Par John Bellamy Foster et Intan Suwandi
Le SRAS-CoV-2, comme d’autres agents pathogènes dangereux qui ont émergé ou réapparu ces dernières années, est étroitement lié à un ensemble complexe de facteurs, dont 1° le développement de l’agrobusiness mondial avec ses monocultures génétiques en expansion qui augmentent la susceptibilité à la contraction des zoonoses des animaux sauvages aux animaux domestiques et aux humains; 2° la destruction des habitats sauvages et la perturbation des activités des espèces sauvages; et 3° les êtres humains vivant à leur proximité.
Impérialisme, classe et pandémie
Il ne fait guère de doute que les chaînes mondiales de produits de base (commodities) et les types de connectivité qu’elles ont produits sont devenus des vecteurs de transmission rapide de maladies, remettant en question tout ce modèle de développement exploiteur à l’échelle mondiale. Comme l’a écrit Stephen Roach de la Yale School of Management, ancien économiste en chef de Morgan Stanley et principal initiateur du concept d’arbitrage mondial du travail, dans le contexte de la crise du coronavirus, ce que les départements financiers des firmes voulaient, c’était «des biens à faible coût, indépendamment de ce que ces économies impliquaient en termes d’investissement dans la santé publique, ou je dirais aussi d’investissement dans la protection de l’environnement et la qualité du climat». Le résultat d’une telle approche non durable de la «rentabilité» est la crise écologique et épidémiologique mondiale actuelle et ses conséquences financières, déstabilisant encore plus un système qui présentait déjà un «accroissement excessif», caractéristique des bulles financières [48].
Actuellement, les pays riches forment l’épicentre de la pandémie Covid-19 et de ses retombées financières, mais la crise globale, intégrant ses effets économiques aussi bien qu’épidémiologiques, touchera plus durement les pays pauvres. La manière dont une crise planétaire de ce type est gérée est en fin de compte filtrée par le système de classe impérial. En mars 2020, l’équipe d’intervention Covid-19 de l’Imperial College de Londres a publié un rapport indiquant que, dans un scénario mondial où le SRAS-CoV-2 n’était pas atténué, sans distanciation sociale ni confinement social, quarante millions de personnes dans le monde mourraient, avec des taux de mortalité plus élevés dans les pays riches que dans les pays pauvres, en raison de la proportion plus importante de la population âgée de 65 ans ou plus, par rapport aux pays pauvres.
Cette analyse tenait ostensiblement compte de l’accès plus large aux soins médicaux dans les pays riches. Mais elle n’a pas tenu compte de facteurs tels que la malnutrition, la pauvreté et la plus grande vulnérabilité aux maladies infectieuses dans les pays pauvres. Néanmoins, les estimations de l’Imperial College, basées sur ces hypothèses, indiquent que dans un scénario non atténué, le nombre de décès serait de l’ordre de 15 millions en Asie de l’Est et dans le Pacifique, de 7,6 millions en Asie du Sud, de 3 millions en Amérique latine et dans les Caraïbes, de 2,5 millions en Afrique subsaharienne et de 1,7 million au Moyen-Orient et en Afrique du Nord – contre 7,2 millions en Europe et en Asie centrale et environ 3 millions en Amérique du Nord [49].
Basant leur analyse sur l’approche l’Imperial College, Ahmed Mushfiq Mobarak et Zachary Barnett-Howell de l’Université de Yale ont écrit un article pour le journal de l’establishment Foreign Policy intitulé «Les pays pauvres doivent réfléchir à deux fois à la distanciation sociale». Dans leur article, Mobarak et Barnett-Howell se sont montrés très explicites, affirmant que «les modèles épidémiologiques montrent clairement que le coût de la non-intervention dans les pays riches se chiffrerait en centaines de milliers, voire en millions de morts, un résultat bien pire que la plus grave récession économique imaginable». En d’autres termes, les interventions de distanciation sociale et de confinement agressif, même avec les coûts économiques qui y sont associés, sont largement justifiées dans les sociétés à hauts revenus – pour sauver des vies.
