Mardi dernier, 6 mars 2018, une manifestation unitaire contre le racisme et la xénophobie s’est tenue dans le quartier d’Oerlikon, dans la ville de Zurich. A l’appel du Mouvement pour le socialisme (MPS/BFS), quelque trois cents personnes se sont rassemblées pour dénoncer la plate-forme offerte par le journal de la droite néo-conservatrice Die Weltwoche à Steve Bannon, un politicien états-unien affichant ouvertement ses positions nationalistes, racistes et xénophobes, ayant dû être chassé il y a peu de l’entourage de Donald Trump.
Voici ce qui dit l’appel à manifester du Mouvement pour le socialisme (BFS), publié en langue allemande sur le site sozialismus.ch:
«Steve Bannon, un des publicistes ayant contribué à l’émergence du mouvement d’extrême-droite de l’Alt-Right aux Etats-Unis, a été invité en Suisse par le conseiller national UDC Roger Köppel, directeur de l’hebdomadaire intellectuel Die Weltwoche. Il s’en est suivi un large engouement dans les cercles de la droite en Suisse. Certains politiciens de l’UDC, chéris par les médias locaux et étrangers, sont apparemment fiers de contribuer, depuis la Suisse, à la mise en réseau de la droite radicale au niveau international.
Bannon, un raciste sans pareil
Bannon s’affiche ouvertement comme nationaliste [«populiste et catholique», selon sa déclaration au Corriere della Sera, du 4 mars 2018]. Il est fermement opposé à l’immigration et est considéré comme un des pères de l’interdiction d’entrée aux Etats-Unis promulguée contre les ressortissants de sept pays à majorité musulmane (le dit «Muslim Ban»). En tant que conseiller officiel de Donald Trump, il a joué entre janvier et août 2017 un rôle de premier plan à la Maison Blanche, assumant la fonction de directeur stratégique dans l’entourage immédiat du président. Ce qui a été, en outre, décisif pour Donald Trump, c’est que Steve Bannon représentait un lien direct avec sa base électorale. Il a rendu le futur président des Etats-Unis populaire auprès des franges droitières de la société, entre autres par l’intermédiaire du site raciste d’information en ligne Breitbart News. Breitbart News est considéré comme un supporter des «White Supremacists». Ce terme désigne des courants d’extrême-droite qui croient que la couleur de leur peau leur confère une «suprématie raciale» et que celle-ci doit être défendue activement. Bannon a donné un appui décisif à la campagne électorale de Trump en 2016 et a permis que les paroles de Trump contre les immigré·e·s et les droits des femmes atteignent les rangs de ses électeurs et électrices.
Le duo Bannon-Köppel
Dans ces conditions, il n’est guère surprenant que l’UDC et la Weltwoche, le journal à scandale – dans le sens de «dénonciations» tonitruantes – faisant, sous la direction de son rédacteur en chef Köppel, office de référence «théorique» pour la droite néoconservatrice, veuille à tout prix s’entretenir avec un raciste et misogyne militant comme Bannon.
Le duo Köppel-Bannon forme un tandem des plus harmonieux. En tant que journalistes, ils ont tous deux régulièrement attirer l’attention du public avec leurs textes racistes. Le portail d’information de Bannon fait l’objet de critiques pour ses déclarations antisémites. Car, lorsque dans les viviers de la droite se développe une rhétorique attaquant les prétendues élites et accusant la mondialisation de tous les maux, alors les préjugés antisémites ne sont pas loin. En outre, le site d’information Breitbart News ne recule devant la publication d’aucune information mensongère (Fake News).
Combattre le racisme: partout et tout le temps!
Devrait-on tolérer les conférences de personnes comme Bannon, alors que celui-ci représente quelque chose comme la figurine de proue du mouvement Alt-Right? Ou bien, pour poser la question autrement: doit-on traiter l’incitation à la haine raciale ainsi que les propos antisémites ou misogynes comme s’il s’agissait simplement d’une opinion légitime qui justifierait la mise à disposition d’une plate-forme publique? Nous pensons que non. Le fait que de tels points de vue soient défendus avec le pseudo-argument de la liberté d’expression garantie par l’état de droit, avec la conséquence qu’on leur accorde place et audience, nous est parfaitement insupportable. L’acceptation dont ces idées jouissent dans la société et en politique est déjà beaucoup trop élevée, sous l’impulsion de secteurs politico-médiatiques! Les fosses communes que sont devenues la Méditerranée et la frontière-sud des Etats-Unis, les violences quotidiennes subies par les femmes, le racisme toxique omniprésent le quotidien de la société et dans nos institutions, offrent assez de preuves. Tolérer les «opinions» de Steve Bannon signifie accepter cette violence.
Pour le Mouvement pour le socialisme (MPS/BFS), une chose est claire Steve Bannon est un raciste et un antisémite qui n’a rien à faire, à être accueilli avec, à Zurich ou en Suisse. Ses dires ne doivent recevoir aucune plate-forme, que ce soit dans ce pays ou ailleurs. Nous nous opposons fermement à la propagation de ses idées réactionnaires, racistes et misogynes. Le racisme, le sexisme, l’antisémitisme et le fascisme ne sont pas des opinions, ce sont des crimes!»
