Par Louis Gill
Le samedi 26 mai 2012, une mobilisation massive a été à l’ordre du jour dans les diverses villes du Québec. Voici ce que le quotidien Le Devoir, en date du 27 mai 2012, affirme: «Le tintamarre des casseroles s’est fait entendre une fois de plus dans plusieurs villes du Québec, samedi soir. Des milliers de personnes de tous âges ont exprimé leur opposition à la hausse des droits de scolarité et à la loi 78, mais aussi leur ras-le-bol face au gouvernement Charest [Jean Charest, Premier ministre du Québec depuis avril 2003].
A Montréal, la 33e manifestation nocturne s’est déroulée dans une ambiance calme, même si quatre arrestations ont été effectuées. Deux jeunes hommes seront notamment accusés d’entrave au travail des agents de la paix pour avoir frappé deux chevaux sur lesquels se trouvaient des policiers.
Au total, une dizaine de manifestations de casseroles se sont tenues en plusieurs endroits de la métropole et toutes ont été déclarées illégales en vertu de violations des règlements municipaux. Mais elles ont été tolérées. La circulation était difficile tant les marcheurs étaient nombreux et dispersés.
Aucun incident n’a été signalé, si ce n’est qu’un automobiliste impatient aurait poussé un manifestant avec son véhicule sur une centaine de mètres, sans toutefois lui infliger des blessures.»
Nous publions ci-dessous un article datant du 22 mai 2012, de Louis Gill. Louis Gill est économiste et professeur (retraité) de l’UQUAM (Université du Québec à Montréal); il est l’auteur, entre autres, de La Crise financière et monétaire mondiale, Editions M, Québec, 2011. Il contribue régulièrement à la revue trimestrielle animée par François Chesnais: Carré rouge.
Cet article permet de situer les origines de cette «révolution des érables» dans son contexte. Les lectrices et lecteurs pourront aussi se rapporter aux articles mis en ligne sur ce site les 24 et 25 mai 2012 (onglet Amérique du Nord). Dans le texte ou les notes, ils trouveront de mêmes des éléments d’information sur une mobilisation qui n’est de loin plus strictement «étudiante», comme beaucoup de médias ont voulu la cantonner. (Rédaction A l’Encontre)
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Tout a commencé par la décision du gouvernement du Québec d’augmenter de 75% sur une période de cinq ans, à partir de la session d’automne 2012, les droits de scolarité universitaires qui sont actuellement de 2168 dollars pour une pleine année (10 cours de 3 crédits). Ces droits seraient indexés à l’inflation pour les années ultérieures. Cette proposition a par la suite été étalée sur sept ans au lieu de cinq. Il faut dire qu’au Québec, l’éducation est gratuite dans les établissements publics à tous les niveaux d’enseignement sauf au niveau universitaire. Il avait été prévu à la fin de la «Révolution tranquille» des années 1960, dans le cadre d’une importante réforme du système d’éducation, au sortir de la période de la «Grande Noirceur» du régime autoritaire du premier ministre Maurice Duplessis, que la gratuité universitaire, considérée comme trop onéreuse dans l’immédiat, était un objectif à atteindre à moyen terme. En tant que membre de l’UNESCO, le Canada adhère par ailleurs à son Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, dont l’article 13 stipule que «l’enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l’instauration progressive de la gratuité».
Même si cet objectif n’a jamais été réalisé, le Québec est demeuré la province du Canada où les droits de scolarité sont les moins élevés, fait sur lequel le gouvernement s’appuie pour soutenir qu’un ajustement à la hausse s’impose et que les étudiants doivent «payer leur juste part» du financement d’une formation dont ils sont les bénéficiaires. «Gelés» à leur niveau de 1968, soit 500 dollars par année, pendant 20 ans, les droits de scolarité universitaires y ont été triplés au début des années 1990, puis de nouveau augmentés de 100 dollars (canadiens) par année pendant les cinq dernières années pour atteindre 2168 dollars aujourd’hui. La nouvelle hausse graduelle sur sept ans qui doit entrer en vigueur à l’automne les porterait à 3946 dollars en 2018-2019. Le gouvernement s’appuie sur le fait que ce montant ne ferait que rattraper celui de 1968 s’il avait augmenté au rythme de l’inflation au cours de cette période de 50 ans.
Non seulement ce raisonnement fait-il abstraction de l’objectif de départ qui était de réduire ces frais jusqu’à la gratuité, considérant que l’éducation est un bien commun dont les frais de financement tout comme les avantages doivent être partagés par la collectivité, mais il néglige aussi le fait qu’une multitude de frais connexes, désignés comme les «frais afférents» ou «frais institutionnels obligatoires», se sont ajoutés aux droits de scolarité au fil des années, pour atteindre aujourd’hui des montants qui s’élèvent en moyenne à 650 dollars par année.
