Par Haggai Matar
Depuis 1976, le 30 mars est une date de mobilisation et de commémoration pour le peuple palestinien [1]. Vendredi dernier, 30 mars, confronté à un gouvernement israélien extrémiste et à une société divisée entre ses factions mais où souffle toujours le vent des révoltes arabes, le peuple palestinien a saisi cette occasion pour exprimer son exaspération et sa détermination à ne rien céder face à l’occupation. Dans un article publié le soir même, Haggai Matar, journaliste et militant politique israélien relate le déroulement des manifestations massives violemment réprimées à la fois par l’armée israélienne, mais aussi par la police du Fatah en Cisjordanie et du Hamas dans la bande de Gaza.
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Des dizaines de milliers de personnes ont participé aux manifestations de la Journée de la Terre à Jérusalem-Est, dans la Cisjordanie, la bande de Gaza, dans les régions de Néguev et de la Galilée ainsi qu’en Jordanie et au Liban. Il y eut une personne tuée, de nombreux blessés – dont plusieurs sont dans un état critique – et plusieurs arrestations dans des affrontements avec l’armée et la police israélienne. Le Hamas et le Fatah ont également attaqué les manifestants.
Le village de Boudrous [près de Ramallah] était en fait une des places les plus calmes aujourd’hui. Ce village petit mais antique, avec des terres de part et d’autre de la ligne verte [2], a été l’un des premiers à lever le drapeau de la résistance non violente à la barrière de séparation, et, après une longue lutte, a repris 95 pour cent des terres qui avaient été annexées de facto par Israël lors de la construction cette barrière. Le tracé de la barrière a finalement été modifié, un film plusieurs fois primé [3] a été réalisé sur cette lutte locale. Celle-ci a inspiré de nombreux villages qui ont pris à la suite de Boudrous ce même chemin dans la lutte. «La manifestation d’aujourd’hui est principalement symbolique», dit Ayed Morrar, un militant d’un comité local populaire. «L’objectif est de résister à l’occupation et de commémorer la Journée de la Terre. Malgré tous les succès obtenus par notre lutte, l’occupation continue.»
Et ainsi, les manifestations débutèrent. Juste après la prière du Vendredi midi, 100 habitant·e·s et 5 Israéliennes ei Israéliens ont parcouru la petite distance vers le tristement célèbre mur de séparation. La journée était magnifique, et on pouvait voir tout le paysage jusqu’à Tel-Aviv – si toutefois l’on regardait par-dessus la barrière qui confisque toujours 5 pour cent des terres agricoles du village. Arrivé·e·s à la barrière, les manifestant·e·s ont commencé à agiter des drapeaux et chanter des slogans sur l’attachement des gens à leurs terres. De l’autre côté, les soldats ont averti les villageois de rester à distance de la barrière. Après environ cinq minutes, ils ont commencé à lancer des grenades paralysantes et du gaz lacrymogène en plein milieu de la foule non-violente.
En quelques secondes, l’atmosphère avait changé: les manifestants sont rentrés en courant au village, tandis que quelques jeunes étaient restés à l’arrière pour lancer des pierres sur les soldats. Pendant les deux heures qui suivirent, les soldats ont tiré des centaines de cartouches de gaz lacrymogène sur les jeunes et sur le village. Ils ont également utilisé des armes non létales de dispersion de foules – le canon à eau «Skunk» [4] et le LRAD (aussi appelé «le cri») [5]. Par trois fois, ils ont traversé la barrière pour prendre en chasse les jeunes jusque dans le village, emplissant de gaz lacrymogène les rues étroites du village, et puis ils sont repartis.
Tantôt observant la manifestation devenue confrontation, tantôt évitant les cartouches et les nuages de gaz lacrymogène (pas toujours avec succès), les villageois et villageoises et les militant·e?s sortirent leurs téléphones pour lire des tweets venant de tout le pays: 100 manifestant·e·s ici, quelques milliers là, l’annonce de blessés ailleurs, la police palestinienne assistant les forces de défense israéliennes encore ailleurs. Tout le monde tweetait, retweetait, contre-tweetait, répandant les nouvelles des manifestant·e·s, commentant les déclarations des porte-parole des forces israéliennes, etc.