Selon la NZZ (Neue Zürcher Zeitung, édition en ligne du 7 mars 2018), Steve Bannon a rejoint Zurich depuis l’Italie, où il a salué la victoire des partis anti-establishment [ses liens avec Salvini de la Lega et Fratelli d’Italia ont été exposés dans la presse italienne], autrement dit l’extrême-droite. La Weltwoche lui a réservé mardi une prestation triomphale devant près de 1500 personnes dans la nouvelle salle de congrès «Halle 622» de Zurich-Oerlikon. Il a eu le loisir de présenter en long et en large ses idées relatives au nationalisme économique et aux politiques anti-immigré·e·s, visant entre autres les demandeurs d’asile. Devant un public composé essentiellement d’hommes, il a réitéré son admiration pour Donald Trump, bien que ce dernier ait rompu publiquement avec lui suite à la publication d’un livre de révélations sur l’entourage du président. L’élection de Trump serait, selon Bannon, l’expression d’une insurrection «populiste» contre les élites dont les victoires électorales du Mouvement 5 étoiles» et de la Lega en Italie seraient les signes avant-coureurs en Europe. La rhétorique de Bannon oppose, au sein d’un système binaire, l’establishment à ce qu’il appelle les «petites gens». Pour lui, l’establishment est composé d’une élite de banquiers, lobbyistes et trésoriers de partis politiques «sans patrie» qu’il taxe de «parti de Davos».
Dans l’univers mental de Bannon, l’Helvétie semble occuper une place privilégiée. La NZZ rapporte qu’il voit la Suisse comme un berceau de la révolte populiste, dans le sens où le non à l’EEE de 1992 aurait eu un effet de signal en Europe. Bannon n’a pas tari d’éloges envers l’UDC de Christoph Blocher qu’il voit comme «un Trump avant Trump». Après avoir évoqué les perches tendues à son hôte par Köppel, le journaliste de la NZZ se voit contraint de relever crtaines supercheries intellectuelles déployées par l’ancien patron de Breitbart News. Bannon veut mettre fin à l’humiliation des «petites gens» par les banques centrales, les gouvernements centralisateurs et les grandes entreprises avides de données en ayant recours aux crypto-monnaies. Sa conception complotiste de l’histoire en cycles réguliers lui fait prédire un grand bouleversement dans les vingt prochaines années face auquel l’Amérique aurait à se prémunir. Ce sont ce genre d’élucubrations qui font le succès de Bannon, comme celui de son hôte helvétique, et lui donnent une certaine légitimité auprès des cercles nationalistes et réactionnaires.
Dehors, devant la salle de conférences où Bannon déblatérait ses idées nauséabondes, des manifestants brandissaient des pancartes sur lesquelles on pouvait lire: «Bannon dégage! Köppel aussi!» Une journaliste de l’agence Keystone a relevé que l’action s’était déroulée dans le calme et que plusieurs discours ont dénoncé les idées représentées par Steve Bannon et Roger Koppel (Sankt-Galler Tagblatt du 6 mars). Une déclaration de solidarité avec la manifestation de Zurich, envoyée par des militant·e·s du groupe de Berkeley (Californie) de l’International Socialist Organisation (ISO), a été lue publiquement:
«Votre lutte contre la venue de Steve Bannon est une vraie expression de solidarité! Bannon, en tant que publiciste et ancien conseiller-en-chef de Trump, est un nationaliste belliqueux et un fondamentaliste chrétien. Il ne veut pas qu’on le désigne comme raciste, mais il apparaît clairement qu’il a encouragé l’émergence du mouvement composé de trolls [personnes propageant des messages violents sur internet] et de néonazis que l’on appelle Alt-Right aux Etats-Unis. Mais Bannon et le mouvement répugnant qu’il représente ont été submergés par une radicalisation parallèle au sein de la gauche américaine. Nous en avons fait la preuve lorsque nous avons organisé, le 27 août, le Bay Area Rally Against Hate, une action de protestation de milliers de salarié-e-s et d’étudiants. Cette mobilisation a permis d’infliger une défaite au mouvement Alt-Right lors d’un affrontement politique dans les rues de Berkeley, en Californie. Bien qu’il soit en position minoritaire, l’Alt-Right veut et peut employer la violence terroriste contre les organisations de la gauche et contre les opprimé·e·s en général. Ceci s’est déjà produit. Par exemple, le 12 août 2017, lorsque des centaines de néonazis ont manifesté à Charlottesville, en Virginie, et ont assassiné la militante antiraciste Heather Heyer. Cela traduit son caractère urgent à votre lutte contre la venue de Steve Bannon à Zurich et en fait un remarquable acte de solidarité avec nos propres combats.» (Texte du BFS/MPS rédigé le 9 mars 2018)
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