Par Amira Hass
Dans la bataille de la zone C [1], où Israël maintient une sécurité militaire totale et une autorité civile, il remporte des succès contre les Palestiniens et l’Union européenne et a considérablement réduit le nombre de projets palestiniens financés par la communauté internationale (principalement européenne). C’est ce qu’a déclaré le chef de l’Administration civile israélienne en Cisjordanie, le général de brigade Ghassan Alian, à la commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset lors de deux réunions fin juillet et mi-août. Le sujet: «la prise de contrôle de la zone C par les Palestiniens», qui concerne 61% de la Cisjordanie occupée.
Les membres de la commission ont toutefois émis des réserves sur la description de la situation comme un «succès». «Même s’il y a des gens merveilleux et très motivés [dans l’administration civile], ils sont trop peu nombreux et cette mission est plusieurs fois trop grande pour eux», a déclaré Matan Kahana du parti de droite Yamina. Les législateurs ont exigé une main plus ferme pour empêcher ce qu’ils ont appelé une «prise de contrôle illégale hostile de la région».
Bezalel Smotrich, du parti Yamina, a suggéré que les colonies reçoivent l’autorité de superviser et de démolir les structures palestiniennes sans licence dans les zones ouvertes. Il a été soutenu par Ariel Kallner, du Likoud. Ayelet Shaked, ancien ministre de la Justice, a proposé de faire pression sur le gouvernement pour qu’il nomme un directeur de projet «dont l’objectif serait d’empêcher la prise de contrôle de la zone C». Matan Kahana a suggéré qu’une autorité israélienne spéciale soit mise en place à cette fin.
Jusqu’à il y a environ deux ans, ces questions étaient discutées par un sous-comité pour la Cisjordanie au sein de la commission des Affaires étrangères et de la Défense, dirigée par Moti Yogev, alors député de Habayit Hayehudi. Cette sous-commission était un outil essentiel pour les membres de droite de la Knesset, dont de nombreux colons, pour façonner la conviction des Israéliens que la zone C est à toutes fins utiles un territoire israélien. La sous-commission a également joué un rôle essentiel dans la planification de la politique israélienne dans cette zone: accélérer et étendre la construction de colonies tout en empêchant les constructions palestiniennes.
Les membres du comité et ses invités réguliers – y compris les dirigeants des colons et les membres du groupe Regavim, dont la mission proclamée est de sauvegarder «la terre de la nation juive» – ont souvent critiqué ce qui a été décrit comme l’impuissance du coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires et de l’Administration civile qui lui est subordonnée. Les membres du comité ont encouragé ces agences à faire preuve d’une plus «grande fermeté» à l’égard des Palestiniens.
La participation européenne au financement de projets humanitaires dans la zone C a souvent été évoquée au sein de la sous-commission comme une pratique qui doit être éliminée. Lors des deux sessions du 29 juillet et du 13 août, le président Zvi Hauser du parti Derech Eretz a déclaré qu’il avait l’intention de poursuivre la tradition de la sous-commission et de promouvoir les intérêts israéliens dans la zone C, où il a déclaré que la position des gouvernements israéliens reste «qu’Israël n’a que des revendications historiques, juridiques et civiles».
En fait, lors de la réunion de juillet, il a été rapporté que le ministre des Affaires étrangères, Gabi Ashkenazi, considère toute activité européenne actuelle ou planifiée dans la zone C qui «n’honore pas les procédures de permis de construire israéliennes comme intervention européenne pour tenter de définir une frontière». C’est ce qu’il a écrit dans sa réponse à une question parlementaire soumise par Moshe Arbel du Shas [ultra-religieux orthodoxe], qui inscrit ce sujet pour la réunion.
Gabi Ashkenazi a également écrit que son ministère a clairement indiqué aux représentants de l’UE que «dans le cas d’un défaut dans l’octroi de permis et d’activité dans la région, il faut s’attendre à des conséquences découlant de ces violations». De plus, Israël rejette d’emblée «toute demande de paiement de compensation pour la démolition ou la confiscation de l’équipement», a-t-il écrit.
Mais les Européens ont déjà reçu le message, selon les données soumises au comité par Ghassan Alian. Le nombre de projets palestiniens financés par la communauté internationale (principalement européenne) a diminué, passant de 75 en 2015 à 12 en 2019, a-t-il dit, en liant cela aux mesures de supervision et d’application adoptées par l’administration civile. Il a déclaré que le précédent ministre de la Défense, Naftali Bennett, avait réuni les ambassadeurs et les attachés des pays concernés, et, avec la section de l’administration civile chargée des organisations internationales, «nous les avons tous avertis que nous ne tolérerions aucun projet international sans l’approbation d’Israël».
La bataille principale
Lors des deux réunions, les mots «guerre», «lutte», «bataille» et «campagne» ont été utilisés. Gideon Sa’ar du Likoud a appelé cela «la principale bataille, la principale campagne sur la Terre d’Israël dans la zone C… Notre demande, qui découle également des accords [d’Oslo], est une demande pour toute la zone C.» Amit Halevi du Likoud a qualifié la construction palestinienne dans la zone C de «virus exponentiel». Son collègue du parti Avi Dichter l’a décrit comme une «terreur territoriale».