Cependant, il n’en va pas de même, selon eux, pour les pays pauvres, car ils comptent relativement peu de personnes âgées dans l’ensemble de leur population, ce qui ne génère, selon les estimations de l’Imperial College, qu’environ la moitié du taux de mortalité. Ce modèle, admettent-ils, «ne tient pas compte de la plus grande prévalence des maladies chroniques, des affections respiratoires, de la pollution et de la malnutrition dans les pays à faible revenu, ce qui pourrait augmenter les taux de mortalité dus aux épidémies de coronavirus». Mais ignorant largement ce fait dans leur article (et dans une étude connexe menée par le département d’économie de Yale), ces auteurs insistent sur le fait qu’il serait préférable, étant donné l’appauvrissement et l’ampleur du chômage et du sous-emploi dans ces pays, que les populations ne pratiquent pas la distanciation sociale ou les tests et le confinement agressif. Ces populations devraient consacrer leurs efforts à la production économique, en gardant vraisemblablement intactes les chaînes d’approvisionnement mondiales qui commencent principalement en amont dans les pays à bas salaires [50]. Il ne fait aucun doute que la mort de dizaines de millions de personnes dans le «Sud global» est considérée par ces auteurs comme un compromis raisonnable pour la croissance continue de l’empire du capital.
Comme l’affirme Mike Davis, le capitalisme du XXIe siècle implique «un triage permanent de l’humanité… condamnant une partie de la race humaine à l’extinction». Il demande:
«Mais que se passe-t-il lorsque le Covid se répand dans des populations qui n’ont qu’un accès minimal aux médicaments et qui présentent des niveaux dramatiquement plus élevés de mauvaise nutrition, de problèmes de santé non soignés et de systèmes immunitaires endommagés? L’avantage de l’âge aura beaucoup moins de valeur pour les jeunes pauvres des bidonvilles d’Afrique et d’Asie du Sud.
Il est également possible qu’une infection massive dans les bidonvilles et les villes pauvres puisse inverser le mode d’infection du coronavirus et modifier la nature de la maladie. Avant l’apparition du SRAS en 2003, les épidémies de coronavirus hautement pathogènes étaient confinées aux animaux domestiques, surtout les porcs. Les chercheurs ont rapidement reconnu deux voies d’infection différentes: fécale-orale, qui attaquait l’estomac et les tissus intestinaux, et respiratoire, qui attaquait les poumons. Dans le premier cas, la mortalité était généralement très élevée, tandis que dans le second, les cas étaient généralement moins graves. Un faible pourcentage des cas positifs actuels, en particulier sur les navires de croisière, font état de diarrhées et de vomissements et, pour citer un rapport, “la possibilité de transmission du SRAS-CoV-2 par les eaux usées, les déchets, l’eau contaminée, les systèmes de climatisation et les aérosols ne peut pas être sous-estimée”.
La pandémie a maintenant atteint les bidonvilles d’Afrique et d’Asie du Sud, où la contamination fécale est omniprésente: dans l’eau, dans les légumes cultivés localement et sous forme de poussière emportée par le vent. (Oui, les tempêtes de merde sont réelles.) Cela favorisera-t-il la voie entérique (intestinale)? Comme dans le cas des animaux, cela conduira-t-il à des infections plus mortelles, peut-être dans toutes les tranches d’âge?» [51]
L’argument de Mike Davis met en évidence l’immoralité flagrante d’une position qui affirme que la distanciation sociale et le confinement comme la suppression agressive du virus en réponse à la pandémie devraient avoir lieu dans les pays riches et non dans les pays pauvres. De telles stratégies épidémiologiques impérialistes sont d’autant plus vicieuses qu’elles prennent la pauvreté des populations du Sud, produit de l’impérialisme, comme justification d’une approche malthusienne ou darwiniste sociale, dans laquelle des millions de personnes peuvent mourir afin de maintenir la croissance de l’économie mondiale, principalement au profit de ceux qui se trouvent au sommet du système. […] [52]
Sur le plan économique, c’est le Sud dans son ensemble qui, indépendamment des effets directs de la pandémie, est destiné à payer le plus lourd tribut. L’effondrement des chaînes d’approvisionnement mondiales dû à l’annulation de commandes dans le «Nord global» (ainsi qu’à la distanciation sociale et le confinement) et le remaniement des chaînes de produits qui s’ensuivra laisseront des pays et des régions entiers dévastés [53].
