Grèce. Incendies et politique d’austérité. La solidarité populaire face à la morgue des dominants

Par Katerina Giannoulia
et Nicolas Kolytas

Les mêmes arguments sont prononcés chaque été. Les feux de forêt en Grèce sont une plaie chronique de la Grèce, charriant ses conséquences tragiques habituelles. La seule vérité est qu’il s’agit d’un drame humain et d’un désastre écologique immense.

L’ampleur du désastre

Les incendies à l’est de l’Attique ont été très importants. Selon le dénombrement officiel, il y a eu 81 morts [88 en date du 28 juillet] et au moins 60 blessés ainsi qu’un nombre inconnu de disparus. Toute l’Attique a été placée sous état d’urgence, plus de 1500 maisons ont été détruites par le feu, des dizaines de personnes ont été retenues et brûlées, des zones entières menacées de destruction, des camps d’enfants ont été évacués et la fourniture électrique a été interrompue dans une bonne partie de l’Attique. Les cendres et les fumées ont rendu l’air irrespirable dans le bassin de l’Attique alors que les vents soufflaient à plus de 7 sur l’échelle de Beaufort [soit des vents de 50 à 61 km/h].

Tout cela est arrivé lundi 23 juillet, un jour qui, selon les prévisions météorologiques, devait être l’un des plus chaud de l’été. Toute personne avertie pouvait envisager qu’un incendie (ou des incendies) pouvait partir, dans les conditions de cette journée, n’importe où.

Une telle situation est en effet délicate, mais le scénario la décrivant est connu à l’avance. Le gouvernement jette le doute sur quant à l’origine criminelle des incendies, rendant responsable des cercles clandestins opposés au gouvernement. L’opposition dominante souffle avec force à travers le porte-voix des médias qu’elle contrôle, condamnant le manque de préparation de l’appareil d’Etat. Les journalistes, selon qui sont leurs patrons, soit exagèrent l’effort héroïque de l’appareil d’Etat, soit exagèrent le désastre et engendrent la panique.

Un système entier est construit chaque année. Son but: tirer des profits politiques de la destruction par le feu de maisons, d’arbres, d’animaux et même de personnes. Il s’agit en fait d’une pièce de théâtre, mal jouée, mettant en scène les mêmes infâmes acteurs, qu’ils soient verts (PASOK), bleu (Nouvelle Démocratie) ou rose (Syriza). 

Qui est responsable de ce qui s’est passé?

Les responsabilités peuvent être établies clairement. Sont responsables tous ceux qui ont voté, ensemble, en faveur des divers mémorandums [d’austérité], les représentants politiques des spéculateurs et des entrepreneurs de l’immobilier, qui font des bénéfices sur les terres brûlées, ceux qui ont laissé à l’abandon et sans matériel adéquat les services du feu, alors même que des dépenses exorbitantes sont engagées dans le secteur de l’armement. Le gouvernement Syriza-Anel, (Anel: Grecs indépendants), une fois de plus, a laissé les gens, sans défense, face aux flammes.

Selon le dernier rapport de l’OTAN, la Grèce est le pays qui a consacré, après les Etats-Unis, la plus grande fraction du PIB aux dépenses liées aux systèmes d’armement (2,36%). Il s’agit donc d’un pays qui se situe au deuxième rang des membres de l’OTAN, en termes de dépenses d’armement: 4,2 milliards d’euros (!), alors qu’il n’a consacré que 11 millions de dollars pour le maintien à niveau des 12 avions de lutte contre le feu, type Canadair (bombardier d’eau). Et beaucoup moins pour la prévention, soit empêcher ou agir très vite contre les départs de feu. Voilà pourquoi, une fois de plus, la Grèce a demandé de l’aide à ses «partenaires» pour lutter contre le feu.

Dans un pays de l’occident «avancé», du capitalisme développé, dans un pays membre égal des puissants membres de l’UE et de l’OTAN, un phénomène naturel comme la pluie, le vent, la chaleur et le feu ne semble être affronté par l’Etat de l’ordre uniquement comme le produit de la colère divine, face à laquelle on ne peut que se résigner. Nous vivons dans un pays où une heure de vol d’un F-16 ou d’un Mirage 2000-5 coûte entre 10 et 15’000 euros, où le coût d’achat d’un seul de ces avions oscille entre 20 et 30 millions, sans parler des dépenses nécessaires à l’entretien, à la modernisation et à l’adaptation à divers systèmes d’armements. Nous vivons aussi dans un pays où la région de l’Attique a validé une provision de 27 millions d’euros à son budget pour les stades des clubs de football [lesquels sont souvent des machines à blanchir l’argent sale, corruption qui a trouvé son expression littéraire dans le roman noir de Pétros Márkaris, Défense béton (1998)].

Nous vivons dans un pays où, selon la déclaration récente du syndicat des travailleurs maritimes, PENEN, «le gouvernement a soumis le secteur critique de la lutte contre le feu aux restrictions des politiques budgétaires des mémorandums tout en restreignant la protection efficace des gens.»

Il convient de remarquer que les incendies de forêts sont un mode naturel de renouvellement et ne sont pas seulement le résultat d’activités criminelles, de plans obscures visant à attaquer le gouvernement ou encore de l’action de «Vent, le sombre général ennemi». Il s’agit d’une chose à laquelle il faut s’attendre, encore plus dans un contexte de changement climatique accéléré (même si cette réalité est contestée par… l’ami «diaboliquement bon» de Tsipras, Trump).

