Par Colin Todhunter
Une analyse publiée le 4 mai 2021 dans la revue Frontiers in Environmental Science affirme qu’une soupe toxique d’insecticides, d’herbicides et de fongicides fait des ravages dans les sols des champs couverts de maïs, de soja, de blé et d’autres monocultures. Cette recherche constitue l’examen le plus complet jamais réalisé sur la manière dont les pesticides affectent la santé des sols.
L’étude est discutée par deux des auteurs du rapport, Nathan Donley et Tari Gunstone, dans un récent article publié sur le site web Scientific American. Les auteurs déclarent que les résultats devraient entraîner des changements immédiats dans la manière dont les organismes de réglementation comme l’Agence de protection de l’environnement (EPA, aux Etats-Unis) évaluent les risques posés par les quelque 850 composants de pesticides dont l’utilisation est autorisée aux Etats-Unis.
Menée par le Center for Biological Diversity, Friends of the Earth et l’Université du Maryland, la recherche a examiné près de 400 études publiées qui, ensemble, ont réalisé plus de 2800 expériences sur la façon dont les pesticides affectent les organismes du sol. L’examen a porté sur 275 espèces ou types uniques d’organismes du sol [1] et 284 pesticides ou mélanges de pesticides différents.
Dans plus de 70% des cas, les pesticides se sont révélés nocifs pour des organismes essentiels au maintien de la santé des sols. Mais Nathan Donley et Tari Gunstone affirment que ce type de dommages n’est pas pris en compte dans les études de sécurité de l’EPA, qui ignore les dommages causés par les pesticides aux vers de terre, aux collemboles, aux coléoptères et à des milliers d’autres espèces souterraines. L’EPA utilise une seule espèce test pour estimer le risque pour tous les organismes du sol, l’abeille européenne, qui passe toute sa vie en surface dans des boîtes artificielles. Mais 50 à 100% de tous les pesticides finissent dans le sol.
Les chercheurs concluent que le développement continu de l’agriculture intensive en pesticides et la pollution sont les principaux facteurs du déclin des organismes du sol. En effectuant des examens tout à fait inadéquats, le système de réglementation sert à protéger l’industrie des pesticides.
L’étude fait suite à d’autres découvertes récentes indiquant que des niveaux élevés de glyphosate, un désherbant chimique, et de son produit de dégradation toxique, l’AMPA [2], ont été trouvés dans des échantillons de terre arable provenant de champs sans labour au Brésil.
Sur le site de GMWatch, Claire Robinson et Jonathan Matthews notent que, malgré cela, les entreprises agrochimiques qui cherchent à obtenir le renouvellement de l’autorisation du glyphosate par l’Union européenne en 2022 affirment que l’un des plus grands avantages du glyphosate est sa capacité à favoriser des sols plus sains en réduisant la nécessité du travail du sol (ou du labour).
Cette affirmation est en soi trompeuse, car les agriculteurs ont recours au labourage en raison de la résistance croissante des mauvaises herbes au glyphosate et l’agriculture biologique intègre également des méthodes sans labour. En même temps, les partisans du glyphosate ignorent ou nient commodément sa toxicité pour les sols, l’eau, les humains et la faune. En gardant cela à l’esprit, il est intéressant de noter que GMWatch fait également référence à une autre étude récente qui affirme que le glyphosate est responsable d’une augmentation de 5% de la mortalité infantile au Brésil.
Une nouvelle étude, intitulée «Pesticides in a case study on no-tillage farming systems and surrounding forest patches in Brazil» (Les pesticides dans une étude de cas sur les systèmes agricoles sans labour et les parcelles forestières environnantes au Brésil), publiée dans la revue Scientific Reports, amène les chercheurs à conclure que les sols contaminés par le glyphosate peuvent avoir un impact négatif sur la qualité des aliments, la santé humaine et les processus écologiques pour le maintien des services écosystémiques. Ils affirment que la présence de glyphosate et d’AMPA dans le sol peut favoriser la toxicité pour des espèces clés pour la conservation de la biodiversité, qui sont fondamentales pour le maintien de systèmes écologiques fonctionnels.
Ces études réitèrent la nécessité de s’éloigner de l’idéologie et des pratiques de la «révolution verte», de plus en plus discréditées. Ce modèle à forte intensité chimique a favorisé l’extension de la monoculture et s’est traduit par des régimes alimentaires moins diversifiés et des aliments moins nutritifs. Son impact à long terme a conduit à la dégradation des sols et à des déséquilibres minéraux qui, à leur tour, ont eu un impact négatif sur la santé humaine.
Si nous nous tournons vers l’Inde, par exemple, ce pays perd 5334 millions de tonnes de sol chaque année en raison de leur érosion et de leur dégradation, dont une grande partie est attribuée à l’utilisation inconsidérée et excessive de produits agrochimiques synthétiques. Selon le Conseil indien de la recherche agricole, les sols sont de plus en plus déficients en nutriments et en fertilité.
L’Inde n’est pas unique à cet égard. Maria-Helena Semedo, de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, a déclaré dès 2014 que si les taux actuels de dégradation se poursuivent, toute la couche arable de la planète pourrait disparaître d’ici 60 ans (Scientific American, 5 décembre 2014). Elle a noté qu’environ un tiers des sols de la planète avaient déjà été dégradés. De l’avis général, les techniques agricoles à forte intensité chimique en sont une cause majeure.
Il faut parfois 500 ans pour générer un «pouce de sol» [2,54 cm], mais seulement quelques générations pour le détruire. Lorsque vous arrosez le sol avec des produits agrochimiques synthétiques spécifiques dans le cadre d’un modèle d’agriculture dépendant des produits chimiques, vous nuisez aux micro-organismes essentiels et finissez par nourrir le sol avec un régime limité d’intrants toxiques.
Armées de leurs biocides synthétiques, qui rapportent des milliards de dollars, c’est ce que font les entreprises agrochimiques depuis des décennies. Dans leur arrogance, ces entreprises prétendent avoir des connaissances qu’elles ne possèdent pas et tentent ensuite d’amener le public et les agences ainsi que les politiciens cooptés à se prosterner devant l’autel de la «science» des entreprises et de son sacerdoce scientifique acheté et payé.
Les effets néfastes de leurs produits sur la santé et l’environnement ont été largement rapportés depuis des décennies, à commencer par le livre révolutionnaire de la biologiste Rachel Carson, Printemps silencieux, publié en 1962 [publié en français en 2009 avec une préface d’Al Gore, vice-président de l’administration Bill Clinton].
Ces dernières études soulignent la nécessité de s’orienter vers l’agriculture biologique et l’agroécologie et d’investir dans des modèles d’agriculture indigènes … comme l’ont constamment préconisé diverses agences internationales de haut niveau, notamment les Nations unies, et de nombreux rapports officiels. (Article publié sur le site Counterpunch, le 28 juin 2021; traduction rédaction A l’Encontre)
Colin Todhunter est écrivain et chercheur en politique sociale basé au Royaume-Uni et en Inde.
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[1] Les organismes du sol – qui renvoient à la biodiversité du sol – sont subdivisés en plusieurs groupes : la mégafaune (taupes, crapauds), la macrofaune visible à l’œil nu (vers de terre, termites, fourmis…) et la mésofaune visible à la loupe (acariens, collemboles: anthropodes qui jouent un rôle dans le cycle de la matière organique, etc.). (Réd.)
[2] AMPA: l’acide aminométhylphosphonique est le principal produit de dégradation du glyphosate dans les plantes, le sol et l’eau. (Réd.)
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