Ici, il est également crucial de reconnaître que la pandémie du Covid-19 est survenue au milieu d’une guerre économique pour l’hégémonie mondiale déclenchée par l’administration de Donald Trump et dirigée contre la Chine, qui a représenté environ 37% de toute la croissance cumulée de l’économie mondiale depuis 2008 [54]. En raison de la guerre tarifaire, de nombreuses entreprises américaines avaient déjà retiré leurs chaînes d’approvisionnement de la Chine. Levi’s, par exemple, a réduit sa production en Chine de 16% en 2017 à 1 ou 2% en 2019. Face à la guerre tarifaire et à la pandémie Covid-19, les deux tiers des 160 cadres interrogés dans les différentes firmes aux États-Unis ont récemment indiqué qu’ils avaient déjà déménagé, qu’ils prévoyaient de déménager ou qu’ils envisageaient de déménager leurs activités de Chine au Mexique, où les coûts unitaires de main-d’œuvre sont désormais comparables et où ils seraient plus proches des marchés américains [55]. La guerre économique de Washington contre la Chine est actuellement si féroce que l’administration Trump a refusé d’abaisser les droits de douane sur les équipements de protection individuelle, essentiels au personnel médical, jusqu’à la fin mars [56]. Trump a entre-temps nommé Peter Navarro, l’économiste chargé de sa guerre économique pour l’hégémonie avec la Chine, à la tête du Defense Production Act pour faire face à la crise Covid-19.
Dans son rôle de direction de la guerre commerciale des États-Unis contre la Chine et de coordinateur politique du Defense Production Act, Navarro a accusé la Chine d’avoir introduit un «choc commercial» qui a fait perdre «plus de cinq millions d’emplois manufacturiers et 70’000 usines» et «tué des dizaines de milliers d’Américains» en détruisant des emplois, des familles et la santé. Il déclare maintenant que cela a été suivi d’un «choc du virus chinois» [57]. Sur cette base propagandiste, Navarro a procédé à l’intégration de la politique américaine concernant la pandémie autour de la nécessité de combattre le prétendu «virus chinois» et de retirer les chaînes d’approvisionnement étasuniennes de Chine. Cependant, étant donné qu’environ un tiers de tous les produits manufacturés intermédiaires mondiaux sont actuellement fabriqués en Chine, principalement dans les secteurs de haute technologie, et que cela reste la clé de l’arbitrage mondial en matière de travail, la tentative de restructuration sera très perturbatrice, dans la mesure où elle serait toutefois possible [58].
Certaines multinationales qui avaient délocalisé leur production hors de Chine ont appris à leurs dépens que cette décision ne les «libérait» pas de leur dépendance à l’égard de ce pays. Samsung, par exemple, a commencé à transporter par avion des composants électroniques de Chine vers ses usines au Vietnam – une destination pour les entreprises désireuses d’échapper aux tarifs douaniers de la guerre commerciale. Mais le Vietnam est également vulnérable, car il dépend fortement de la Chine pour les matériaux ou les biens intermédiaires [59]. Des cas similaires se sont produits dans les pays voisins d’Asie du Sud-Est. La Chine est le plus grand partenaire commercial de l’Indonésie, et environ 20 à 50% des matières premières pour l’industrie du pays proviennent de Chine. En février, les usines de Batam, en Indonésie, ont déjà dû faire face à un assèchement des matières premières en provenance de Chine (qui représente 70% de la production de cette région). Les entreprises de la région ont déclaré qu’elles envisageaient de se procurer des matières premières dans d’autres pays, mais «ce n’est pas vraiment facile». Pour de nombreuses usines, l’option envisageable était de «cesser complètement les activités» [60].
