Sale temps, vraiment, et toujours aussi instable. Un temps de chien.

Par Panagiotis Grigoriou

Aujourd’hui, le 18 mai 2012, le temps à Athènes est maussade. La voiture de Martin Schulz est sortie du Palais présidentiel ce matin sous une pluie fine. Cet homme politique et Président du Parlement européen, passionné de livres et de social-démocratie, a sans doute transmis un message à notre Président de la République usé, mais alors lequel?

Coïncidence? Car ce même jour, Angela Merkel a téléphoné à Carolos Papoulias  (voir tanea.gr) [le président grec, de tendance PASOK ; ce téléphone semble être à l’origine du «bruit» concernant la demande de tenue d’un référendum, simultanément aux élections du 17 juin, sur le thème : Oui ou Non à l’euro; ce qui constituerait une sorte de préemption sur les élections du 17 juin].

En tout cas, Martin Schulz a répondu courtoisement au salut des policiers assurant la circulation et la sécurité autour du bâtiment. D’ailleurs, les mesures de sécurité n’étaient ni draconiennes, ni si exceptionnelles, pour une fois. Le Président de la seule instance de l’U.E. issue [indirectement] du suffrage citoyen, n’a visiblement pas grand-chose à craindre en Grèce.

Les journalistes, peu nombreux, ont attendu durant un long moment, la sortie de Martin Schulz sur le trottoir d’en face. Ainsi ils ont eu le temps d’ironiser entre eux, sur l’emploi de la langue anglaise par Alexis Tsipras [le porte-parole autorisé de SYRISA].

Ce dernier vient d’accorder une interview à la chaîne d’information états-unienne CNN (17 mai), rappelant les positions de son parti: «La politique de Madame Merkel est dangereuse pour l’euro», dans un anglais hésitant et incorrect. Mais, finalement, la planète Washington a tout compris, c’est l’essentiel! Rien à voir évidemment, avec l’américain parfait de Georges Papandréou [qui a fait ses études, son père y était réfugié, aux Etats-Unis, dans la même université américaine qu’Antonis Samaras de la Nouvelle Démocratie et qui partageait avec la même chambre], sauf que c’est sa langue maternelle [allusion au fait que Papandréou manie mal le grec].

Pourtant, Georges, le polyglotte, s’est avéré être un piètre négociateur, pour les intérêts de la Grèce en tout cas. Mais enfin, après le «sacrilège linguistique» commis par le chef de SYRIZA, les très mauvaises langues médiatiques n’ont pas perdu un seul moment de réflexion et de suggestion: «Tsipras parle mal l’anglais, il ne pourra pas assumer le rôle de Premier ministre, au cas où il serait élu ».

 

Il est vrai que ces derniers jours, toute la presse (contrôlée) se déchaîne contre SYRIZA, à tel point que, dès ce matin, les dirigeants de cette formation sont en train de peser le pour et le contre, pour ainsi boycotter complètement la chaîne MEGA, pas de décision pourtant vendredi soir [le 18 mai].

Sur la même ligne, Théodoros Pangalos du très vieux PASOK, déclare que «ces types de SYRIZA, ils seraient capables de tout, une fois avoir atteint le 25%, y compris commencer les exécutions» ! (télévision SKAI – 17 mai).

Pareillement, les politiciens de la Nouvelle Démocratie abusent d’un verbiage anti-gauche, exhibé tout droit du placard de la Guerre civile, comme si Alexis Tsipras était la réincarnation du général Markos [Markos Vafiadis, le kapétanios des divisions macédoniennes. Ce membre, dès 1942, du Comité central du Parti communiste est nommé dirigeant de l’aile macédonienne de l’ELAS : l’Armée de Libération du Peuple grec. Le lecteur peut lire le récent ouvrage de Joëlle Fontaine, De la résistance à la guerre civile en Grèce, 1941-1946, Ed. La Fabrique, 2012].

Visiblement, le système local est à son avant-dernier délire. Local seulement, il me semble. Non, ce n’est pas la survie du capitalisme mondial qui se joue en Grèce que je sache, mais celle du système «paléo-centrique» du bipartisme para-politique de la Nouvelle Démocratie et du PASOK, en Grèce. Ils peuvent finalement encore gagner les élections, tous réunis, face à SYRIZA, mais leur système est de toute façon, finissant. Trente années de privilèges et d’enrichissement mafieux incontrôlables ne peuvent pas passer ainsi à la trappe. On joue dès lors les prolongations et avec acharnement. De même, les magnats de la presse, promoteurs immobiliers, armateurs et autres entrepreneurs, dont la consanguinité avec les politiciens dans l’affairisme est devenue consubstantielle de leur «République Hellénique», savent qu’avec SYRIZA les choses peuvent changer.

