Par Jack Khoury et Yaniv Kubovich
Les habitants de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, ont reçu samedi matin l’ordre du porte-parole de l’armée israélienne, en arabe, d’évacuer certains quartiers, dont certains adjacents au centre de la ville. L’armée a déclaré que 300 000 «habitant·e·s» avaient déjà quitté Rafah pour se rendre dans la zone «humanitaire». [A propos d’«humanitaire», se rapporter aux extraits, ci-dessous, du reportage de la chaîne états-unienne CNN sur la terreur imposée aux prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes.]
Les habitants ont été sommés de quitter les quartiers de Rafah situés dans la partie orientale de la ville, en bordure du corridor de Philadelphie [qui était considéré comme devant être sous le contrôle de l’Egypte], qui relie la bande de Gaza à l’Egypte. Les zones évacuées comprennent également les camps de réfugiés de Rafah et d’Al-Shaboura, qui ont été invités à se diriger vers la zone «humanitaire» dans la région côtière d’Al-Mawasi, à l’ouest de Khan Younès.
Les Forces de défense israéliennes (FDI) ont également appelé les «habitant·e·s» de Jabaliya et de Beit Lahia, dans le nord de la bande de Gaza, à évacuer vers l’ouest de la ville de Gaza.
Dans un message posté sur X, le porte-parole en arabe des FDI, Avichay Adraee, a informé les «habitant·e·s» qu’ils se trouvaient «dans une zone de combat dangereuse» et que «le Hamas essayait de reconstruire ses capacités dans la région, et donc les FDI allaient intervenir avec une grande force contre les organisations terroristes dans la région où vous vous trouvez, et donc tous ceux qui se trouvent dans ces zones s’exposent eux-mêmes et leurs familles à un danger».
Un résident de Gaza, qui a été déplacé à Rafah au début de la guerre et qui réside maintenant dans l’un des quartiers qu’il a été demandé d’évacuer, a déclaré à Haaretz qu’il s’agit en fait de l’occupation de la ville, contrairement à toute la rhétorique mensongère d’Israël qui parle d’une opération limitée et ciblée.
Après que l’Assemblée générale des Nations unies a voté vendredi 10 mai en faveur de la reconnaissance de la Palestine comme étant qualifiée pour devenir membre à part entière des Nations unies, ce résident a déclaré: «En quoi une décision comme celle de vendredi à l’Assemblée générale des Nations unies nous aidera-t-elle, et à quoi servira une autre reconnaissance d’un Etat palestinien alors qu’Israël fait tout ce qu’il veut et n’est tenu pour responsable par personne?»
Il est difficile d’estimer le nombre de personnes évacuées qui résident à Rafah et le nombre de celles qui devraient partir, en raison du chaos de la guerre et du fait que l’on ne sait pas exactement qui administre la situation. «Les gens reçoivent des messages, certains commencent à s’organiser, et d’autres n’ont nulle part où aller parce que tout est soit bondé, soit détruit.»
Après l’annonce de l’évacuation, les résidents du nord de la bande de Gaza ont signalé une série de frappes aériennes à Jabaliya, Beit Lahia et dans la ville de Gaza, ainsi que dans la région de Deir al-Balah, dans le centre de la bande de Gaza. Les services de secours de la ville de Gaza ont fait état d’au moins dix morts et de 21 morts dans les attaques de la région de Deir al-Balah.
Selon des sources palestiniennes dans la bande de Gaza, les factions du Hamas s’efforcent de multiplier les attaques dans la ville de Gaza et dans le nord dans les prochains jours afin de faire passer le message qu’il existe toujours un commandement opérationnel et une campagne de guérilla à l’intérieur des zones bâties de Gaza. Ces attaques montreraient également que l’occupation de Rafah par Israël ne mettra pas fin à la guerre et qu’il y a toujours une résistance dans la ville de Gaza et dans le nord après sept mois de combats.
