Oran: des milliers unis contre le régime
Par Loukil D.
Ce quatrième vendredi 15 mars, de mobilisation et de protestation aura été plus qu’une réponse adressée au Premier ministre Nourredine Bedoui [en fonction depuis le 12 mars 2019, suite à la démission de Ahmed Ouyahia; Bédoui était ministre de l’Intérieur depuis le mois de mai 2015]. Ce fut aussi une réponse à tous ceux qui représentent le régime, et qui s’inscrivent dans sa continuité ou sa survie.
La population s’est mobilisée de manière extraordinaire à Oran, en se retrouvant au centre-ville plus nombreuse que les vendredis précédents et surtout plus déterminée que jamais à s’opposer «à la feuille de route du pouvoir». Hier les slogans étaient adaptés à l’évolution de la situation, et comme autant de réponses au Premier ministre et à son vice-ministre.
De manière tranchée, hommes, femmes, jeunes et moins jeunes, en famille ou entre amis, toutes catégories sociales confondues, les Oranais ont choisi de crier haut et fort ce qu’ils veulent et ce dont ils ne veulent plus.
La manifestation a débuté à la place du 1er-Novembre, avant même la fin de la prière, avec des chants révolutionnaires fusant de la foule et la réappropriation des symboles historiques tels que «l’Algérie des chouhada [des moudjahidines morts durant la guerre d’indépendance] toujours debout», «Pour une Algérie libre». Ce mot de liberté, comme retrouvée dans les rues, revenait souvent dans les slogans inscrits sur les banderoles et autres pancartes brandies par les manifestants. Pour bien signifier qu’ils n’abdiqueront pas et resteront toujours mobilisés, les manifestants ont encore scandé: «Nous marcherons sans nous arrêter!»
Hier, vendredi, les Oranais se sont montrés plus politisés, plus revendicatifs, comme si à leur tour, ils avaient leur propre feuille de route et leur plateforme de revendications, face à celle des tenants du pouvoir. D’ailleurs, la marche est organisée par carrés, des milliers d’hommes et de femmes, toujours plus nombreux, se regroupent par quartiers, par secteurs, par groupes d’amis, de familles, de collègues, ou encore de profession, des syndicats, etc. Chacun venant avec sa banderole, ses drapeaux et ses pancartes.
Alors que des centaines de protestataires étaient déjà arrivés devant le siège de la wilaya [entité administrative], d’autres étaient encore au point de départ du cortège, à savoir la place du 1er-Novembre, la rue Larbi-Ben M’hidi [1923-1957, militant du PPA-MTLD; lors du conflit interne, il adhérera au FLN, dans la foulée des initiatives prises par l’Organisation spéciale] ou le Front de mer. Encore une fois, la capitale de l’Ouest a montré qu’elle était plus déterminée que jamais. (Publié dans Algérie-Liberté, le 16 mars à 11 heures)
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Constantine: des femmes et des familles entières se sont mêlées à la marée de jeunes. Ils/elles ont envahi les principales artères de la ville
Du jamais vu. C’est par dizaines de milliers que les Constantinois se sont réappropriés, hier, leur cité en esquissant de très belles images empreintes de civisme, de respect, de tolérance et de maturité politique. Des femmes surtout, en ce 8 Mars, venues par milliers pour dire qu’elles n’ont pas besoin de discours lénifiants et hypocrites pour fêter leur journée, mais d’une patrie qui a besoin d’être défendue. Belles elles l’étaient dans leurs tenues traditionnelles ou modernes. Même la “m’laya” noire emblématique de la ville des Ponts a refait surface pour dire “Djazayer Echouhada”, slogan qu’elles ont accompagné de youyous. Des femmes et des familles entières se sont mêlées à la marée humaine constituée de jeunes surtout, qui a commencé à se former dès 13h30 jusqu’à atteindre les principales artères de la ville dans une procession interminable. Certains parents n’ont pas hésité à emmener leurs enfants en bas âge, des bébés en poussette recouverte de l’emblème national. Des supporters du CSC ont presque oublié que leur club fétiche affrontait le même jour le Club Africain de Tunis, ici même à Constantine. Ils étaient au milieu des manifestants, offrant des bouteilles d’eau minérale, encadrant les carrés des marcheurs et donnant de la voix aux slogans entonnés.
Des supporters qui inviteront poliment leurs vis-à-vis du Club tunisien à ne pas perturber la marche : “Respectez-nous, c’est de l’avenir de l’Algérie qu’il s’agit.” Et les supporters tunisiens de reprendre, à leur tour, les slogans de la marche. Jusqu’à 15h, des citoyens et des familles continuaient à affluer vers le centre-ville, alors que la présence policière se faisait très discrète et que des scènes d’entraide et de bienséance entre marcheurs marquent fortement la manifestation. Le P/APW de Constantine, Nadir Amirèche, d’obédience FLN, celui-là même qui avait bouclé la ville de Constantine avec des bennes à ordures pour empêcher un rassemblement contre le 5e mandat du mouvement Mouwatana, il y a quelques mois, était présent à la tête d’un carré de marcheurs.
