Etats-Unis. Le vrai de John Bolton à la lumière de sa dangereuse carrière

Par Jon Schwarz

Les nouveaux mémoires de John Bolton, intitulés The Room Where It Happened [La pièce où cela s’est produit], qui retracent son passage dans l’administration Trump, sont-ils un compte rendu exact de ce qu’il a vu à la Maison Blanche, en tant que conseiller à la Sécurité nationale? La réponse est presque certainement oui, ce qui en fait un document historique précieux. Les journalistes seront peut-être particulièrement intéressés d’apprendre que Donald Trump a déclaré que nous «devrions être exécutés».

Nous pouvons croire ce que dit Bolton non pas parce qu’il bénéficierait d’une réputation ancienne d’homme honnête. Au contraire, c’est l’un des individus les plus fourbes qui aient jamais occupé un poste élevé aux États-Unis. Cependant, Bolton est aussi extrêmement intelligent selon les normes de la droite et il a un sens aigu de son propre intérêt. Dans le passé, ses mensonges ont toujours porté sur des personnes et des pays plus faibles que lui, qui n’étaient pas en mesure de lui faire payer le prix de sa duplicité. En revanche, s’il s’en prend à plus puissant que lui, par exemple un président en exercice, nous pouvons être certains qu’il a veillé scrupuleusement à mettre la réalité de son côté.

Mais quels que soient les mérites de son nouveau livre, il est important de se rappeler que Bolton n’est pas un héros de la vérité. A lire ci-dessous, une courte liste de quelques-unes de ses terribles méfaits au cours de sa longue et destructive carrière.

• Bolton était un partisan déterminé de la guerre au Vietnam, et il manifesta la même détermination pour éviter d’y prendre part personnellement. Pour être sûr d’échapper à la guerre, il s’est enrôlé dans la Garde nationale du Maryland avant d’avoir terminé ses études à Yale. Il l’expliquera plus tard: «Je n’avais aucune envie de mourir dans une rizière d’Asie du Sud-Est.» Généreuse suggestion de l’occasion offerte à un autre de mourir de la sorte. Peu de temps après, Bolton était stagiaire au service du vice-président Spiro Agnew [en poste de 1969-1973 sous Richard Nixon, il dut démissionner suite à divers scandales].

• La marque la plus profonde que Bolton imprima sur la politique américaine, est peut-être la plus ancienne et la moins connue: jeune avocat de droite, il s’est acharné à mettre à mal la réforme financière des campagnes politiques instaurée dans la foulée du Watergate [qui aboutit à la démission de Nixon en 1974]. Ses mémoires décrivent fièrement l’énergie qu’il a déployée dans la cause «Buckley versus Valeo» [1], elle aboutit en 1976 à une décision de la Cour suprême dont les conséquences ont largement surclassé «Citizens United» [2]. Cette décision a aboli les limites mises aux dépenses de financement des campagnes électorales et à l’autofinancement des candidats super riches. Comme l’explique Bolton: «Tout le monde le savait, le jugement de l’affaire Buckley c. Valeo déterminerait… le futur de la politique américaine.» Il avait raison. Sans l’arrêt Buckley c. Valeo, Donald Trump n’aurait jamais pu dépenser des dizaines de millions de dollars de son propre argent pour se faire élire… et pour embaucher Bolton.

• Au cours des années 1980, et dans l’administration Reagan, Bolton a occupé des quantités de postes différents. Liquider la réglementation internationale limitant la commercialisation des préparations pour nourrissons destinées aux pays dépourvus d’eau potable obsédait cette administration. Une de ses anciennes subordonnées écrira plus tard qu’à son refus de collaborer à ce projet, Bolton «a crié que Nestlé était une entreprise importante et qu’il me donnait un ordre direct du président Reagan». Faute d’être parvenu à obtenir son licenciement, il l’a reléguée dans un bureau, au sous-sol.

• Bolton a rejoint l’administration George W. Bush comme sous-secrétaire d’État au contrôle des armements. En 2002, il a prétendu que Cuba entreprenait un programme limité d’armes biologiques offensives. Lorsqu’un analyste du Département d’État a contesté les affirmations brutales que comportait une version antérieure du discours, Bolton a bien entendu tenté de faire virer l’analyste.

• Au cours de cette même année 2002, Bolton réussit à faire limoger José Bustani, diplomate brésilien de premier plan, de son poste de chef de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (occupé depuis 1997). A l’occasion de sa première tentative d’écarter Bustani, Bolton lui dit: «Nous savons où vivent vos enfants… Vous avez deux fils à New York.» Le tort de Bustani? Persuader l’Irak de signer le Traité international pour l’interdiction des armes chimiques. Sa signature aurait conduit à des inspections menées par l’Organisation internationale sur les armes chimiques (OIAC), qui auraient démontré que l’Irak n’en avait pas. Le plus mauvais scénario possible aux yeux de Bolton. Il rendait plus difficile l’agression des États-Unis contre l’Irak.

• En 2015, le New York Times publiait une tribune libre de Bolton intitulé «Pour arrêter la bombe iranienne, bombarder l’Iran». Un tissu de falsifications, caractéristique de la manière Bolton, commises dans le seul but de déclencher une guerre non provoquée.

• Juste avant que Trump n’intègre Bolton dans son administration en 2018, une tribune libre de Bolton dans le Wall Street Journal appelait encore à une «guerre non provoquée», contre la Corée du Nord en l’occurrence. Dans ce document, Bolton faisait valoir que les présidents devraient désormais pouvoir ignorer la clause constitutionnelle sur les pouvoirs de guerre, qui réserve le droit de déclarer la guerre au Congrès et, dès lors, qu’ils pouvaient attaquer d’autres pays quand ils le souhaitaient.

Ces quelques exemples ne font que gratter la surface de la croisade de la droite la plus dure à la Bolton. Elle a duré toute sa vie. En particulier, il faudra probablement des années avant que nous disposions d’un compte rendu complet de ses actions en tant que conseiller à la Sécurité nationale. Mais dans un certain sens, l’expulsion de Bolton de l’administration Trump démontre à quel point il a réussi. Comme de nombreux contre-révolutionnaires extrémistes, il a triomphé, puis a constaté que ceux qui ont finalement pris le pouvoir dans le chaos ne partageaient pas son programme. Par conséquent, il a finalement décidé qu’il devait lui-même être purgé. (Article publié par le site The Intercept en date du 18 juin 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] L’arrêt Buckley versus Valeo (1976) de la Cour suprême concerne le financement des campagnes électoral et le 1er Amendement sur la liberté d’expression. Cet arrêt donna lieu à diverses interprétations de la part des juges de la Cour suprême. En dernière instance, l’arrêt ne mettait pas fin à l’inégalité sociale suite à une décision de l’Etat dans ce domaine précis des campagnes électorales. (Réd. A l’Encontre)

[2] Cet arrêt aboutit à la création des super political actions committees ou super PACs, créés pour recevoir des fonds illimités et faire campagne en faveur de candidats. Bien que les super PACs soient censés être indépendants des candidats, ils comptent souvent dans leurs rangs d’anciens membres des équipes de campagne des candidats. Lors des campagnes, les super PACs dépensent des millions de dollars pour notamment diffuser des publicités négatives visant des opposants à leur champion. (Réd. A l’Encontre)

 

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