En résumant les dépêches variées, les tweets, les sites d’agences journalistiques et les messages de militant-e-s de divers endroits, voici un court déroulement des actions qui ont eu lieu ce vendredi contre l’occupation, l’apartheid et les appropriations de terre:
• La journée a débuté avec la plantation d’un arbre à Beit Jala. Environ 90 paysans et leurs soutiens sont allés à l’est de la ville et ont planté des arbres sur le tracé du mur prévu à côté de Al-Walaje. L’action s’est terminée pacifiquement.
• Peu après ça, une manifestation massive s’est déroulée à Bethléem. Environ 1000 personnes ont marché vers le check-point en direction de Jérusalem, où elles se sont affrontées à la police palestinienne. Après avoir réussi à briser les lignes de la police, les manifestant·e·s ont atteint le mur, et certain·e·s d’entre elles et eux ont commencé à jeter des pierres et des cocktails Molotov sur le mirador. Les soldats ont utilisé du gaz lacrymogène et des balles en caoutchouc, blessant plusieurs personnes.
• Pendant ce temps à Qalandia, comme l’ont rapporté plus tôt Mya et Omar [6], une autre foule d’un millier de personnes a marché vers le checkpoint et a rencontré la police palestinienne. Dr. Mustafa Barghouti, dirigeant du parti de la Mubadara (Initiative) a été blessé dans les confrontations qui ont éclaté, probablement un fait de la police ou de militant·e·s d’une des factions rivales. Cependant plusieurs journalistes assistant à la scène ont mentionné qu’une centaine de manifestant·e·s ont été hospitalisé·e·s après avoir été touché·e·s par des cartouches de gaz lacrymogène et des balles en caoutchouc. Les manifestant·e·s ont répondu avec des pierres et des cocktails Molotov. Trois militant·e·s internationaux ont été arrêté·e·s.
• A peu près au même moment, les manifestations ont commencé à divers endroits de Jérusalem Est. Des militant·e·s ont rapporté que la police israélienne arrivait lourdement armée dans les manifestations, avec de nombreux policiers montés à chevaux. On a vu des douzaines de manifestant·e·s blessé·e·s, dont une blessure sévère causée par un cheval de la police. Il y eut aussi de nombreuses arrestations.
• Après la prière du midi, les manifestations ont débuté dans la plupart des villages qui mènent la lutte populaire – dans lesquels l’objectif de la manifestation était à la fois la Journée de la Terre et la demande de libération de prisonnier-e-s politiques, en particulier Hana Shalabi et d’autres détenu·e·s administratifs en grève de la faim [7]. A Nil’in, plus de 200 militant·e·s locaux et des Israéliens et Israéliennes ont marché vers le mur où les ont rencontré des dizaines de soldats. Du gaz et des pierres ont été «échangés» pendant environ une heure. A Bil’in, des dizaines de manifestant·e·s ont réussi à couper un morceau de la barrière qui entoure le mur, avant d’être dispersé·e·s par des gaz lacrymogènes. A Qaddum et Nabi Saleh, les forces de l’armée ont essayé d’empêcher que des Israéliens et des Israéliennes ne se joignent aux manifestant·e·s, mais une vingtaine sont parvenus à répondre aux invitations palestiniennes et ont participé aux protestations. LRAD, jets de «Skunk», gaz lacrymogène, balles en caoutchouc, balles réelles ont été utilisées contre les manifestant·e·s. Un enfant a été blessé et évacué de lieu d’affrontement en ambulance et plusieurs autres ont été légèrement touchés.
• Pendant ce temps, dans la bande de Gaza, deux manifestations comptant environ 1500 personnes s’ébranlèrent en direction du mur qui emprisonne les civils qui vivent dans une des zones les plus densément peuplées de la planète. De même que la police du Fatah en Cisjordanie, les forces de sécurité du Hamas ont essayé d’empêcher les manifestant·e·s d’atteindre la frontière, en utilisant la violence ici aussi. Cependant, ils ne parvinrent pas à stopper la marche. Des dizaines de personnes ont essuyé des tirs des forces israéliennes. Trois sont dans un état critique et selon une dépêche récente, l’un d’entre eux, Mahmoud Zaqouq, 20 ans, est mort de ses blessures.