L’un des participants invités était Benzi Lieberman, un résident de la colonie de Peduel, ancien chef du Conseil des colonies de Yesha et directeur de l’Autorité terrestre israélienne. Il a présenté une carte des zones palestiniennes en construction et a qualifié une partie de celle-ci de «cancer».
Selon les descriptions faites lors des réunions, la construction palestinienne «étrangle ou tente d’étrangler» la colonie juive. Nitzan Horowitz, Yair Golan et Tamar Zandberg du parti Meretz, et l’avocat invité Roni Pelli de l’Association pour les droits civils en Israël, se sont opposés à cette description. Ils ont fait remarquer qu’Israël n’autorise pas la construction et le développement pour les Palestiniens dans la zone C, pas même un raccordement aux réseaux d’eau et d’électricité. Ainsi, les Palestiniens sont obligés de construire sans permis, et il s’agit généralement de constructions très simples. Mais ces quatre orateurs étaient minoritaires; les autres ont écarté les faits qui ont été cités.
Ghassan Alian a énuméré d’autres réalisations de l’Administration civile, qui a été créée en 1981 avec l’objectif déclaré de «servir la population palestinienne». En 2019, elle a déraciné 7500 arbres que les Palestiniens avaient plantés dans des zones qu’Israël a désignées au fil des ans comme terres d’État (et donc réservées aux seuls Juifs). Au cours des 20 dernières années, a déclaré Ghassan Alian, le nombre total d’arbres plantés par les Palestiniens et déracinés par l’administration civile s’élève à 42’000. En tant qu’agriculteur, il sait que c’est beaucoup, a-t-il ajouté.
Marco Ben-Shabbat, le chef de l’unité d’application de l’Administration civile, a déclaré qu’en 2019 l’Administration a confisqué 700 excavateurs, bulldozers et autres, et que cette confiscation a un effet «dissuasif très important». Alors qu’en 2015, l’administration n’a retiré que six structures placées dans les communautés palestiniennes, au cours des huit premiers mois de cette année, «nous nous sommes occupés de 242» – c’est-à-dire qu’elles ont été confisquées et retirées de la zone. Aujourd’hui, a-t-il dit, il ne s’écoule pas plus de 14 jours entre le moment où l’administration localise une caravane ou toute autre structure et le jour où elle la démantèle et l’enlève de la zone.
Comme l’ont dit Ghassan Alian et Ben-Shabbat, l’accélération des efforts de l’administration civile contre la construction palestinienne a été rendue possible par deux amendements législatifs: un ordre militaire pour l’enlèvement des maisons mobiles et un ordre contre les structures non autorisées. Les deux amendements ont été initialement rédigés pour empêcher la construction d’avant-postes de colons sur des terres palestiniennes privées et ont été appliqués par la suite aux communautés palestiniennes, qui construisent généralement sur des terres palestiniennes privées – les leurs ou louées.
Ces deux instruments juridiques ont été adoptés à la suite de critiques constantes de l’Administration civile au sein du sous-comité pour la Cisjordanie. Alian a déclaré qu’un budget plus important pour l’administration améliorerait encore plus ses performances.
La bonne dissuasion
L’ancien député Yogev, un résident de la colonie de Dolev, a participé à la réunion du 13 août en tant qu’invité. Il a essayé de refroidir l’enthousiasme de Ben-Shabbat, a-t-il dit: «Mais Marco, si [l’excavateur] est ramené dans un délai d’un jour… ou une pompe à eau ou toute autre chose confisquée pour un jour… cela ne représente aucune punition et ne contient aucune dissuasion. Si elle est ramenée après un an, la perte monétaire mettra fin au phénomène.»
Ben-Shabbat a répondu qu’il doit obéir à la loi, mais «à l’épreuve de la réalité, nous imposons des conditions à ces délinquants. Par exemple, en face de la colonie de Psagot Kokhav Ya’akov, un camion a été saisi il y a deux mois et demi. Nous avons posé des conditions [pour sa restitution], par exemple, l’enlèvement des ordures qui y avaient été déposées… Deux camions, chacun d’une valeur utile quotidienne de près de 5000 shekels [1470 dollars], sont contrôlés par nous depuis plus de trois mois. Il y a des tracteurs qui sont inclus dans cette procédure depuis environ deux mois, et certains depuis une semaine et demie, tout cela conformément aux dispositions de la loi. Et je pense que nous poussons mesures jusqu’à leurs limites, tant que cela reste dans les limites de la loi».
Meir Deutsch du Regavim [une «ONG» favorable aux colons»], un résident de la colonie d’Efrat, a assisté aux deux réunions. Yogev a décrit le Regavim comme «un officier de renseignement» du sous-comité qu’il dirigeait autrefois. Meir Deutsch a déclaré aux participants que 70% des zones A et B, où les Palestiniens sont autorisés à planifier et à construire, sont vides. «Cela signifie que l’Autorité palestinienne n’a pas besoin de construire dans la zone C parce qu’elle n’a nulle part ailleurs où construire. Parce qu’ils ont 70% des zones A et B qui ne sont pas encore peuplées, ils peuvent donc y construire».
