Par Martin Empson et Ian Angus
Il y a des décennies, Barry Commoner a montré que les crises environnementales, énergétiques et économiques avaient une cause commune: un système qui exige des profits accrus à tout prix.
Martin Empson, un collaborateur fréquent de Climate&Capitalism, passe régulièrement en revue de nouveaux et d’anciens livres sur son blog, Resolute Reader. Récemment, il a passé en revue le classique de Barry Commoner, datant de 1971, The Closing Circle, qu’il a qualifié de «contribution importante à notre compréhension de la lutte dont nous avons besoin». Il dit qu’il aurait aimé le lire il y a des années. [Cet ouvrage a été une référence pour des militants qui produisaient la publication La Brèche, en Suisse.]
Mon seul désaccord est avec sa déclaration selon laquelle Commoner n’était pas marxiste. Certes, il n’a pas utilisé l’étiquette, mais je ne trouve pas grand-chose dans son travail avec lequel un marxiste sérieux pourrait être en désaccord. Commoner était un écrivain remarquablement agréable, un scientifique et un activiste politique qui avait le don d’expliquer des idées complexes de façon claire et concise. The Closing Circle [traduction française : L’encerclement. Problèmes de survie en milieu terrestre, Seuil 1982] est un classique que tout écosocialiste devrait lire. Cliquez ici pour lire la critique de Martin Empson http://resolutereader.blogspot.com/2019/06/barry-commoner-closing-circle.html.
La lecture de ce recensement m’a incité à relire un autre livre de B. Commoner, The Poverty of Power, publié en 1976 [La pauvreté du pouvoir: l’énergie et la crise économique, PUF, 1980], alors que le monde capitaliste était secoué par une récession et une flambée des prix du pétrole. Bien qu’une grande partie des données et de l’analyse soient propres à cette période, Commoner a fait un excellent travail en présentant une critique radicale, en des termes qui seraient accessibles à tout lecteur. Comme le montrent les extraits ci-dessous, ce que Commoner a écrit est toujours d’actualité.
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Commoner a ouvert La pauvreté du pouvoir (qui, soit dit en passant, était un livre de poche sur le marché de masse) avec ce beau récit d’un ordre social qui met les éléments prioritaires en dernier.
«Au cours des dix dernières années, les Etats-Unis – la société la plus puissante et la plus techniquement avancée de l’histoire de l’humanité – ont été confrontés à une série de crises menaçantes et apparemment insolubles. Il y a d’abord eu la menace pour la survie de l’environnement, puis l’apparente pénurie d’énergie, et maintenant le déclin inattendu de l’économie. Il s’agit généralement d’afflictions distinctes, chacune devant être résolue selon ses propres termes: la dégradation de l’environnement par la lutte contre la pollution; la crise énergétique par la recherche de nouvelles sources d’énergie et de nouveaux moyens de la conserver; la crise économique par la manipulation des prix, des taxes et des taux d’intérêt.»
«Mais chaque effort pour résoudre une crise semble entrer en conflit avec la solution des autres: la lutte contre la pollution réduit l’approvisionnement en énergie; les économies d’énergie coûtent des emplois. Inévitablement, les partisans d’une solution deviennent les opposants des autres. Les politiques stagnent et les mesures correctives sont paralysées, ce qui ajoute à la confusion et à la morosité qui règnent dans le pays.»
«L’incertitude et l’inaction ne sont pas surprenantes, car cet enchevêtrement de problèmes est mal compris, non seulement par les citoyens en général, mais aussi par les législateurs, les administrateurs et même par les différents spécialistes. Elle implique des interactions complexes entre les trois systèmes de base – l’écosystème, le système de production et le système économique – qui, avec l’ordre social ou politique, régissent toute activité humaine.»
«L’écosystème – les grands cycles naturels, imbriqués et écologiques qui composent la peau de la planète et les minéraux qui s’y trouvent – fournit toutes les ressources qui soutiennent la vie et les activités humaines.»
