front des forces socialistes (FFS) aussi, dont la direction s’est retirée de ce regroupement, boycotte ce scrutin. Quelle légitimité aura un scrutin sans les partis de l’opposition? Le pouvoir en place ne semble pas se poser la question.
La participation des formations de la mouvance islamiste [entre autres, le Mouvement de la société pour la paix], en plus de celle dite «nationaliste», même si elle est fortement décriée – c’est le cas notamment du PFLN (Parti du Front de libération nationale) et du RND (Rassemblement national démocratique) – ainsi que de quelques autres formations politiques, à l’image de Jil Jadid, qui prétend représenter la mouvance démocratique à cette élection, semble suffire pour le pouvoir en place. D’où, par ailleurs, les «craintes» exprimées par certains quant à une victoire des islamistes.
Ce qui, bien entendu, n’est pas évident en raison, et c’est l’inconnue de cette élection, de la forte participation des listes indépendantes. Il faut noter que pour la première fois dans l’histoire du pays, les «indépendants» sont plus nombreux que les partisans.
L’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE) avait indiqué, avant l’entame de la campagne électorale, que 837 listes, sur un total de 1483, soit la majorité, sont «indépendantes». Beaucoup parmi ceux qui composent ces dernières, sont des transfuges de partis politiques de l’ancienne «alliance présidentielle», du personnel administratif ou, pour quelques-unes, venues du mouvement associatif.
A priori, tout semble indiquer que les «indépendants» auront une place à la future Assemblée. D’autant plus que la nouvelle loi électorale prévoit des aides financières au profit des candidats jeunes (moins de 40 ans) des listes indépendantes. Tout a été mis en œuvre par les autorités pour faire «réussir» ce rendez-vous, surtout en matière de participation, à commencer par tenter de dynamiser la campagne.
Et pour cela, elles ont décidé d’empêcher, à la mi-mai, c’est-à-dire juste avant le début de cette campagne, les marches du hirak qui, après un arrêt volontaire de plus de huit mois pour cause de Covid-19, avaient repris au mois de février dernier dans plusieurs wilayas du pays, dont la capitale.
C’est d’ailleurs dans ce climat émaillé d’interpellations et d’emprisonnements, qu’ont été organisés meetings et «actions de proximité» des différents candidats. Des arrestations qui se sont poursuivies même à la veille des élections. En tout cas, la campagne électorale, marquée aussi par des déclarations loufoques de certains chefs de parti politique, qui ont soit provoqué la risée, soit ont été dénoncées, ne semble pas avoir provoqué la cohue attendue par les candidats.
Si les partis politiques traditionnels, qui ont une certaine base donc, à l’image du PFLN, RND ou MSP, ont pu organiser quotidiennement des meetings, d’autres formations ont préféré opter pour des actions de proximité, en d’autres termes, des sorties dans les lieux publics, rues, entreprises… Certains parmi ceux qui se sont aventurés sur le terrain des meetings se sont retrouvés dans des salles presque vides.
Mais cela voudrait-il dire, pour autant, que le désintérêt est acté? Et à quelle échelle? En tout cas, les uns et les autres auront des réponses à l’issue des journées d’aujourd’hui et de demain (proclamation des résultats). Les élections législatives du 12 juin sont inédites à plus d’un titre. Les résultats le seront peut-être aussi… [Le taux de participation à la fermeture des urnes se situait à 30%.] (Article paru dans El Watan, le 12 juin 2021)
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«Une élection et des questions»
Par Karim K.
Présentées par les autorités comme un «évènement majeur» pour parachever l’édifice institutionnel entamé avec l’élection présidentielle du 12 décembre 2019, avant d’engager la dernière ligne droite des élections locales prévues avant la fin de l’année en cours, les élections législatives, auxquelles sont conviés aujourd’hui, 12 juin, plus de 24 millions d’électeurs, ne semblent pas susciter l’engouement des Algériens.
Hormis peut-être les abonnés des scrutins composés pour l’essentiel des militants loyaux des formations politiques participantes, des réseaux souterrains où on retrouve les zaouias [confréries soufistes placées sous le contrôle du ministère des Affaires religieuses] et quelques associations satellites du pouvoir et les proches des candidats dits «indépendants», il est peu probable que le scrutin attire la grande foule.