• Deux manifestations de masse ont également eu lieu l’après-midi au sein des «frontières d’Israël de 1948». A Wadi Al-Nam, dans le Néguev, 2500 personnes se sont réunies pour protester contre le Plan Prawer [8]. Les résidents Bédouins locaux ont participé à la manifestation ainsi que des membres de la Knesset [parlement], des activistes arabes et juifs de différentes ONG et de partis.
• La deuxième manifestation a eu lieu à Sakhnin et Dir Hanna en Galilée, à l’endroit où les premières manifestations de la Journée de la Terre eurent lieu en 1976. Environ 8000 personnes ont marché le long des 12 kilomètres et demi séparant les deux villes, protestant contre les saisies des terres de la zone par le gouvernement. Des confrontations mineures ont éclaté entre des militant·e·s de Balad [acronyme hébreu pour le parti Assemblée démocratique nationale] et ceux du Parti communiste, mais elles se sont terminées pacifiquement.
• Il a également été fait état de dizaines de milliers de personnes rassemblées près des frontières avec le Liban et la Jordanie, et une manifestation aurait également eu lieu dans la capitale syrienne Damas. Alors que les deux premières ont été organisées principalement par les réfugié-e-s, la dernière a été accompagnée d’un message du président Assad et pourrait avoir été organisée par le gouvernement.
Plus tôt dans la semaine, le dirigenat éminent du Fatah, Marwan Barghouti, a publié un communiqué encourageant les Palestiniens à abandonner des négociations inexistantes avec Israël, étant donné que ce dernier n’a aucune intention d’arrêter l’occupation. Barghouti a également appelé à une troisième Intifada, une lutte populaire et non-armée. [9]. Il reste à voir si les événements du jour sont un pas dans cette direction. (Traduction A l’Encontre)
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Article mis en ligne le 30 mars sur le site +972. Independent reporting and commentary from Israel&Palestine.http://972mag.com/mass-land-day-demonstrations-sweep-israel-palestine/39745/
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[1] Journée de commémoration des événements du 30 mars 1976, au cours de laquelle une grève générale palestinienne a été réprimée dans le sang (6 morts palestiniens, une centaine de blessés et des centaines d’arrestation). Cette grève avait été déclenchée dans les villes de Galilée et du Néguev pour protester contre la confiscation de terres palestiniennes par le gouvernement israélien afin d’étendre les colonies dans cette région. (Réd.)
[2] Ligne de la frontière établie dans les accords d’armistice entre Israël et les pays voisins en 1949.
[3] Budrus [Boudrous, translittération française] Julia Bacha (réal.), 2009 a obtenu de nombreux prix. Plus d’informations ici: http://www.justvision.org/en/budrus (Réd.)
[4] Jet d’eau malodorante envoyé à haute pression. Il est monté sur un blindé. Cette arme est utilisée par l’armée israélienne. (Réd.)
[5] Long Range Acoustic Device, littéralement Appareil Acoustique à Longue Portée (la traduction française est canon à son), est un émetteur de son douloureux utilisé pour le contrôle des foules. (Réd.)
[6] Mya Guarnieri et Omar Rhaman, respectivement journaliste et écrivaine basée à Jérusalem et journaliste basé en Palestine, ont publié des articles relatant les affrontements à Qalandia du vendredi 30 mars 2012 sur le site http://972mag.com (Réd.)
[7] Hana Shalabi et une vingtaine d’autres détenu·e·s administratifs ont entamé une grève de la faim pour protester contre l’arbitraire de ces détentions. Au bord de la mort, Hana Shalabi a finalement obtenu sa libération à l’issue d’une négociation. Elle sera toutefois extradée dans la bande de Gaza. (Réd.)
[8] Plan israélien visant à déplacer de force 30000 Bédouins du Désert de Néguev selon un schéma de «colonisation à l’intérieur». Voir l’article (en anglais): http://972mag.com/israel-approves-plan-to-uproot-30000-bedouins/22814/ (Réd.)
[9]. Marwan Barghouti a été condamné, début avril 2012, «à l’isolement dans la prison israélienne où il est détenu depuis dix ans. Une sanction d’une semaine car le détenu a lancé un appel politique de sa prison, il y a quelques jours, dans lequel il appelait l’Autorité palestinienne à cesser toute forme de coordination avec Israël.» (RFI, 2 avril 2011, Réd.)
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