Par Lea Patricia Guido
«Chères et chers ami·e·s,
Ce 19 juillet 2018 [1], Managua laisse apparaître un paysage de désolation et de solitude.
Les Ortega-Murillo fêtent leur 19 juillet 2018 sur une place, braillant un monologue sans perspective.
Avec une démagogie pleine d’hallucinations, le caudillo et son épouse délirent… [2]
Ils pensent que le ton de leur voix changera les idées, l’insurrection des consciences en faveur des Droits que les Nicaraguayens affirment depuis le 18 avril 2018.
Ils exploitent les souffrances d’une femme, qu’ils avaient oubliées pendant 39 ans, Amada Pineda, une femme paysanne violée dans les années 1970 par la garde de Somoza [3].
Aujourd’hui, ils se souviennent d’Amada, comme ils l’ont fait sans scrupule avec Víctor Tirado [4], ancien membre de la Direction nationale du FSLN dans les années 1980 du siècle passé. Ils ont profité de sa maladie pour le tromper et le présenter sur une estrade, il y a quelques semaines.
La mémoire des martyres pour la Liberté des Nicaraguayens, de tous les temps, est absente. Sur l’estrade seuls les ORMU [Ortega-Murillo] trouvent une place.
Benjamin Zeledón [1879-1912], Agusto Sandino [1895-1934], Carlos Fonseca [fondateur du FSLN: 1936-1976, assassiné par la dictature somoziste], Pedro Joaquin Chamorro [assassiné en 1978] et les héros d’avril 2018, se trouvent dans les foyers et les cœurs des Nicaraguayens, parce qu’ils n’ont rien à voir avec ORMU.
Sans hymne qui leur soit propre, ils volent et plagient tout. L’éthique et les rêves d’une nation sont absents.
Ils confectionnent des versions d’histoire sur un mode grotesque et théâtral…
Ils parlent de victoire, mais ils taisent qu’elle est remportée sur des adolescents et des adolescentes désarmées, violé·e·s, brûlé·e·s… Une atmosphère décadente où les invités d’honneur se limitaient au minimum du minimum.
Discours lamentables dans lesquels l’origine des problèmes du Nicaragua d’aujourd’hui ne trouve aucune place et où les crimes d’Ortega-Murillo ne sont pas mentionnés. Tout se résume à un discours fait de consignes et d’éloges adressés au caudillo, tels que le font les deux invités étrangers de Cuba et du Venezuela.
Une femme convulsive, l’épouse du caudillo, Rosario Murillo, lance des slogans anti-impériaux. Ils avaient été oubliés lors d’autres 19 juillet. On entend déclamer le nom de Tomás Borge [un des fondateurs du FSLN, 1930-2012], face à l’incapacité de nommer les 400 assassinés dans les campagnes et les villes au cours des mois d’avril, de mai, de juin et de juillet 2018. Au même titre, que les prisons clandestines, les disparu·e·s, les mutilés, les blessés…
Le caudillo parle de la Paix, celle des cimetières; de ressusciter son modèle de concubinage avec le néo-libéralisme et se lamente qu’il ait été interrompu.
Avec son ego endolori, il se revendique et se proclame le héros d’une victoire à la Pyrrhus. Il dénature les faits, nomme les ennemis et échauffe ses troupes en se référant à ses victimes qu’il reconnaît pour la première fois. Toutefois, le caudillo garde le silence sur les assassinats commis par ses paramilitaires. Il incite à la violence et à la haine avec la roublardise d’un mafieux.
Il qualifie l’opposition de terroriste et de bandes armées. Il prend soin de ne pas critiquer le «nord» [allusion à l’OEA, aux Etats-Unis], car il espère négocier!
Les hommes et femmes de tous les âges du Nicaragua restent dans leurs maisons, les portes fermées. C’est l’hommage et le respect, sous cette forme de résistance, exprimés à l’endroit de ceux qui sont tombés pour la Liberté et les Droits.
C’est l’hommage rendu aux martyr·e·s d’avant le 19 juillet 1979, ainsi qu’à ceux et à celles d’avril, mai, juin, juillet 2018.
Derrière ces portes fermées dans tout le Nicaragua, se construit entre sanglots et espoir l’avenir dans lequel il y aura de la place pour nous tous.
Il n’y a pas de juste cause sans Droits humains; il n’y a pas de Démocratie sans Droits; il n’y a pas d’Etat sans Démocratie pour toutes et tous; il n’y a pas d’Etat pour toutes et tous sans division des pouvoirs.