Des capitalistes comme Cao Dewang, le milliardaire chinois qui a créé Fuyao Glass Industry, prédit l’affaiblissement du rôle de la Chine dans la chaîne d’approvisionnement mondiale après la pandémie, mais conclut que, au moins à court terme, «il est difficile de trouver une économie pour remplacer la Chine dans la chaîne industrielle mondiale» – en invoquant les nombreuses difficultés liées aux «insuffisances des infrastructures» dans les pays d’Asie du Sud-Est, aux coûts de main-d’œuvre plus élevés dans le «Nord global» et aux obstacles que les «pays riches» doivent affronter s’ils veulent «relancer la fabrication chez eux» [61].
La crise Covid-19 ne doit pas être traitée comme le résultat d’une force extérieure ou comme un événement imprévisible de type «cygne noir», mais fait plutôt comme partie d’un ensemble de tendances de crise qui sont largement prévisibles, mais pas en termes de calendrier réel. Aujourd’hui, le centre du système capitaliste est confronté à une stagnation séculaire en termes de production et d’investissement, comptant pour son expansion et son accumulation de richesses au sommet sur des taux d’intérêt historiquement bas, des montants élevés de dettes, la fuite des capitaux du reste du monde et la spéculation financière. L’inégalité des revenus et des richesses atteint des niveaux pour lesquels il n’existe aucune analogie historique. La faille dans l’écologie mondiale a atteint des proportions planétaires et crée un environnement planétaire qui ne constitue plus un lieu sûr pour l’humanité. De nouvelles pandémies apparaissent sur la base d’un système de capital financier monopolistique mondial qui s’est imposé comme le principal vecteur de maladie. Partout, les systèmes étatiques régressent vers des niveaux de répression plus élevés, que ce soit sous le manteau du néolibéralisme ou du néofascisme.
La nature extraordinairement exploitatrice et destructrice du système est évidente dans le fait que les ouvriers du monde entier ont été déclarés travailleurs essentiels des infrastructures critiques (un concept formalisé aux États-Unis par le ministère de la Sécurité intérieure). Ils sont censés effectuer la production la plupart du temps sans équipement de protection, tandis que les classes les plus privilégiées et pas indispensables prennent socialement leurs distances [62]. Un véritable confinement serait beaucoup plus étendu et nécessiterait un approvisionnement et une planification étatique, assurant la protection de toute la population, plutôt que de se concentrer sur le sauvetage des intérêts financiers. C’est précisément en raison de la nature de classe de la mise à distance sociale, ainsi que de l’accès aux revenus, au logement, aux ressources et aux soins médicaux, que la morbidité et la mortalité dues à Covid-19 aux États-Unis tombent principalement sur les populations de couleur, où les conditions d’injustice économique et environnementale sont les plus graves [63].
La production sociale et le métabolisme planétaire
La vision matérialiste de Marx repose sur ce qu’il appelle «la hiérarchie des besoins» [64]. Cela signifie que les êtres humains sont des êtres concrets (charnels) faisant partie du monde naturel, et qu’ils y créent leur propre monde social. En tant qu’êtres charnels, ils devaient d’abord satisfaire leurs besoins matériels en mangeant et en buvant, en s’assurant de la nourriture, d’un abri, de vêtements et des conditions de base d’une existence saine, avant de poursuivre leurs besoins de développement plus élevés, nécessaires à la pleine réalisation du potentiel humain [65].