Les FDI ont maintenant déplacé des troupes à Jabaliya afin de freiner la réorganisation du Hamas dans la zone nord de la bande de Gaza, plusieurs mois après avoir annoncé que le Hamas avait été militairement vaincu dans la région! Selon des responsables militaires, après le retrait des forces israéliennes d’une grande partie de la bande de Gaza le mois dernier, le Hamas s’est réorganisé dans la région nord. L’armée a déclaré qu’après l’évacuation des résidents, les forces qui étaient initialement prêtes à opérer à Rafah entreront dans Jabaliya. (Article publié le 11 mai 2024; traduction redaction A l’Encontre)
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«Attachés, les yeux bandés, en couche-culotte: des lanceurs d’alerte israéliens décrivent les mauvais traitements infligés aux Palestiniens dans un centre de détention dissimulé»
Par les équipes d’enquêtes internationales de CNN
[Nous publions ci-dessous des extraits d’une remarquable enquête de la chaîne états-unienne CNN diffusée le vendredi soir, heure européenne, le 10 mai 2024. La version anglaise (Etats-Unis) complète avec illustrations et vidéos, mise à jour le 11 mai à 7h52, est disponible en ligne: https://edition.cnn.com/2024/05/10/middleeast/israel-sde-teiman-detention-whistleblowers-intl-cmd/index.html.]
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Sde Teiman, Israël CNN – […] CNN s’est entretenue avec trois lanceurs d’alerte israéliens qui ont travaillé au camp du désert de Sde Teiman (Néguev), où sont détenus des Palestiniens suite à l’invasion israélienne de la bande de Gaza. Tous se sont exprimés au risque de subir des retombées juridiques et des représailles de la part de milieux soutenant la politique intransigeante d’Israël à Gaza.
Ils dépeignent un établissement où les médecins amputent parfois les membres des prisonniers en raison des blessures causées par le port constant de menottes, où encore les interventions médicales sont parfois effectuées par des médecins sous-qualifiés, ce qui lui vaut la réputation d’être «un paradis pour les internes», et où l’air est empli de l’odeur des plaies négligées et laissées à l’abandon.
D’après les récits, l’installation située à environ 18 miles de la frontière de Gaza est divisée en deux parties: des enclos où environ 70 détenus palestiniens de Gaza sont soumis à des contraintes physiques extrêmes, et un hôpital de campagne où les détenus blessés sont attachés à leur lit, portent des couches et sont nourris à l’aide de pailles.
«Ils les ont dépouillés de tout ce qui pouvait ressembler à des êtres humains», a déclaré un lanceur d’alerte qui travaillait comme infirmier à l’hôpital de campagne de l’établissement.
«(Les passages à tabac) n’étaient pas destinés à recueillir des renseignements. Ils l’ont été par vengeance», a déclaré un autre lanceur d’alerte. «C’était une punition pour ce qu’ils (les Palestiniens) ont fait le 7 octobre et une punition pour leur comportement dans le camp.» […]
Les médias israéliens et arabes ont déjà fait état d’abus au Sde Teiman après que des groupes de défense des droits israéliens et palestiniens eurent dénoncé les conditions qui y règnent. Mais ce rare témoignage d’Israéliens affectés à l’établissement jette une lumière supplémentaire sur la conduite d’Israël dans sa guerre à Gaza, avec de nouvelles allégations de mauvais traitements. Il jette également un doute sur les affirmations répétées du gouvernement israélien selon lesquelles il agit conformément aux pratiques et au droit internationaux reconnus. […]
L’armée israélienne a reconnu avoir partiellement transformé trois installations militaires différentes en camps de détention pour les Palestiniens de Gaza depuis l’attaque du 7 octobre menée par le Hamas contre Israël. […] Ces installations sont Sde Teiman dans le désert du Néguev, ainsi que les bases militaires d’Anatot et d’Ofer en Cisjordanie occupée.
Ces camps font partie de l’infrastructure de la Loi israélienne sur les combattants illégaux [Israel’s Unlawful Combatants Law], une législation amendée adoptée par la Knesset en décembre dernier, qui a étendu l’autorité de l’armée à la détention de militants présumés.