Seul le respect de ces principes permettra la paix. C’est pour cela que les hommes et les femmes ayant une dignité, nous disons: basta, comme Sandino! (Managua, 19 juillet 2018)
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[1] Le 19 juillet 2018, le binôme Ortega-Murillo a organisé la célébration du 39e anniversaire du «triomphe de la révolution sandiniste» de juillet 1979. Tous les bus de la capitale du Nicaragua avaient été mobilisés par le pouvoir afin de transporter les fonctionnaires et «leur base» sur la Plaza de la Fe. L’ensemble des chaînes de TV étaient contraintes de transmettre la «cérémonie» sans quoi la concession de leur canal pouvait leur être supprimée. Carlos F. Chamorro, une personnalité fort respectée aujourd’hui, ancien directeur du quotidien du FSLN Barricada, durant les années 1980, écrit à propos de ce 19 juillet 2018: «Ortega est entré sur la place sous la protection d’un déploiement de soldats d’élite de sa force d’occupation, composé d’une caravane de six camionnettes débordant d’agents qui exhibaient le canon de leur fusil, tandis que des douzaines de policiers antiémeutes, au pas de course, fusils sur la poitrine, escortaient sa Mercedes.»
Le seul mot d’ordre lancé durant ce rassemblement: «Que Daniel reste! Que Daniel reste!», en contre-chœur aux sommations d’une majorité populaire: «Qu’il s’en aille, de suite», «Qu’il dégage!» (Réd. A l’Encontre)
[2] Rosario Murillo dans son allocution a osé affirmer, avec grandiloquence, certes devant «sa base»: «Nous sommes un peuple digne, nous connaissons les Luttes et l’Honneur, et nous sommes un peuple fier d’un gouvernement chrétien, socialiste et solidaire, l’un des meilleurs sinon le meilleur gouvernement de tous les temps dans l’histoire du Nicaragua, avec la confirmation, comme l’a dit notre commandant Daniel, apportée par des chiffres, des statistiques qui n’ont été surpassés par aucun autre gouvernement. Et du jour au lendemain, les terroristes, les putschistes nous ont saisis, voulant détruire le pays, détruire l’économie et détruire le peuple, et détruire le moral du peuple… Les institutions pourront reconnaître les crimes, les crimes aberrants et diaboliques (….), parce que ces terroristes doivent payer pour la destruction de tant de vies, du pays, de l’infrastructure des institutions publiques.» (Rédaction A l’Encontre)
[3] Amada Pineda, qui était une paysanne du département de Mataglapa, fut arrêtée en octobre 1974 par une patrouille de la Garde nationale du dictateur Somoza et accusée d’organiser le syndicat paysan de la région et d’apporter une aide au FSLN. Elle fut torturée et violée à plusieurs reprises, face à des enfants, par les criminels de la Garde nationale. (Réd. A l’Encontre)
[4] Victor Tirado est né en janvier 1940 au Mexique. Il a rejoint le combat anti-dictatorial au Nicaragua; il participa à la tendance dite «Terceriste» («insurrectionaliste»). Il joua un rôle significatif dans l’unification des trois tendances en 1978. Il est reconnu comme un des Commandants de la Révolution en juillet 1979. Dans les années 1980, il effectua un travail visant à renforcer l’organisation paysanne «Union de Agricultores y Ganaderos (UNAG). Il prit ses distances, avec d’autres dirigeant·e·s historiques du FSLN opposant le sandinisme au «daniélisme», à «l’orteguisme».
Son fils, Andrés Tirado, a dénoncé la manipulation opérée par Ortega, profitant de l’état grave de santé de son père, pour le hisser sur l’estrade lors du 1er mai 2018, manifestation qui servit à dénoncer le mouvement social civique qui avait pris son essor dès le 18 avril. (Réd. A l’Encontre)
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Lea Patricia Guido a fait des études de sociologie à l’Université de Lausanne. Elle a participé aux réflexions et activités du courant marxiste-révolutionnaire (LMR), jusqu’à son retour dans son pays, début 1974. Elle rejoindra le FSLN et sera une des principales responsables de l’Asociación de Mujeres ante la Problemática Nacional (AMPRONAC). Durant l’insurrection, elle fut membre de la commission politique du FSLN à Managua. Elle occupera le ministère du Bien-être social, puis celui de la Santé. Par la suite, elle occupera des postes de responsabilité pour l’OMS en Amérique centrale et à Haïti. (Réd. A l’Encontre)
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Marcha DE QUE SE VAN SE VAN y MASAYA FLORECERÁS, llega a su destino.
Gepostet von Coordinadora Universitaria por la Democracia y la Justicia am Samstag, 21. Juli 2018
Vidéo de la Coordination universitaire pour la Démocratie et la Justice. Managua, 21 juillet 2018
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