Pourtant, dans les sociétés de classes, la grande majorité, les véritables producteurs, étaient toujours relégués dans des conditions où ils étaient retenus dans une lutte constante pour satisfaire leurs besoins les plus fondamentaux. Cela n’a pas fondamentalement changé. Malgré l’énorme richesse créée au cours de siècles de croissance, des millions et des millions de personnes, même dans la société capitaliste la plus riche, restent dans une situation précaire en ce qui concerne des éléments vitaux de base tels que la sécurité alimentaire, le logement, l’eau potable, les soins de santé et les transports – cela dans un contexte où trois milliardaires aux États-Unis possèdent autant de richesses que la moitié inférieure de la population.
Pendant ce temps, les environnements locaux et régionaux ont été mis en danger, tout comme l’ensemble des écosystèmes mondiaux et le système terrestre lui-même en tant que lieu sûr pour l’humanité. L’accent mis sur les «économies» mondiales (euphémisme pour main-d’œuvre et terres bon marché) a conduit le capital transnational à créer un système complexe de chaînes mondiales de produits de base, conçu en tout point pour maximiser la surexploitation de la main-d’œuvre à l’échelle mondiale, tout en transformant le monde entier en un marché immobilier, en grande partie pour le fonctionnement de l’agrobusiness. Il en a résulté un vaste drainage des surplus de la périphérie du système mondial et un pillage des biens communs de la planète.
Dans le système étroit de comptabilité de la valeur employé par le capital, la plupart de l’existence matérielle, y compris l’ensemble du système terrestre et les conditions sociales des êtres humains, dans la mesure où elles n’entrent pas dans le marché, sont considérées comme des externalités, à voler et à dépouiller dans l’intérêt de l’accumulation du capital. Ce qui a été qualifié à tort de «tragédie des biens communs» est mieux compris, comme l’a souligné Guy Standing dans Plunder of the Commons.A Manifesto for Sharing Public Wealth (Pelican Book, 2019), comme «la tragédie de la privatisation». Aujourd’hui, le célèbre paradoxe de Lauderdale, introduit par le comte de Lauderdale au début du XIXe siècle, dans lequel les richesses publiques sont détruites pour enrichir les richesses privées, a pour champ d’action la planète entière [66].
Les circuits du capital de l’impérialisme tardif ont pris toute la mesure de ces tendances, générant une crise écologique planétaire qui se développe rapidement et menace d’engloutir la civilisation humaine telle que nous la connaissons; une véritable tempête de catastrophe. Cela vient s’ajouter à un système d’accumulation qui est séparé de tout ordre rationnel des besoins de la population, indépendamment de son rapport à l’argent [67]. L’accumulation et l’accumulation de richesses en général dépendent de plus en plus de la prolifération des déchets de toutes sortes. Au milieu de cette catastrophe, une nouvelle guerre froide et une probabilité croissante de destruction thermonucléaire ont émergé, avec au premier plan des États-Unis de plus en plus instables et agressifs. Cela a conduit le Bulletin of Atomic Scientists à déplacer sa célèbre horloge du jugement dernier à 100 secondes avant minuit, la plus proche de minuit depuis que l’horloge a commencé à fonctionner en 1947 [68].
La pandémie Covid-19 et la menace de pandémies croissantes et plus meurtrières sont le produit de ce même développement impérialiste tardif. Les chaînes d’exploitation et d’expropriation mondiales ont déstabilisé non seulement les écologies, mais aussi les relations entre les espèces, créant une infusion toxique de pathogènes. Tout cela peut être considéré comme le résultat de l’introduction de l’agrobusiness avec ses monocultures génétiques, de la destruction massive des écosystèmes par le mélange incontrôlé des espèces et d’un système de valorisation mondialisée basé sur le traitement des terres, des corps, des espèces et des écosystèmes comme autant de «cadeaux gratuits» à exproprier, sans tenir compte des limites naturelles et sociales.