La loi permet à l’armée de détenir des personnes pendant 45 jours sans mandat d’arrêt, après quoi elles doivent être transférées dans le système pénitentiaire officiel d’Israël (IPS), où plus de 9000 Palestiniens sont détenus dans des conditions qui, selon les groupes de défense des droits, se sont considérablement détériorées depuis le 7 octobre. Deux associations de prisonniers palestiniens ont déclaré la semaine dernière que 18 Palestiniens – dont le Dr Adnan al-Bursh, éminent chirurgien de Gaza – étaient morts en détention au cours de la guerre. […]
CNN a interrogé plus d’une douzaine d’anciens détenus de Gaza qui semblaient avoir été libérés de ces camps. Ils ont déclaré qu’ils ne pouvaient pas déterminer où ils étaient détenus parce qu’ils avaient les yeux bandés pendant la majeure partie de leur détention et qu’ils étaient coupés du monde extérieur. Mais les détails de leurs récits correspondent à ceux des lanceurs d’alerte.
«Nous attendions la nuit avec impatience pour pouvoir dormir. Puis nous attendions le matin dans l’espoir que notre situation change», a déclaré le Dr Mohammed al-Ran, se souvenant de sa détention dans un centre militaire où il a dit avoir enduré des températures désertiques, passant de la chaleur du jour à la fraîcheur de la nuit. CNN l’a interviewé à l’extérieur de Gaza le mois dernier.
Le Dr Al-Ran, un Palestinien de nationalité bosniaque, dirigeait l’unité chirurgicale de l’hôpital indonésien du nord de Gaza, l’un des premiers à avoir été fermé et perquisitionné lors de l’offensive aérienne, terrestre et navale d’Israël.
Il a été arrêté le 18 décembre devant l’hôpital baptiste Al-Ahli de la ville de Gaza, où il travaillait depuis trois jours après avoir fui son hôpital situé dans le nord du pays, lourdement bombardé.
Il a été déshabillé jusqu’à ses sous-vêtements, on lui a bandé les yeux et attaché les poignets, puis on l’a jeté à l’arrière d’un camion où, selon lui, les détenus presque nus ont été empilés les uns sur les autres avant d’être transportés vers un camp de détention situé au milieu du désert.
Les détails de son récit sont cohérents avec ceux de dizaines d’autres personnes recueillies par CNN et relatant les conditions d’arrestation à Gaza. Son récit est également étayé par de nombreuses images montrant des arrestations massives, publiées sur des profils de médias sociaux appartenant à des soldats israéliens. Beaucoup de ces images montrent des Gazaouis captifs, les poignets ou les chevilles attachés par des câbles, en sous-vêtements et les yeux bandés. […]
Les témoignages des lanceurs d’alerte décrivent un autre type d’horreur à l’hôpital de campagne de Sde Teiman.
«Ce que j’ai ressenti lorsque je m’occupais de ces patients, c’est une idée de vulnérabilité totale», a déclaré un infirmier qui a travaillé à Sde Teiman.
«Si vous vous imaginez incapable de bouger, incapable de voir ce qui se passe et complètement nu, vous êtes complètement vulnérable», a déclaré la source. «Je pense que c’est quelque chose qui frise, voire dépasse, la torture psychologique.»
Un autre lanceur d’alerte a déclaré qu’on lui avait ordonné de pratiquer sur les détenus palestiniens des actes médicaux pour lesquels il n’était pas qualifié.
«On m’a demandé d’apprendre à faire certaines choses sur les patients, en pratiquant des interventions médicales mineures qui ne relèvent absolument pas de mes compétences», a-t-il déclaré, ajoutant que cela se faisait souvent sans anesthésie.
«S’ils se plaignaient de douleurs, on leur donnait du paracétamol», a-t-il déclaré, utilisant un autre nom pour l’acétaminophène. «Le simple fait d’être présent me donnait l’impression d’être complice d’un abus.» […]
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