D’autant que les législatives, contrairement aux élections locales ou à la présidentielle, ont, de tradition, été boudées par les Algériens. En 2017, le taux de participation était de seulement 37,35%, tandis qu’en 2012, il était de 43%. Est-ce peut-être le discrédit qui a frappé la chambre basse du parlement et cette conception largement partagée chez nombre d’Algériens selon laquelle elle fait office simplement de tremplin pour certains pour s’inscrire à la rente qui seraient à l’origine des bouderies répétées ?
Au-delà de cet aspect, les signes d’une désaffection annoncée sont multiples: il y a d’abord la campagne électorale. Au terme de trois semaines, les candidats, dont certains sont des reliques de l’ancien régime de Bouteflika, alors que d’autres sont des néophytes, n’ont pas pu drainer des foules lors de leurs meetings électoraux.
Certains ont même dû annuler des rencontres faute de public. De guerre lasse, beaucoup ont décidé d’investir les réseaux sociaux dans l’espoir d’infléchir la tendance. Il faut dire aussi que leur discours fut caractérisé par une indigence tournant parfois au loufoque, lorsqu’il ne verse pas dans la haine et la discrimination. «Jamais peut-être les Algériens n’ont ressenti autant de dégoût, excusez le terme, devant des candidats qui rivalisent, les uns avec les autres, en médiocrité. Toutes les élections passées avaient leurs charlatans et leurs clowns, mais encore plus avec ces législatives. Il y a dans l’air comme un sentiment d’humiliation», observait dans les colonnes de Liberté le sociologue Nacer Djabi.
Ensuite, il y a le contexte politique. Dans un climat lourd, sur fond d’arrestations tous azimuts et de verrouillage politico-médiatique à l’encontre des voix de l’opposition, les élections interviennent au lendemain d’un coup de filet opéré sur des figures connues du Hirak, à l’image de Karim Tabbou ou encore du directeur de Maghreb Emergent et radio M, Ihsane El Kadi et du journaliste, Khaled Derarni. [Selon divers communiqués, ils ont été relâchés dans la nuit du vendredi à samedi.]
On ignore pour l’heure les raisons qui ont motivé ces arrestations, mais elles ne sont pas de nature à fournir les signes d’une volonté d’apaisement, ni d’une volonté d’un changement de cap dans l’approche de sortie de crise.
Enfin, il y a la pandémique et la crise économico-sociale qui semblent avoir épuisé les espoirs de pans entiers de la population quant à une perspective de changement à travers les urnes, maintenant que le Hirak a été étouffé.
Comme un avant-goût de ce que sera le scrutin d’aujourd’hui, les Algériens de la diaspora ne se sont pas bousculés devant les urnes alors qu’Alger offrait hier l’image d’une ville qui ne semblait pas emballée par l’événement.
Reste que les enjeux du scrutin sont nombreux: si pour le pouvoir, attaché à l’application de sa «feuille de route», il s’agit d’élire un parlement – qu’importe le taux de participation –, dans l’espoir de se relégitimer et de sauvegarder ses équilibres internes, pour les participants, en revanche, notamment les partis, il s’agit d’investir les institutions et de disposer d’une visibilité en perspective d’une recomposition politique en vue.
Quant au Hirak, qui peine toujours à trouver les ressorts pour une meilleure organisation, il s’agit de tenter de disqualifier un scrutin qu’il rejette au demeurant même si sa capacité à changer le cours des choses et à obtenir les changements escomptés bute sur l’intransigeance du pouvoir.
Une seule certitude, cependant: demain dimanche 13 juin, l’Algérie se réveillera avec un nouveau parlement, mais avec les ingrédients d’une profonde crise multidimensionnelle toujours en place. Avis de sceptique: «C’est d’évidence, une occasion ratée. Cette élection n’échappe pas aux grandes tendances habituelles de recyclage du vide politique et qui ne sert, au final, qu’à reproduire les mêmes pratiques, les mêmes assemblées mal élues avec le même personnel politique assujetti au pouvoir et au système. Nous n’aurons pas le 13 juin un parlement qui légifère, propose des textes de lois, anime le débat politique, contrebalance le pouvoir exécutif et s’enquiert des préoccupations des Algériens», soutient le sociologue Nacer Djabi. (Article paru dans Liberté, le 12 juin 2021)
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