Une puissante mobilisation
Déclenché au début de février 2012, le mouvement de grève, qui est entré dans sa quinzième semaine le 21 mai, a mobilisé des centaines de milliers d’étudiants sur les campus des collèges et des universités et a même connu de brèves grèves de solidarité dans certaines écoles secondaires. Il a été marqué par d’innombrables actions d’éclat et de solidarité, par la construction de lignes de piquetage destinées à bloquer l’accès aux établissements qui avaient voté démocratiquement en faveur du recours à la grève, par des centaines de manifestations ponctuelles dans diverses villes, par de gigantesques manifestations, dont celles des 22 mars, 22 avril et 22 mai, qui ont réuni plus de 200’000 personnes à Montréal; et par des manifestations quotidiennes nocturnes dont la 29e consécutive a eu lieu le 22 mai.
Il a aussi été marqué par une violente répression policière qui a donné lieu à des milliers d’arrestations et à de graves blessures infligées à des manifestants brutalisés par les matraques, les gaz irritants, les bombes assourdissantes et les balles de plastique ou de caoutchouc des unités de choc de l’escouade antiémeute. Opposé à la violence et déterminé à l’exclure de ses rangs, le mouvement a néanmoins été impuissant à éradiquer l’action des casseurs infiltrés dans ses rangs lors des manifestations, ce qui a fourni le prétexte aux réactions policières brutales et aux accusations de ses opposants pressés de lui attribuer la responsabilité d’actes de vandalisme commis par des éléments étrangers. Montréal vibre quotidiennement au son des auto-patrouilles qui se déplacent en trombe d’un endroit à l’autre au gré des déplacements des manifestants, et à celui des hélicoptères qui surveillent les opérations du haut du ciel.
Le mouvement de grève a manifesté une extraordinaire maturité politique et une rare détermination dans la défense de la volonté de changer les choses. Il a fait apparaître de manière percutante l’arrogance et le caractère rétrograde d’une clique au pouvoir qui est prête à tout pour préserver ses privilèges et ses valeurs désuètes. Il a démontré un immense talent et une remarquable créativité en liant à l’action militante l’art vivant de la résistance. On l’a vu sur les banderoles, les affiches, les pancartes, les costumes, les maquillages, voire par le dénuement partiel de certaines participantes aux seins peints d’un simple carré rouge dans les manifestations, mais aussi par le théâtre, la parodie et la chanson. A titre d’exemples, je renvoie les lecteurs et lectrices de cet article aux vidéos «Lipdub rouge» et « Tribunal du peuple des condamnés d’avance», ainsi qu’à la chanson d’Ariane Moffat intitulée «Jeudi, 17 mai 2012», accessibles sur internet.
La résistance étudiante s’est gagné un immense appui au sein de la population. Chez les enseignants d’abord, professeurs et chargés de cours, des collèges et des universités, et leurs syndicats, fédérations et centrales. Le regroupement «Profs contre la hausse» en particulier, constitué dès le début de la grève, a multiplié les initiatives d’appui aux étudiants, sur les lignes de piquetage et par diverses initiatives. Il en est de même des organismes de défense des droits et libertés et de nombreuses personnalités. Le milieu des artistes leur a témoigné un solide appui. Il faut mentionner notamment la soirée des Jutra, qui récompense chaque année les intervenants du milieu du cinéma québécois, à l’occasion de laquelle on a vu cette année une majorité de ses artistes exhiber le carré rouge. L’affichage de l’appui à la cause étudiante est aussi largement répandu dans la population en général.
Des « droits individuels » opposés aux droits collectifs
Il va sans dire que les opposants à l’action étudiante n’ont fait l’économie d’aucun moyen pour lui barrer la route, le premier sur les rangs étant le gouvernement du Parti libéral dirigé par le premier ministre Jean Charest. Farouchement déterminé à augmenter les droits de scolarité, il a d’entrée de jeu fermé la porte à quelque souplesse et a fermement refusé de négocier avec les associations étudiantes, comptant sur un essoufflement qui n’est jamais venu. Il n’a consenti à entreprendre des discussions avec elles qu’in extremis, au terme de 11 semaines de grève, lorsqu’il était devenu clair que les sessions d’étude risquaient d’être irrémédiablement compromises.