Lui aussi a prêté sa voix à la protesta (!) Innovants, certains slogans collent aussi bien à la circonstance qu’à la revendication citoyenne principale : «Nodi nodi ya Hassiba, rahoum ghadrouk ya lahbiba!» («réveille-toi Hassiba (Ben Bouali), on t’a trahie ô ma chère» [militante qui a été assassinée en 1957 lors de la bataille d’Alger]), “Ya Meriem Bouaâtoura, El-Djazayer rahi maghdoura !” (Meriem Bouatoura, on a trahi l’Algérie [Mériem Bouatoura, surnommée Yasmina, née en 1938, tuée par l’armée française coloniale]), «Ben M’hidi y a chahid, El-Djazaïr fi aâhd jdid !» (Ben M’hidi le martyr, l’Algérie vit une nouvelle ère), «Ya Haddad ya jaban, El Djazaïr la touhane!” (Haddad le lâche, l’Algérie ne peut être humiliée – Ali Haddad est le président du Forum des chefs d’entreprise depuis 2014; PDG du Groupe ETRHB Haddad) et «La nourid, la nourid Kouninef wa Saïd!» (Nous ne voulons ni de Reda Kouninef qui «parle à l’oreille de Said Bouteflika le frère du Président sortant). (Article publié dans Liberté Algérie, le 16 mars 2019)
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Tamamrasset: les chômeurs durcissent le ton
Par Rabah Kareche
Les promesses sans lendemain des responsables de l’emploi de la wilaya et l’opacité des procédés de recrutement adoptés les ont poussés à exprimer leur désarroi.
Depuis jeudi dernier (le 14 mars), ils ont dressé un mur en parpaing bloquant complètement l’accès à la direction de l’emploi avant de fermer le bureau de l’Anem (Agence nationale de l’emploi) qui, selon les protestataires rencontrés sur place, est devenu «un office de business». Cette action signifiant que le ton des plaisanteries n’est plus de saison a été ainsi menée pour dénoncer l’absence de transparence dans les précédentes opérations d’embauche et les conditionsimposées pour le recrutement au profit des sociétés implantées sur le territoire de la wilaya.
Tout en réclamant plus d’équité en matière de placement et de distribution des offres d’emploi, les protestataires ont affiché un mécontentement à peine contenu quant au mauvais comportement du responsable de l’Anem (Alem : agence locale) qui leur avait «manqué de respect» lors de la toute dernière rencontre, regrette l’un des protestataires en fustigeant le silence coupable du wali de Tamanrasset qui, semble-t-il, n’aura pas pris les choses au pied de la lettre car aucune initiative, décrient-ils, n’a été prise de sa part pour instaurer le dialogue ou encore relancer le débat autour des véritables problèmes soulevés. «Nous entamons notre 12e jour de protestation, aucun responsable de la wilaya n’a pris le soin de se déplacer sur le lieu du sit-in, ne serait-ce que pour écouter les revendications des chômeurs. Les autorités locales gardent le silence et le dialogue avec les protestataires plus que jamais déterminés à faire valoir leurs droits tarde à s’instaurer.»
Ces jeunes mécontents accusent les responsables de l’Agence de l’emploi de «népotisme et de favoritisme» dans les toutes dernières opérations d’embauche, lesquelles sont, d’après eux, entachées d’irrégularités et ne reposent sur aucune règle ni loi régissant l’emploi dans le grand Sud, notamment celles privilégiant le recrutement des autochtones
Évoquant le système électronique Wassit destinés au traitement des demandes d’emploi, les jeunes chômeurs démentent formellement les déclarations des officiels et trouvent que c’est «une supercherie de trop». Pour eux, ce système présenté comme solution miracle à la transparence tant réclamée par les demandeurs d’emploi «offre aux responsables de l’agence locale de l’emploi le moyen de justifier les passe-droits et les dossiers validés sous la table».
Rétorquant à ces allégations, un employé de l’Anem (Alem: agence locale) de Tamanrasset a expliqué que ce système est destiné à faciliter la médiation entre l’offre d’emploi exprimée par les employeurs et la demande, selon des techniques de rapprochement à travers l’intégrité des données par des référentiels en particulier la Nomenclature algérienne des métiers et emplois (Name). Cette nomenclature, élaborée par l’Anem – en partenariat avec le service public de l’emploi français (Pôle-Emploi) – vise notamment l’instauration d’un langage commun à même de faciliter le rapprochement entre l’offre et la demande d’emploi, de permettre d’identifier les besoins en formation pour mieux répondre aux attentes du marché du travail et d’élargir les filières professionnelles accessibles aux personnes confrontées à la mobilité professionnelle. (Artilce publié dans Liberté Algérie, le 16 mars 2019)
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Grandioses manifestations à Alger: slogans, humour et engagement
Par Salima Tlemcani
Pour la quatrième fois, les Algériens ont donné une très belle leçon de mobilisation et surtout de maturité. Sous un soleil de plomb et un ciel bleu azur, Alger s’est mise aux couleurs de l’emblème national, avec ces milliers de drapeaux accrochés aux balcons et hissés par les manifestants, qui avaient envahi les rues et les boulevards du centre de la capitale dès la matinée.