Les nouveaux virus ne sont pas non plus le seul problème de santé mondial qui émerge. L’utilisation excessive d’antibiotiques dans l’industrie agroalimentaire et la médecine moderne a entraîné la croissance dangereuse de superbactéries, ce qui a provoqué un nombre croissant de décès. Ce nombre pourrait dépasser, d’ici le milieu du siècle, le nombre annuel de décès par cancer, et a incité l’Organisation mondiale de la santé à déclarer une «urgence sanitaire mondiale» [69]. Comme les maladies transmissibles, dues aux conditions inégales de la société de classe capitaliste, frappent surtout la classe ouvrière et les pauvres, ainsi que les populations de la périphérie, le système qui génère ces maladies dans la poursuite de la richesse quantitative peut être accusé, comme l’ont fait Engels et les Chartistes au XIXe siècle, de meurtre social. Comme l’ont suggéré les développements révolutionnaires de l’épidémiologie représentés par «One Health» et «Structural One Health», l’étiologie des nouvelles pandémies peut être rattachée au problème global de la destruction écologique provoquée par le capitalisme.
Ici, la nécessité d’une «reconstitution révolutionnaire de la société dans son ensemble» se fait à nouveau sentir, comme cela a été le cas tant de fois dans le passé [70]. La logique du développement historique contemporain souligne la nécessité d’un système de reproduction métabolique sociale davantage basé sur les collectivités, dans lequel les producteurs associés régulent rationnellement leur métabolisme social avec la nature, de manière à promouvoir le libre développement de chacun comme base du libre développement de tous, tout en conservant l’énergie et l’environnement [71]. L’avenir de l’humanité au XXIe siècle ne peut se perpétuer dans le sens d’une exploitation/expropriation économique et écologique accrue, de l’impérialisme et de la guerre. Au contraire, ce que Marx appelait «la liberté en général» et la préservation d’un «métabolisme planétaire» viable sont les nécessités les plus urgentes aujourd’hui pour déterminer le présent et l’avenir de l’humanité, et même sa survie [72].
(Cette contribution – dont nous publions ici la dernière des trois parties, les deux premières ont été mises en ligne les 27 et 28 juin 2020 – a été publiée sur le site de la Monthly Review, en date du 1er juin 2020; traduction rédaction A l’Encontre. Nous n’avons pas traduit cinq lignes ayant trait à une présentation de la gestion du Covid-19 et du système hospitalier du Venezuela. Au nom de «l’anti-impérialisme», il nous apparaît peu acceptable, sur la base de deux sources, que les deux auteurs nient la catastrophe sanitaire propre à la gestion du gouvernement de Maduro. Les lecteurs pourront, sur la base des deux références de la note 52, prendre connaissance de ce qui doit valider leur opinion. Quant au site A l’Encontre, il a publié un nombre suffisant d’articles sur la situation au Venezuela, produits par des auteurs de ce pays, pour que nos lecteurs puissent se faire une opinion.)
John Bellamy Foster, éditeur de la Monthly Review, est l’auteur de nombreux ouvrages connus. Nous citerons ici son dernier, publié en juin 2020: The Return of Nature. Socialism and Ecology. Intan Suwandi est l’auteur de l’ouvrage Value Chains. The New Economic Imperialism (Ed. The Monthly Review Press, 2019).
Notes
48. Stephen Roach, “This Is Not the Usual Buy-on-Dips Market,” Economic Times, March 18, 2020.
49. COVID-19 Response Team, Imperial College, Report 12: The Global Impact of COVID-19 and Strategies for Mitigation and Suppression (London: Imperial College, 2020), 3–4, 11.
50. Ahmed Mushfiq Mobarak and Zachary Barnett-Howell, “Poor Countries Need to Think Twice About Social Distancing,” Foreign Policy, April 10, 2020; Zachary Barnett-Howell and Ahmed Mushfiq Mobarak, “The Benefits and Costs of Social Distancing in Rich and Poor Countries,” ArXiv, April 10, 2020.
51. Davis, “Mike Davis on Pandemics, Super-Capitalism, and the Struggles of Tomorrow.”
52. “President Maduro: Venezuela Faces the COVID-19 With Voluntary Quarantine Without Curfew or State of Exception,” Orinoco Tribune, April 18, 2020; Frederico Fuentes, “Venezuela: Community Organization Key to Fighting COVID-19,” Green Left, April 9, 2020.