Nir Barkat du Likoud a déclaré qu’il devrait y avoir un objectif d’installer 2 millions de Juifs en Cisjordanie, ainsi que de «contrecarrer la tentative des Palestiniens de changer la situation. Ils ont suffisamment de territoire en A et B.»
Lors des deux réunions, il s’est avéré que le cabinet avait déjà décidé en juillet 2019 de nommer une sorte de chef de projet pour la question de la zone C. Ce directeur n’a pas été nommé, mais l’Administration civile a dressé une carte des constructions palestiniennes sans permis et a procédé à une nouvelle estimation de la population palestinienne (mais pas par le biais d’un recensement). Les résultats n’ont pas été divulgués lors des réunions.
L’Administration civile a établi des priorités régionales pour la démolition des structures palestiniennes: à ce stade, dans la zone entourant Jérusalem, les collines du sud d’Hébron et les zones de tir, avec un accent mis sur la vallée du Jourdain. Plus tard, l’administration civile prévoit de faire de même près de la barrière de séparation, dans les zones situées le long des routes principales et sur les terres de l’État.
Ben-Shabbat a déclaré que la coordination entre les différents groupes qui rendent compte immédiatement des constructions palestiniennes s’est grandement améliorée, qu’il s’agisse des colons qui sont des civils ordinaires et qui rendent compte des constructions palestiniennes, ou des soldats et des réservistes qui arrêtent immédiatement les constructions au moyen de la loi concernant les maisons mobiles.
Ben-Shabbat a également parlé des outils de renseignement. Le conseiller de l’Administration civile pour les affaires palestiniennes suit les médias sociaux palestiniens ainsi que Facebook, «qui donnent l’impression qu’il n’y a rien mais qui, en fait, contiennent beaucoup d’informations, à la fois des indications avancées et certainement des informations qui sont envoyées dès lors à nos organes chargés d’intervenir».
L’Administration civile utilise également le système d’information géographique palestinien «afin de voir les tendances». De plus, les informations proviennent des renseignements du Commandement central, et de la division et des brigades de l’armée en Cisjordanie, a «rassuré» Ben-Shabbat.
Lors des négociations d’Oslo, les deux parties ont convenu de diviser artificiellement la Cisjordanie en catégories A, B, C (respectivement les villes, les villages et la zone peu peuplée palestinienne). Ceci devait faciliter le redéploiement progressif de l’armée israélienne et transférer plus de territoire sous la responsabilité de l’Aautorité palestinienne (AP). Cette division artificielle aurait dû prendre fin en 1999, selon les accords.
Selon l’interprétation de l’AP, la plus grande partie de la Cisjordanie devait devenir la zone A – où l’AP conserve l’autorité en matière de police et de planification – à la veille de la mise en œuvre d’un accord sur le statut final en 1999.
Depuis la création de l’AP au milieu des années 90, Israël a limité la construction palestinienne à un minimum dans la zone C, qui constitue 61% de la Cisjordanie à l’exclusion de Jérusalem-Est.
Depuis des années, la position de l’UE est que la zone C fait partie intégrante du futur État palestinien et que son soutien financier aux Palestiniens est axé sur la création de cet État, dans le cadre des accords d’Oslo. L’UE a exprimé l’espoir qu’Israël approuve entre-temps des plans directeurs pour les communautés palestiniennes afin de permettre une construction légale et un raccordement aux infrastructures (eau, électricité, etc.).
Lorsqu’il s’est avéré qu’Israël n’approuvait pas les plans directeurs soumis par les villages palestiniens de la zone C et qu’il continuait à refuser de les raccorder aux réseaux d’électricité et d’eau, l’UE, ou des pays individuels, ont soutenu des projets qu’ils ont qualifiés d’humanitaires: réhabilitation de citernes, installation de la technologie de l’énergie solaire, construction d’écoles ou ajout de salles de classe, financement de cliniques et distribution de caravanes au lieu des baraques en tôle et des cabanes des communautés de bergers (qui ont été érodées par les intempéries), toilettes mobiles et réhabilitation des terres agricoles et des routes. C’est la nature de ces projets qui ont tant inquiété la commission de la Knesset [qui y a répondu]. (Article publié dans le quotidien israélien Haaretz, le 13 septembre 2020; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] La zone C est une division administrative de la Cisjordanie, définie par l’accord d’Oslo II. Elle représente 61 à 62 % du territoire de la Cisjordanie. La population juive de la zone C est administrée par l’administration du district de Judée et de Samarie, tandis que la population palestinienne est directement administrée par le coordinateur des activité gouvernementales dans les territoires occupés. L’Autorité palestinienne est responsable des services médicaux et éducatifs des Palestiniens de la zone C, tandis que la construction des infrastructures est faite par Israël. (Réd.)
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