Pour ce quatrième vendredi de colère, écrits en arabe, en français, en tamazight et en dialecte algérien, les slogans que comportent les pancartes et les chants rythmés des Algérois sont aussi variés que réfléchis. Ils font preuve de beaucoup d’humour, mais aussi de maturité.
Cela va du refus du 5e mandat jusqu’aux critiques acerbes adressées au président français, Emmanuel Macron, en passant par des «Dégage» lancés au Premier ministre, Noureddine Bedoui, à son prédécesseur, Ahmed Ouyahia, au nouveau vice-Premier ministre, Ramtane Lamamra, au président Bouteflika et à Saïd, son frère conseiller.
Aymène, à peine 25 ans, a écrit sur sa pancarte : «Même dans le jargon musical 4+ = son du diable». Son message ne laisse personne indifférent. Il est au milieu d’un groupe d’étudiants qui prennent le départ vers le boulevard Hassiba Ben Bouali.
«Abrégez vos souffrances, partez», «Macron occupe-toi de ton pays, fous la paix à l’Algérie, 1830-2019, ça suffit», «Date de fabrication 28 avril 1999, date d’expiration 20 avril 2019, pouvoir illégitime», sont les principaux slogans de cette jeunesse.
Des grappes humaines, femmes, hommes et enfants, se déversent avec des pancartes immenses hissées bien haut. Les écrits sont révélateurs : «Finie l’ère du cachir», «Yaooo roho, andi chghol al djamaa al djaya» (Partez, j’ai une affaire à régler le vendredi prochain), «Régime dégage, nous garderons l’Etat», «Non à Bouteflika et à ses dérivés», «Matzidch dkika ya Bouteflika» (Pas une minute de plus Bouteflika), «Vous n’avez pas affaire à une opposition, mais à un peuple.
Un peuple ne s’oppose pas, mais s’impose», autant de messages qui reflètent la colère populaire, mais aussi le génie de la jeunesse algérienne qui use de l’humour pour détendre les situations les plus graves.
A la placette de la Grande-Poste, une marée humaine a déjà occupé les lieux, alors que d’imposants carrés de manifestants arrivaient encore de toutes parts. Il est 14h et l’ambiance est festive.
Des feux d’artifice sont allumés sous les applaudissements de la foule. Un groupe de jeunes hissant des pancartes avec des slogans contre la seule ministre, Nouria Benghebrit. «Dites Allah Akbar», et la foule répète en même temps, en ajoutant «Dawla islamiya».
Tout de suite, un autre groupe, plus nombreux crie : «Djazaïr horra, démocratiya» (Algérie, libre et démocratique). Visiblement, des militants islamistes ont tenté d’infiltrer la manifestation, qui se voulait pourtant pour une «Algérie, démocratique et indépendante».
Ces jeunes embusqués, comme les a qualifiés un des manifestants, ont voulu imposer leurs slogans, mais la foule les a vite étouffés avec des messages qui appellent à «une nouvelle République» et une Algérie démocratique.
La majorité des pancartes sont bien visibles et assez hautes pour être lues et immortalisées par les appareils photo et les caméras. «Tous ensemble pour la IIe République», «La rue ne se taira pas», «Nous renverserons votre système», «Il est temps de divorcer avec la farce, dégage», «Jamais je ne désespère, je débarrasserai le pays du mal», «Bedoui : nous avons entendu le message des jeunes, les jeunes : on veut que vous dégagiez, place aux jeunes», «Il est impossible de construire un navire avec du bois usé», «Microbe Le Drian, occupez-vous de vos morts, de Benalla, du déficit budgétaire, de vos djihadistes et du Brexit», lit-on sur les panneaux.
La foule est impressionnante. Des femmes et des enfants, enveloppés dans d’immenses drapeaux, crient : «Bouteflika pas de 5e mandat», ou encore : «Y en a marre de ce pouvoir». Coude-à-coude, on avance difficilement. Il est 15h30. La place Maurice Audin est maintenant bloquée. Plus personne ne peut bouger. On respire mal. Une vieille femme s’essouffle et un jeune perd connaissance.
On tente de les dégager de la foule, mais l’exercice est très difficile. On essaie de s’extirper de cet immobilisme. Les manifestants chantent, d’une seule voix, l’hymne national. Une file est improvisée, par des jeunes, au milieu de cette masse humaine, pour dégager un espace permettant aux femmes et aux enfants de se libérer.
Il est 16h passées. Le boulevard Didouche Mourad, commence à se libérer par les ruelles adjacentes. (Article El Watan, 16 mars 2019)
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