 

Certains cadres SYRIZA sont pourtant inquiets ces derniers jours et pas seulement sur l’issue de la bataille politique. Ils constatent que leur mouvement risque de se «droitiser» au fur et à mesure que le pouvoir serait, potentiellement, à portée de main. Et surtout qu’en Europe (et pas seulement qu’au sein de l’Union Européenne), on porte désormais un regard plutôt bienveillant sur cette nouvelle gauche en Grèce. D’où, aussi, certaines craintes, au PASOK notamment. Cette formation historique du Papandréïsme est en train de disparaître. Si SYRIZA confirme sa place et son «pragmatisme», certes «combatif» comme le proclament déjà certains de ses cadres, il réorganisera le centre-gauche en Grèce, et ceci, à un moment où le train pendulaire de l’histoire européenne peut, sous certaines conditions, s’engager sur le même aiguillage.

Sous cet angle – et indépendamment des résultats immédiats des législatives du mois de juin en Grèce – le centre-gauche européen risque d’ignorer le PASOK, progressivement, puis, définitivement.

Après tout, ce PASOK n’a jamais été un parti social-démocrate à la manière et aux vérités… compliquées des autres partis, de la même étiquette politique, en Europe occidentale en tout cas. Au mieux, c’était un parti très balkanique, pour ne pas dire un conglomérat sociétal de type moyen-oriental à la manière d’un parti (également) bassiste [Baas], sauf que les camarades pasokiens ont toujours voulu brouiller les pistes sur ce qu’ils pratiquèrent véritablement, au même titre que leurs alter ego, à savoir, les «libéraux» de la Nouvelle Démocratie.

Et Bruxelles alors, fut-elle une «simple ignorante»? Non. Mais passons. En tout cas, le vieux personnel politique de notre Baronnie, risque de ne plus apporter autre chose que des ennuis à Bruxelles, surtout dans la mesure où ils sont en train de perdre la bataille du Mémorandum [les plans d’austérité attachés aux «aides» à la Grèce], d’où leur ultime acharnement: défendre le Mémorandum, déjà foudroyé en plein vol entre Paris et Berlin [allusion au coup de foudre qui frappa le Falcon de François Hollande, lors de son premier voyage pour rencontrer Angela Merkel, le 15 mai], puis, faire admettre aux sujets hellènes et à tout le gotha transnational que leur petit sort politique serait si intimement lié à la survie de l’euro.

 

Ils s’acharnent donc sur le «danger que représente SYRIZA pour le maintien du pays à cette zone de stabilité que constitue l’euro». Ils répandent ainsi le doute et l’insignifiance, la leur. Comme si la zone euro et sa crise étaient une affaire grecque et non pas, un labyrinthe allemand, français, voire même américain. Je ne sais pas par contre dans quelle mesure mes concitoyens réaliseront suffisamment cette «simple» vérité avant les élections de juin pour ainsi se débarrasser de toute peur inutile. Mais personne ne peut le dire en ce moment avec précision.

Ce qui est certain, par contre, tient plutôt de la dramaturgie du labyrinthe, car bientôt le casting prendra fin, et on distinguera alors mieux qui incarnera Ariane [elle aide Thésée à s’échapper du labyrinthe], Thésée [le réformateur] ou le… Minotaure [tué par Thésée]. Le rôle du Minotaure, surtout, reviendra alors aux banques ou aux peuples? Mystère !

Le policier municipal : «vous vivotez comme nous»

Hier encore, sur la place de la Constitution par beau temps, les premiers touristes se faisaient photographier devant l’Assemblée Nationale, ou devant Loukanikos [un chien qui se trouve dans toutes les manifestations, une figure canine connue, maintenant, en Grèce] et sa meute, au même moment, certains chats ont opté pour les chaises des cafés s’y incrustant. Sur les marchés, des vieilles femmes vendent encore des légumes dans des bocaux, mais elles guettent de temps à autre l’arrivée de la police municipale, mais en général, les agents restent compréhensibles: «Oui Madame, on ne vous fera pas un procès pour quatre conserves, nous savons que vous vivotez… nous aussi».