Mais il l’a fait dans un esprit de non-reconnaissance de l’action étudiante en tant que mouvement collectif de grève, décidée démocratiquement par les associations représentant les étudiants, et aussi de non-reconnaissance des associations étudiantes comme de véritables organisations représentatives des étudiants. Après avoir refusé de discuter avec la fraction radicale du mouvement, la Coalition large pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE)[1], sous prétexte qu’elle refusait de condamner explicitement la violence, il a finalement accepté de le faire à contre cœur, parce que la Fédération étudiante universitaire (FEUQ) [2] et la Fédération étudiante collégiale (FECQ)[3] avaient exigé sa participation. Une quatrième fédération, la Table de concertation étudiante du Québec (TACEQ) [4], a aussi fait partie des discussions.
Les seules discussions qui ont eu lieu entre le gouvernement et les quatre regroupements d’associations étudiantes se sont déroulées sur 20 heures consécutives. Elles ont débuté le 4 mai 2012 pour se terminer le lendemain, alors que se déroulaient de violents affrontements entre manifestants et policiers dans la petite ville de Victoriaville où le Parti libéral avait choisi de réunir son Conseil général pour s’éloigner de Montréal. En a résulté une entente en vertu de laquelle les représentants étudiants se sont littéralement fait rouler dans la farine. Fort heureusement, cette entente a été massivement rejetée par les membres des quatre organisations. Refusant de reprendre les discussions et invoquant à la fois l’impasse et l’urgence d’agir, le gouvernement s’est tourné vers l’imposition d’une loi d’exception d’une extrême sévérité, introduite par un projet de loi désigné comme le projet de loi 78.
Préalablement à l’adoption de cette loi, des étudiants qui s’opposaient à la poursuite de la grève s’étaient adressés aux tribunaux pour leur demander d’émettre des ordonnances de reprise de cours, invoquant leur droit à obtenir des services pour lesquels ils avaient payé. Les juges de la Cour supérieure qui ont été saisis de ces demandes y ont fait droit et ont imposé, à l’encontre des plus élémentaires considérations pédagogiques, que des cours se donnent à un, deux, trois ou quatre étudiants, au nom de leur prétendu «droit individuel aux études». La riposte étudiante par des piquetages massifs a eu pour résultat que les administrations des établissements visés se sont rendues à l’évidence de l’impossibilité de donner suite à ces injonctions. Nous étions face à cette situation aberrante où des professeurs étaient forcés par un ordre du tribunal de donner des cours à une infime poignée d’étudiants sous peine d’être accusés d’outrage au tribunal et de se voir imposer le cas échéant des peines d’emprisonnement.
Il est difficile de ne pas voir ici une analogie entre le soi-disant «droit individuel aux études» dont les injonctions ont voulu imposer la reconnaissance et le soi-disant « droit individuel au travail » que prétendent garantir aux États-Unis les ainsi nommées «right-to-work laws» ou «lois de droit au travail» en vigueur dans 23 États conservateurs concentrés dans le sud et dans l’ouest du pays. Frauduleusement désignées comme des lois de «droit au travail», ces lois antisyndicales reconnaissent en fait un droit aux travailleurs réfractaires à l’adhésion à un syndicat d’en rester à l’écart et de bénéficier des avantages négociés par le syndicat sans en être membres et sans assumer les frais de son financement.
Le gouvernement n’a cessé de proclamer que la grève étudiante était non pas une grève, même si elle a été votée démocratiquement à la majorité des voix dans des assemblées dûment constituées, mais un « boycott » des cours décidé en quelque sorte individuellement par certains étudiants. Selon lui, ces derniers peuvent toujours, s’ils le souhaitent, « boycotter » leurs cours, mais on ne saurait leur permettre, au nom d’une action collective dont il refuse de reconnaître la légitimité, de brimer le « droit individuel aux études » d’étudiants qui souhaitent continuer à recevoir leurs cours. La loi 78 affirme ce prétendu « droit individuel aux études » et met en pièces la reconnaissance du droit de décider collectivement d’une interruption des cours, comme on décide dans le monde du travail de recourir au moyen de pression qu’est l’interruption du travail, c’est-à-dire la grève.
La portée exceptionnelle de la loi 78
La loi 78 ordonne aux professeurs de reprendre le travail et d’accomplir tous les devoirs rattachés à leurs fonctions, sans arrêt, ralentissement, diminution ou altération de leurs activités normales. Elle interdit à une association de salarié·e·s, à ses dirigeants, incluant ses porte-parole, et à ses membres de participer à une action concertée impliquant une contravention à ces obligations. Elle stipule que nul ne peut, par un acte ou une omission, entraver le droit d’un étudiant à recevoir l’enseignement de l’établissement qu’il fréquente et interdit toute forme de rassemblement à l’intérieur d’un édifice où sont dispensés ces services, ainsi que sur le terrain où est situé l’édifice et dans un rayon de 50 mètres des limites externes de ce terrain. Elle décrète qu’une association ou une fédération d’associations est solidairement responsable de préjudices causés par ses membres contrevenants et institue le renversement du fardeau de la preuve en matière de responsabilité civile à l’égard de tels préjudices présumés.