Le président du syndicat des officiers de pompiers, M. Yannis Stamoulis, a exposé toutes les problèmes auxquels fait face son département et a demandé que des mesures soient prises avant l’été, indiquant que «nous devons nous préparer à un été difficile, en prenant en considération le fait que le changement climatique produit désormais d’importants incendies de forêt, partout dans le monde, en Grèce également, ce d’autant plus qu’aucune mesure notable de lutte contre le feu n’a été prise, dans la gestion forestière par exemple. Nos forêts ont été abandonnées ces dernières années.»

Pour ce qui a trait à la gestion, conservation et protection des forêts grecques, il convient de noter que l’un des résultats des politiques de privatisation à outrance (appliquée aujourd’hui par le gouvernement Syriza-Anel) a consisté à en remettre le contrôle à des hommes d’affaires du secteur touristique, à leur «exploitation» à des fins résidentielles ou encore à une utilisation commerciale au profit de quelques individus à l’opposé des intérêts de l’ensemble de la société; ou, encore, les forêts sont laissées à leur sort, sans entretien. De fait, elles servent, en partie, de ressources publiques allouées au remboursement de la dette, servant de collatéral aux banques ou à une quelconque entreprise privée, ou en vue de l’achat d’équipements pharmaceutiques et médicaux exagérés par des entités privées.

La situation du secteur public de la sylviculture ainsi que de tout type de personnel ayant un lien avec les forêts est révélatrice. Sous l’ère des mémorandums (depuis 2010), leurs salaires ont été réduits de moitié! Le gouvernement Syriza s’est limité à l’annonce du recrutement de quelques membres du personnel du département forestier, nécessaires en particulier pour les mois dangereux d’été. Ces engagements (environ 300 forestiers et 4000 travailleurs) n’ont débuté qu’à la mi-juillet… et sans les moyens nécessaires à l’établissement et au maintien de coupe-feu ainsi que sans d’autres travaux nécessaires à la protection d’une forêt.

L’asymétrie des risques évoquée par les gouvernements grecs est autre: c’est celle, criante, entre, d’un côté, des dépenses engagées pour la satisfaction des besoins sociaux et, de l’autre, le financement du service de la dette, des banquiers et des entrepreneurs. Il s’agit d’une asymétrie de classe, et elle est plutôt impressionnante!

Les zones qui ont été dévastées par le feu n’ont pas été nettoyées, les pare-feu n’ont pas été entretenus, la lutte contre le feu était insuffisante pour faire face rapidement et simultanément à plusieurs incendies de forêt importants. De plus, la coordination entre les services permettant l’évacuation des zones était absente. Plus généralement, les forêts étaient laissées à l’abandon et aucun employé n’était désigné pour lancer l’alerte dès le début des incendies, qu’elles soient d’origine criminelle ou non. Les moyens «disponibles» pour lutter contre les incendies doivent être placés en dehors des politiques d’austérité ainsi que des priorités meurtrières aux profits capitalistes.

La solidarité des gens face à la vacance de l’Etat

La solidarité et l’aide mutuelle spontanée des gens au milieu de dévastations terribles sont émouvantes. Alors que le gouvernement et l’Etat sont incapables de satisfaire les besoins élémentaires des victimes, des milliers de personnes ordinaires manifestent concrètement leur solidarité. Dans des bâtiments publics, les gens ont commencé à s’auto-organiser pour collecter de l’eau, de la nourriture, des vêtements, des médicaments et tout type d’équipement nécessaire aux gens dans le besoin.

La plupart des structures de solidarité, à peine 24 heures après le début des incendies, ont lancé un appel aux gens pour leur demander de cesser de ravitailler les dépôts, ceux-ci étant déjà pleins. Des centaines de jeunes de toute la Grèce sont venus dans les zones incendiées et ont apporté leur aide, quotidiennement Ils ont été divisés en plusieurs groupes: entreposer de la nourriture, former des chaînes humaines pour vider rapidement les camions apportant de l’aide, la répartir auprès de ceux et celle qui en avaient besoin, porte à porte, avec leurs propres voitures.

En première ligne pour aider, les plus pauvres et les couches les plus vulnérables de la société, les migrants jouant un rôle notable dans les actions de solidarité. Il est significatif de noter que la communauté pakistanaise de Grèce a exprimé un soutien officiel aux victimes, par des déclarations et par l’envoi de plusieurs de leurs membres dans les zones affectées par les incendies. Des pêcheurs égyptiens ont sauvé des gens en mer, des Palestiniens et des Kurdes ont donné leur sang dans des hôpitaux, des Syriens se sont portés volontaires et des Roms ont distribué gratuitement des fruits et des légumes.

A l’opposé, les industriels et les armateurs ont brillé par leur absence, provoquant la colère de secteurs de la population. Alors que les «gens ordinaires» ont donné, et continuent à le faire, ce qu’ils pouvaient aux victimes, l’Association des industriels grecs envoie, par déclaration officielle, uniquement leurs… pensées affectueuses aux victimes. Au même moment, des représentants éminents de l’Eglise évoquent quelque punition divine, engendrant le mépris et les sarcasmes de la population.

Les partis et les organisations de gauche ont, dès le début, pris place aux côtés des victimes. Depuis de longues décennies, la gauche s’est élevée contre la criminelle responsabilité des gouvernements qui ont laissé les pompiers sans moyens adéquats pour agir et n’ont jamais pris de mesures efficaces de protections des forêts.

L’ampleur du désastre oblige toutefois à renforcer les liens avec les populations des zones affectées afin de créer des structures de solidarité et de mener des luttes dont l’objectif est de jeter les fondations d’un front politique unitaire, massif, à même de déterminer les responsabilités et à s’opposer au scandale d’un système qui laisse des gens brûler dans les flammes au nom des politiques des mémorandums et de l’austérité. (Article envoyé par les auteurs, traduction A L’Encontre)

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