Etats-Unis. La distribution de vaccins doit protéger les travailleurs migrants sans statut légal

Par Keisha Williams

Dix millions et demi d’immigrant·e·s n’ont pas l’autorisation de travailler légalement aux États-Unis, à leur nombre s’ajoutent 2,2 millions d’autres migrant.e.s qui bénéficient seulement d’un statut temporaire.

Selon le Pew Research Center, si les tendances actuelles en matière d’immigration continuent sur leur lancée, les immigrant·e·s et leurs descendant·e·s représenteront, en 2065, 78% de la croissance démographique des États-Unis. Ces personnes et leur force de travail sont indispensables à notre pays.

En 2017, la population active américaine comportait 29 millions d’immigrés. 7,6 millions d’entre eux ne bénéficiaient pas d’autorisation de travail. Selon le Département de l’agriculture, le travail des immigrants sans papiers s’exerce dans des secteurs parmi les plus cruciaux pour l’approvisionnement alimentaire du pays. Ce sont ces personnes qui travaillent dans les fermes où elles cueillent et emballent fruits et légumes et dans les usines qui conditionnent la viande. Ces salarié·e·s représentent plus de 9% de l’industrie de la restauration rapide.

L’administration ne peut pas se permettre d’exclure des discussions concernant la distribution du vaccin contre le Covid-19 la moitié des salariés de l’industrie agroalimentaire parce qu’ils ne sont pas autorisés à travailler légalement dans ce pays.

La Food and Drug Administration (FDA) [1] vient d’approuver le vaccin contre le Covid-19. Ces immigrés qui, littéralement, nourrissent la nation comment seront-ils traités?

Les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) [2] ont présenté un plan complet de distribution de vaccins. Les travailleurs et travailleuses de la santé sont en première ligne, viennent ensuite les personnes âgées de 65 ans et plus, et celles que leurs problèmes de santé rendent vulnérables au Covid-19. Enfin, vient la troisième ligne des travailleurs essentiels des secteurs de l’éducation, de l’alimentation et de l’agriculture, les services publics, la police, les pompiers, les agents des services pénitentiaires puis les salariés de l’industrie des transports.

Un groupe de troisième ligne, travaillant dans l’agroalimentaire, a pourtant été complètement exclu de la stratégie vaccinale, il s’agit de celui des immigrés dépourvus de statut légal. Le CDC n’a aucunement pris en compte le fait que la moitié des employés de l’industrie agroalimentaire, qu’il a pourtant priorisés, n’ont pas l’autorisation de travailler dans ce pays.

Il faut le souligner: le CDC exige de connaître les noms, dates de naissance, adresses et origines ethniques de toutes les personnes qui prennent le vaccin.

Et tout cela se produit à l’époque où les migrants doivent affronter une des administrations les plus haineuses et les plus hostiles auxquelles ils et elles aient jamais été confrontés. Les travailleurs sans statut légal sont astreints à choisir entre un vaccin qui pourrait sauver leur vie et l’approvisionnement alimentaire, ou risquer l’expulsion immédiate et le malheur de leur famille.

Il est très probable que certains migrants (probablement beaucoup) craindront la vaccination à cause des risques qu’elle leur ferait subir. Une fois divulguées aux autorités sanitaires, leurs données personnelles et donc leur statut d’immigrant seront aisément révélés.

En raison de l’importance de leur travail et de son impact crucial pour tous les Etatsuniens, leur condition d’étranger ne doit pas être prise en compte dans la distribution des vaccins. Ils doivent bénéficier de la même priorité que leurs collègues de l’industrie agroalimentaire. Exiger la divulgation sans protection de leurs coordonnées équivaut quasiment à exclure la communauté immigrée de la distribution des vaccins et à soumettre l’approvisionnement alimentaire du pays à une crise où le nombre de cas de Covid-19 continue d’augmenter dans le pays et le monde entier.

Tout au long de la pandémie de coronavirus, le CDC a émis des orientations et des recommandations détaillées pour l’industrie agricole, si importante pour l’ensemble du pays. Néanmoins, des foyers épidémiques se sont produits dans de nombreuses usines de volaille, y compris Foster Farms en Californie, où 358 travailleurs et travailleuses ont été testés positifs au Covid-19 au cours de l’été 2020. L’industrie maraîchère a connu de telles situations, et de nombreux foyers de contamination, dont 600 cas de Covid-19 dans le comté de Yakima (Washington). En octobre 2020, l’Université Purdue a estimé que quelques 276’000 travailleurs agricoles ont été testés positifs au Covid-19.

L’administration Biden-Harris aurait une réelle opportunité de changer en profondeur – et non pas superficiellement – la façon dont ce pays nous traite tous, y compris les immigrants, une communauté cruellement privée de représentation. Elle devrait commencer par mettre en place, à l’intention des travailleurs sans papiers, une autorisation particulière de vaccination prioritaire contre le Covid-19 en raison de leur travail dont le CDC reconnaît déjà l’importance prioritaire. Elle devrait exiger des CDC que les données personnelles des travailleurs prioritaires dans les industries clés soient confidentielles et veiller à ce qu’ils et elles reçoivent ce vaccin – qui pourrait et sauver leur vie et assurer l’approvisionnement alimentaire du pays – sans crainte d’être expulsés.

La masse considérable de cas de Covid-19 ainsi que la rapidité de sa propagation démontrent que l’administration ne pourra pas réussir à ralentir la propagation de la maladie si elle ignore les travailleurs et travailleuses sans papiers – en particulier ceux qui ont été priorisés par le CDC – dans la distribution du vaccin contre le Covid -19.

Enfin, l’administration Biden-Harris devrait très sérieusement examiner comment la politique migratoire de notre pays contribue à l’inégalité systémique qui continue à ravager ce pays.

Keisha Williams, avocate du droit du travail et des syndicats, professeure de droit à la faculté de droit de l’Université du Maryland.

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[1] La Food and Drug Administration est l’administration de contrôle des denrées alimentaires et des médicaments. Cet organisme a, entre autres, le mandat d’autoriser la commercialisation des médicaments sur le territoire des États-Unis. (Réd.)

[2] Les Centers for Disease Control and Prevention (CDC), Centres pour le contrôle et la prévention des maladies, forment ensemble la principale agence fédérale des États-Unis en matière de protection de la santé publique. Les centres produisent des informations dans le but d’améliorer les décisions gouvernementales en matière de santé. (Réd.)

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