La loi 78 prévoit que, si une association étudiante est jugée coupable d’une entrave à l’offre normale de services d’enseignement, elle sera, pour une période d’un trimestre pour chaque jour d’entrave, privée des locaux, du mobilier et d’autres avantages, ainsi que des cotisations prélevées à la source auxquelles elle a droit en vertu de la Loi sur l’accréditation et le financement des associations d’étudiants, en vigueur depuis les années 1960, qui a donné jusqu’ici aux associations étudiantes une reconnaissance officielle. C’est l’existence même des associations étudiantes qui se trouve ainsi menacée par la loi d’exception.
En cas d’infraction à quelque disposition de la loi, elle établit des amendes allant de 1000 à 5000 dollars pour un individu, de 7000 à 35’000 dollars pour un dirigeant ou un porte-parole d’une association et de 25’000 à 125’000 dollars pour une association. Ces sommes sont doublées en cas de récidive.
Dépassant largement le seul objectif de la reprise des cours, elle réglemente toute forme de manifestation en limitant à 50 le nombre de personnes au-delà duquel une permission doit être obtenue pour l’organiser. Une demande à cet effet doit être soumise aux services policiers au moins huit heures à l’avance et l’itinéraire doit leur être dévoilé, ce qui rend illégale toute manifestation spontanée déclenchée pour quelque motif que ce soit et par quelque organisation. Le corps policier auquel la demande est adressée a le pouvoir de modifier cet itinéraire.
La loi 78 devant être en vigueur jusqu’en juillet 2013, il est impossible de ne pas voir que le gouvernement cherche aussi par ce moyen à imposer la « paix sociale » jusqu’après les prochaines élections qui doivent avoir lieu d’ici cette date. La Ville de Montréal a, elle aussi, adopté un règlement réclamant des organisateurs des manifestations qu’ils dévoilent leur itinéraire, faute de quoi le rassemblement est jugé illégal. Elle a également décrété illégal le port de masques dans les manifestations.
Une loi massivement rejetée
La Loi 78 a été vertement dénoncée dans la population en général, par les syndicats, les associations démocratiques et par de nombreuses personnalités qui en ont condamné les atteintes aux droits d’association, d’expression et de manifestation, y voyant les germes de l’État policier. Des pétitions ont déjà réuni les signatures de centaines de milliers d’opposants et des procédures seront intentées pour en contester la légalité. L’organisation étudiante la plus radicale, la CLASSE, a appelé à la désobéissance civile pour s’y opposer. Pour mesurer l’étendue de l’opposition à cette loi, il faut mentionner qu’elle compte même dans ses rangs le Barreau du Québec dont le bâtonnier a déclaré qu’elle «porte atteinte aux droits constitutionnels et fondamentaux des citoyens» et que «l’ampleur de ces limitations aux libertés n’est pas justifiée pour atteindre les objectifs visés par le gouvernement». Le Barreau a par contre, cela va de soi, condamné l’avenue de la désobéissance civile comme moyen de contestation, la caractérisant comme une inadmissible dérogation à la règle de droit.
Pour ce qui est des mesures relatives aux manifestations, elles sont défiées chaque jour dans la rue. Le soir même de l’adoption de la Loi 78, 15 000 personnes sont descendues dans la rue à Montréal et des centaines d’autres dans d’autres villes, comme Québec, Sherbrooke et Gatineau, en scandant: «C’est pas une loi spéciale qui va nous faire plier. Grève générale illimitée!», ou «La loi spéciale, j’m’en câlisse». Plus de 250’000 manifestants de tous les âges, de Montréal et venant d’autres régions du Québec, ont crié le même rejet en défilant dans les rues de Montréal le 22 mai en après-midi, centième jour de la grève. Simultanément, des manifestations de taille plus modeste ont eu lieu dans plusieurs villes du Québec. Ce même soir, avait lieu à Montréal la 29e manifestation nocturne consécutive contre la hausse des droits de scolarité et, désormais, contre la loi matraque. Des manifestations nocturnes ont également eu lieu dans d’autres villes.