«Le système de production – le réseau de processus agricoles et industriels créés par l’homme – transforme ces ressources en biens et services, la vraie richesse qui soutient la société: nourriture, produits manufacturés, transport et communication.»
«Le système économique – le bénéficiaire de la richesse réelle créée par le système de production – transforme cette richesse en gains, bénéfices, crédit, épargne, investissement, impôts, et régit la façon dont cette richesse est distribuée et ce qui en est fait.»
«Compte tenu de ces dépendances – le système économique sur la richesse produite par le système de production et le système de production sur les ressources fournies par l’écosystème – le système économique devrait logiquement se conformer aux exigences du système de production, et le système de production aux exigences de l’écosystème. L’influence déterminante devrait couler de l’écosystème au travers du système de production jusqu’au système économique.»
«Cela est l’idéal rationnel. En réalité, les relations entre les trois systèmes vont dans l’autre sens. La crise environnementale nous dit que l’écosystème a été désastreusement affecté par la conception du système de production moderne, qui a été développé presque sans égard pour la compatibilité avec l’environnement ou pour l’utilisation efficace de l’énergie. Les voitures qui engloutissent de l’essence polluent l’environnement par le smog; les usines pétrochimiques convertissent un réservoir de pétrole non renouvelable en agents non dégradables ou toxiques. En retour, la conception défectueuse du système de production lui a été imposée par le système économique, qui investit dans des usines qui promettent des profits accrus plutôt que la compatibilité environnementale ou l’utilisation efficace des ressources. Les relations entre les grands systèmes dont dépend la société sont à l’envers.»
«Ainsi, ce à quoi nous nous affrontons n’est pas une série de crises séparées, mais un seul défaut fondamental: un défaut qui se trouve profondément dans la conception de la société moderne.»
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Tout au long de La pauvreté du pouvoir, Commoner a brillamment développé ces idées, montrant que «notre crise actuelle est le symptôme d’une défaillance profonde et dangereuse du système économique». Il conclut par ces termes
«Nous arrivons à la fin de la chaîne aveugle et insensée d’événements qui a transformé les technologies de la production agricole et industrielle et réorganisé les transports; qui a augmenté la production du système de production, mais qui a augmenté encore plus son appétit pour le capital, l’énergie et les autres ressources; qui a éliminé des emplois et dégradé l’environnement; qui a concentré le pouvoir physique de l’énergie et le pouvoir social de la richesse qui en résulte dans un nombre croissant de sociétés, qui ont fait de ce pouvoir un facteur alimentant le chômage et la pauvreté. Voici la faute fondamentale qui est à l’origine de la crise environnementale et de la crise énergétique, et qui menace – si aucun remède n’est trouvé – de nous engloutir dans les décombres d’un système économique en ruines.»
«Maintenant, tout cela a culminé dans la confession ignominieuse de ceux qui détiennent le pouvoir: que le système économique capitaliste qui s’est proclamé haut et fort comme le meilleur moyen d’assurer un niveau de vie croissant pour le peuple des Etats-Unis ne peut survivre, si ce n’est pas du tout, qu’en réduisant ce niveau. Les puissants ont avoué la pauvreté de leur pouvoir.»
«Personne n’échappe aux conséquences de cette confession. Nul ne peut échapper au devoir de comprendre l’origine de ce défaut historique et de le transformer d’une menace pour le progrès social en un signal pour une nouvelle avancée.»
Tout socialiste qui s’intéresse aux questions environnementales (et cela devrait être le cas de tous les socialistes!) peut bénéficier de la lecture de Barry Commoner. Bien que ses livres soient épuisés, on peut les trouver dans les bibliothèques et des exemplaires usagés sont facilement accessibles en ligne à des prix raisonnables.
Pour en savoir plus sur l’idée de Commoner et un aperçu de ses œuvres majeures, voir Barry Commoner and the Great Acceleration: https://climateandcapitalism.com/2014/06/29/barry-commoner-great-acceleration/. (Article publié sur le site Climate&Capitalism, le 25 juin 2019; traduction A l’Encontre)
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