 

Par contre, et pour une raison encore inconnue, on va «réviser» le procès de Socrate [1] et par une heureuse coïncidence nous connaîtrons ici à Athènes, une vision allemande de la crise à travers l’art du Théâtre (pour ceux qui peuvent encore se payer une place de spectacle), événement exceptionnel, car en Grèce, tout le monde pense que la seule Allemagne est celle de sa Chancelière.

Dans le domaine artistique toujours, on se représente, la «Catastrophe du Parthénon» par Lord Elgin (ambassadeur britannique à Constantinople, initiateur du transfert à Londres des marbres du Parthénon entre 1801 et 1805), mélanges je dirais, de saison.

Sans oublier les festivités, très discrètes cette année, autour de la flamme olympique, sauf qu’elle inspire les caricaturistes de The Economist , mais pour bien d’autres raisons. Ouverture de la session parlementaire hier, mais clôture aujourd’hui ou demain samedi, cette législature «d’un seul jour», est la plus courte de notre histoire récente.

Des enfants venus de Roumanie mendiaient sur les terrasses des cafés, un petit instrument de musique à la main. En scrutant le ciel d’Attique on distingue bien les avions des migrations saisonnières ou définitives. A l’aéroport, les touristes croisent les Grecs qui partent, certains pour se faire une place ailleurs, au soleil ou sous la pluie également, c’est selon. En 2011, plus de 23’000 sujets hellènes ont émigré vers l’Allemagne, la métropole de l’euro (in kedros.gr).

Ceux qui restent, recherchent fébrilement le sens et la couleur du prochain vote. « J’ai toujours voté PASOK, moi ainsi que tous mes collègues au sein de notre service au ministère, mais cette fois-ci, le choix c’était Chryssi Avghi (Aube dorée) pour une bonne moitié d’entre nous, eh… moi… j’ai voté pour le dissident de la droite anti-mémorandum, Kammenos [du parti des Grecs indépendants] et toi?». «Moi tu sais bien, j’ai toujours voté KKE, les communistes, mais en juin je voterai SYRIZA, Tsipras ». «Attention ma chère, c’est notre avenir qui se joue, réfléchis bien, tiens je te fais une confidence : mes amis à la police, m’ont raconté certaines histoires pas fameuses sur Tsipras, je ne peux pas te les raconter, mais il ne faut pas voter pour lui.» «Si, si Matina, je ne changerai pas d’avis, eh… on descend à la prochaine station, non ». Il s’agit du dialogue, entre deux femmes en âge de voter depuis presque trente ans déjà. Elles avaient emprunté le métro à la place Syntagma pour éviter la pluie. Sale temps, vraiment, et toujours aussi instable.

La BMW de la femme de Horst Reichenbach (Der Tagesspiegel)

Et pour finir, une organisation jusqu’alors inconnue : «Les amis de Loukanikos», viennent d’incendier un véhicule appartenant à la famille Reichenbach à Potsdam. Horst Reichenbach, chef de la «Task Force» européenne  en Grèce, connu de tous ici. Ces actes de vandalisme, ont été revendiqués par un groupe présumé grec et la police allemande a ouvert une enquête, selon l’édition internet du journal [de droite] Die Welt, attribuant cet acte à une organisation d’extrême gauche. Un vrai temps de chien.

Nota Bene

«Vendredi, François Hollande a de nouveau plaidé pour que la Grèce reste dans la monnaie unique, lors de sa visite à la Maison Blanche. «Nous avons la même conviction que la Grèce doit rester dans la zone euro», a estimé le président français. Dans le même temps, Berlin envoyait un autre signal: la chancelière allemande, Angela Merkel, a suggéré la tenue d’un référendum sur le maintien de la Grèce dans la zone euro en parallèle des législatives prévues pour juin, a annoncé le bureau du premier ministre grec par intérim» (lemonde.fr18/05)

Loukanikos: le chien des manifs...

 

Cette intervention d’Angela Merkel vient de provoquer un tollé en Grèce, y compris chez les adeptes du Mémorandum.

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[1] Le procès de Socrate (moins 399 avant «notre» ère) est décrit par Platon dans «L’apologie de Socrate» et par Xénophon dans «L’apologie de Socrate face au jury». (Red..)

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