L’appui à la grève s’est par ailleurs étendu à l’extérieur du Québec, notamment au Canada anglais d’où des messages de solidarité et des appuis financiers ont été envoyés par la Fédération canadienne des étudiants, l’Association canadienne des professeurs d’université, le Syndicat canadien de la fonction publique, les Travailleurs canadiens de l’automobile, le Syndicat des communications, de l’énergie et du papier, ainsi qu’à New York et à Paris où des manifestations ont eu lieu le 22 mai.
Cette formidable mobilisation d’étudiant·e·s, mais aussi de personnes de toute provenance et de tout âge, exprime non seulement l’appui aux revendications étudiantes. Elle exprime tout autant le ras-le-bol de la population face à des dirigeants politiques corrompus et arrogants, coupables de fraude et d’abus de pouvoir. Il est important de savoir qu’au moment où le gouvernement Charest adoptait sa loi matraque, commençaient les travaux de la Commission d’enquête publique sur la collusion et la corruption dans l’octroi de contrats publics dans l’industrie de la construction, à la création de laquelle il s’est fermement opposé pendant plus de deux ans. Cette enquête a pour objectif de mettre au jour les liens entre le crime organisé, les entrepreneurs en construction, les bureaux de génie-conseil et le financement occulte des caisses électorales des partis politiques, plus particulièrement du Parti libéral.
Un avant-goût des travaux de cette commission d’enquête a été donné par le dévoilement de la présence à un souper bénéfice organisé pour la ministre démissionnaire de l’Éducation, Line Beauchamp, d’une figure connue de la mafia italienne de Montréal. Line Beauchamp a tenu la ligne dure face aux étudiants. De son côté, le maire de Montréal, Gérald Tremblay, vient d’être éclaboussé par l’arrestation de son ex-bras droit, Frank Zampino, ancien président du comité exécutif de la Ville de Montréal, ainsi que d’une dizaine de ses proches collaborateurs, par l’Unité permanente anti-corruption, sous des accusations de fraude, de complot et d’abus de confiance!
Le coût minime des revendications étudiantes
Dans le budget de l’année 2012-13 présenté le 20 mars dernier, le gouvernement a établi à 279 millions de dollars la contribution nette des étudiants au financement des universités découlant de la hausse prévue des droits de scolarité pour 2016-2017. Ce montant, qui ne représente que 3 dixièmes de un pour cent des revenus budgétaires prévus pour 2016-17, pourrait être versé aux universités, sans coût supplémentaire pour le gouvernement, par le seul ajout d’un palier d’imposition au taux de 28 % sur les revenus des particuliers supérieurs à 125’000 dollars5. On demanderait ainsi simplement aux citoyens mieux nantis, plutôt qu’aux étudiants démunis, de faire leur « juste part » pour accorder aux universités les moyens de maintenir et d’améliorer leur qualité.
Même si la question n’est pas immédiatement à l’ordre du jour, dans une bataille qui est dirigée pour l’instant contre la seule hausse des droits de scolarité, il est utile de savoir que le coût annuel de la réalisation, dès maintenant, de la gratuité universitaire serait de l’ordre de 600 millions de dollars et qu’il pourrait être financé par la seule pleine imposition des gains de capital des entreprises et des particuliers. Le défaut de le faire a entraîné des dépenses fiscales, c’est-à-dire un cadeau aux nantis, de 830 millions en 20116. Il est plus que temps de cesser de vouloir imposer à la jeunesse québécoise le fardeau du financement de ce bien commun qu’est l’éducation et de commencer à mesurer les revenus auxquels le gouvernement renonce par ses généreuses mesures fiscales à l’égard des entreprises et des plus riches. En voulant obstinément mettre la main dans la poche des étudiants pour accroître le financement des universités, le gouvernement se trompe de poche. Il devrait plutôt s’alimenter à celle, mieux garnie, des privilégiés du système fiscal. En empruntant la voie de l’arrogance et du combat d’arrière-garde, il a déclenché le superbe mouvement actuel de mobilisation, porteur de grandes aspirations. (22 mai 2012)
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[1] 65 associations étudiantes collégiales et universitaires regroupant 109 000 membres.
[2] 15 associations étudiantes universitaires regroupant 125 000 membres.
[3] 23 associations collégiales regroupant 80 000 membres.
[4] 70 000 membres dans trois universités.
[5] Il y a trois paliers d’imposition sur le revenu des particuliers au Québec. Les taux d’imposition sont de 16 % sur les revenus inférieurs à 39 060 dollars, 20 % sur les revenus compris entre 30 061 et 78 120 dollars, et 24 % sur les revenus supérieurs à 78 120 dollars.
[6] Ministère des Finances du Québec, Dépenses fiscales, Édition 2011, p. VIII.
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