53. “Analysis: The Pandemic Is Ravaging the World’s Poor Even If They Are Untouched by the Virus,” Washington Post, April 15, 2020; Matt Leonard, “India, Bangladesh Close Factories Amid Coronavirus Lockdown,” Supply Chain Dive, March 26, 2020; Finbarr Bermingham, “Global Trade Braces for ‘Tidal Wave’ Ahead, as Shutdown Batters Supply Chains,” South China Morning Post, April 3, 2020; I. P. Singh, “Punjab: ‘No Orders, No Raw Material,’” Times of India, April 1, 2020.
54. Roach, “This Is Not the Usual Buy-On-Dips Market.
55. Kapadia, “From Section 301 to COVID-19.”
56. Bown, “COVID-19: Trump’s Curbs on Exports of Medical Gear.”
57. David Ruccio, “The China Syndrome,” Occasional Links and Commentary, April 14, 2020; Alan Rappeport, “Navarro Calls Medical Experts ‘Tone Deaf’ Over Coronavirus Shutdown,” New York Times, April 13, 2020; John Bellamy Foster, Trump in the White House (New York: Monthly Review Press, 2017), 84–85.
58. Cary Huang, “Is the Coronavirus Fatal for Economic Globalisation?,” South China Morning Post, March 15, 2020; Frank Tang, “American Factory Boss Says Pandemic Will Change China’s Role in Global Supply Chain,”South China Morning Post, April 15, 2020.
59. John Reed and Song Jung-a, “Samsung Flies Phone Parts to Vietnam After Coronavirus Hits Supply Chains,” Financial Times, February 16, 2020; Finbarr Bermingham, “Vietnam Lured Factories During Trade War, but Now Faces Big Hit as Parts from China Stop Flowing,” South China Morning Post, February 28, 2020.
60. Fadli, “Batam Factories at Risk as Coronavirus Outbreak Stops Shipments of Raw Materials from China,” Jakarta Post, February 18, 2020; “Covid-19: Indonesia Waives Income Tax for Manufacturing Workers for Six Months,” Star, March 16, 2020.
61. Tang, “American Factory Boss Says Pandemic Will Change China’s Role in Global Supply Chain.”
62. Christopher C. Krebs, “Advisory Memorandum on Identification of Essential Critical Infrastructure Workers,” U.S. Department of Homeland Security, March 28, 2020.
63. Lauren Chambers, “Data Show that COVID-19 is Hitting Essential Workers and People of Color Hardest,” Data for Justice Project, American Civil Liberties Union, April 7, 2020.
64. Karl Marx, Texts on Method (Oxford: Basil Blackwell, 1975), 195.
65. Frederick Engels, “The Funeral of Karl Marx,” in Karl Marx Remembered, ed. Philip S. Foner (San Francisco: Synthesis, 1983), 39.
66. Guy Standing, Plunder of the Commons: A Manifesto for Sharing Public Health (London: Pelican, 2019), 49; John Bellamy Foster and Brett Clark, The Robbery of Nature (New York: Monthly Review Press, 2020), 167–72.
67. John Bellamy Foster and Robert W. McChesney, The Endless Crisis (New York: Monthly Review Press, 2012).
68. “It’s Now 100 Seconds to Midnight,” Bulletin of Atomic Scientists, January 23, 2020.
69. “Microbial Resistance a Global Health Emergency,” UN News, November 12, 2018; Ian Angus, “Superbugs in the Anthropocene,” Monthly Review 71, no. 2 (June 2019).
70. Karl Marx and Frederick Engels, The Communist Manifesto (New York: Monthly Review Press, 1964), 2.
71. Karl Marx, Capital, vol. 3, 949.
72. Karl Marx and Frederick Engels, Collected Works, vol. 1 (New York: International Publishers, 1975), 173; Wallace et al., “COVID-19 and Circuits of Capital.”
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