Cette année, une fois de plus, la «fête des célibataires» [une initiative lancée en 2009 par le géant du commerce en ligne Alibaba; cette journée dépasse par ses ventes celles du Black Friday aux Etats-Unis], le 11 novembre, a mis en évidence les conditions épouvantables dans lesquelles les livreurs travaillent pour répondre à la demande des consommateurs. En outre, il semblerait que les conditions de travail se détériorent à mesure que l’industrie se développe.
Un article publié la semaine dernière sur le magazine [économique et réputé pour ses investigations] Ran Caijing montre que les livreurs dans Pékin ont connu des charges de travail de plus en plus lourdes au cours des 18 derniers mois. Un travailleur de Yunda Express, surnommé Zhang, a déclaré qu’avant la mi-2019, il devait effectuer environ 150 commandes par jour, ce qui était un chiffre acceptable pour lui. Mais depuis lors, les commandes sont passées à 300 en période de pointe, et pour la Fête des célibataires de cette année, le nombre de commandes quotidiennes nécessaires était de plus de 400, un objectif physiquement impossible à atteindre [Alibaba et d’autres plateformes ont fixé cette année le début de la Fête des célibataires au 1er novembre, afin d’augmenter par séquences le nombre de jours].
Zhang a dit qu’il devait quitter la maison à 6 heures du matin et passer plus d’une heure à trier et à charger les colis au centre de distribution. Il a réussi à livrer environ 80 colis à midi, mais il a ensuite dû retourner au centre de distribution pour recommencer tout le processus.
Non seulement les objectifs de livraison quotidiens ont augmenté depuis l’année dernière, mais les pénalités pour ne pas les atteindre se sont également accrues, selon Zhang. Et pour aggraver les choses, les coursiers sont maintenant tenus de livrer les colis à la porte. Tout manquement à cette obligation peut donner lieu à des plaintes et à des amendes supplémentaires.
La concurrence intense entre les entreprises [Alibaba avec ses filiales Tmall, Taobao; JD.com, Pinduoduo] a entraîné une réduction du salaire des travailleurs, qui est passé de 1,30 yuan à 1,00 yuan par commande. Cela signifie que les travailleurs doivent effectuer 60 commandes supplémentaires par jour pour gagner le même salaire.
Les travailleurs permanents ne sont pas les seuls à ressentir la pression d’objectifs impossibles à atteindre, de réglementations sévères, d’amendes plus élevées et d’une surveillance constante. L’industrie recrute jusqu’à un demi-million de travailleurs temporaires chaque année pour répondre aux exigences de la Fête des célibataires. La plupart de ces travailleurs sont des femmes ou des étudiants qui travaillent la nuit dans des centres de distribution locaux.
Un reportage de la CCTV [réseau national de télévision] révèle qu’un centre de distribution à Hefei a embauché environ 60 travailleurs temporaires en plus de la centaine de personnes travaillant à plein temps. Le rapport montre que le travail dans les centres de distribution n’est pas moins fatigant que le travail de livraison, et que le tri des colis, qui implique de rester constamment debout pendant 12 heures durant la nuit, peut provoquer de graves microtraumatismes répétés chez de nombreux travailleurs et travailleuses.
En plus de ce travail pénible, certains travailleurs temporaires ont été trompés quant à leur salaire. Un courrier d’un groupe d’étudiants travailleurs de Tianjin sur les médias sociaux dit qu’une agence de travail intérimaire leur avait promis un salaire journalier de 270 yuans mais qu’ils n’ont finalement reçu que 60 yuans. «Après que le patron a disparu sans laisser de trace, nous avons finalement compris comment les travailleurs migrants [travailleurs venant des zones rurales, le plus souvent privés de droits] deviennent si désespérés», disent-ils.
Un autre article sur Weibo [site de microblogage hybride entre Twitter et Facebook] affirme qu’un adolescent de STO Express [service de logistique] dans le Hunan s’est suicidé après avoir travaillé dix heures par nuit pendant trois mois, sans interruption. Le travailleur de 18 ans, nommé Huang, avait fait de nombreuses demandes pour passer à l’équipe de jour, mais cela lui a toujours été refusé. Lorsque sa demande de jour de repos a également été refusée, le 13 novembre, il a bu une bouteille de pesticide au travail et est mort le lendemain.
Face à la dégradation des salaires et des conditions de travail des livreurs, le syndicat officiel n’a guère pris de mesures significatives. Fin octobre, le syndicat municipal de Pékin a conclu une convention collective avec la fédération de l’industrie des livraisons express de la ville concernant la santé et la sécurité de la main-d’œuvre. L’accord «encourageait» les entreprises: à payer pour leur personnel les cotisations d’assurance prévues par la loi contre les accidents du travail; à fournir un supplément salarial en cas de basses températures; à distribuer des vêtements chauds lorsque la température descend en dessous de cinq degrés Celsius. Cependant, l’accord n’a rien fait pour remédier à la baisse des salaires des coursiers, aux arriérés de salaires et aux conditions de travail dangereusement intenses.
Il existe des mesures concrètes évidentes que le syndicat pourrait prendre pour répondre aux griefs des travailleurs, comme demander la fin des fortes pénalités qui rongent les revenus des travailleurs. Mais rien n’indique pour l’instant que la Fédération des syndicats de Chine soit prête à faire un véritable effort pour aider ses membres. (Article publié dans China Labour Bulletin, 30 novembre 2020 ; traduction rédaction A l’Encontre)
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