Le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, devait rendre sa copie au Conseil d’État la semaine dernière. Mais le projet de loi sur l’immigration qu’Emmanuel Macron voulait voir à l’Assemblée avant la fin de l’année tarde à se finaliser. D’abord annoncé pour le mois de janvier, c’est désormais au printemps qu’est censé fleurir ce texte considéré par beaucoup comme un poison. Et notamment par les associations à qui l’exécutif a présenté ses propositions ces dernières semaines. Résultat: elles sont vent debout contre le projet gouvernemental, qui ne prévoit aucune régularisation de sans-papiers, ni d’intervenir sur la question du délit de solidarité. Au contraire, c’est bien à une amplification des politiques répressives à l’égard des étrangers que travaille le gouvernement.
«Ça va au-delà de ce que préconisaient Charles Pasqua et Jean-Louis Debré, en leur temps», analyse Dominique Noguères, vice-présidente de la Ligue des droits de l’homme (LDH). «On dépasse toutes les lignes rouges», abonde Jean-Claude Mas, secrétaire général de la Cimade.
1- Le droit d’asile en voie de déconstruction
Emmanuel Macron et Gérard Collomb ont décidé de s’attaquer en premier lieu à l’asile. Le texte en préparation place Beauvau prévoit que le délai de traitement des demandes par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) soit revu à la baisse. «L’objectif du président est de les réduire à deux mois», indique dans le JDD (Journal du dimanche) le directeur de l’Ofpra, Pascal Brice, sans s’interdire de pointer «les difficultés sérieuses (…) qui doivent être résolues». À la suite d’un rejet de l’Ofpra, un réfugié n’aura plus que quinze jours pour formuler un recours devant la CNDA, contre un mois aujourd’hui. Dans le cadre de certaines procédures, le caractère suspensif de ce recours pourra même être levé, s’il y a un risque de trouble à l’ordre public, par exemple, ou si la personne est en provenance d’un pays jugé «sûr».
Le gouvernement souhaite, par ailleurs, réduire le nombre de demandeurs d’asile. Il pourrait atteindre les 95 000 personnes fin 2017, pour seulement 87 000 places d’hébergement prévues en 2019. Le texte en cours d’écriture propose donc une série d’autres mesures. Le membre d’une organisation reconnue comme terroriste par un pays de l’Union européenne (UE) ne pourra, par exemple, plus déposer de demande d’asile. L’exécutif veut également «appliquer la logique des accords de Dublin à des pays qui n’en sont pas signataires», explique Dominique Noguères. L’idée de Gérard Collomb est de créer une liste de pays de transit sûrs. «Une façon pour le gouvernement de se soustraire à son devoir d’accueil», commente le secrétaire général de la Cimade.
2 – L’enfermement et l’éloignement généralisés
Le principe est d’appliquer le plus strictement possible les accords de Dublin, qui prévoient de renvoyer un demandeur d’asile vers l’État de l’UE où il a été préalablement enregistré. Le ministre de l’Intérieur digère d’ailleurs très mal l’arrêt pris par la Cour de cassation, le 27 septembre dernier, censurant l’enfermement des « dublinés » en centre de rétention administrative (CRA). Estimant que le taux de « dublinés » dont la demande d’asile a été rejetée par un État de l’UE est de 75 %, le gouvernement entend créer les moyens législatifs pour les enfermer avant de les renvoyer. Un texte allant dans ce sens, porté par « les constructifs », a été adopté jeudi dernier par les députés. L’exécutif entend aller plus loin en créant des centres dédiés aux dublinés. «Ils veulent les enfermer avant même qu’une décision d’éloignement ait été prise, s’indigne Jean-Claude Mas. On tombe dans l’arbitraire.» La rétention devient l’outil privilégié du couple Macron-Collomb dans sa lutte contre l’immigration. Une personne pourra ainsi être enfermée quatre-vingt-dix jours en CRA, contre quarante-cinq aujourd’hui, et même jusqu’à cent dix jours dans certains cas. Deux cents nouvelles places seront créées. Et la vidéoconférence y deviendra obligatoire.
Gérard Collomd souhaite, en outre, qu’aucune nationalité ne reste inéloignable. Il est donc prêt à user de pressions et autres accords bilatéraux pour que les pays tiers délivrent plus rapidement leurs laissez-passer consulaires, lorsque la France souhaite expulser un de ses ressortissants. «Il ne s’agit plus seulement de récompenser les États qui acceptent de coopérer, mais de faire en sorte qu’ils n’aient pas les moyens de s’y opposer, par l’inclusion de la dimension migratoire dans tous les domaines de coopération (économique, commercial, politique ou militaire), y compris l’aide au développement», développe la Cimade.
3 – De nouveaux outils de contrôle déployés
Afin que personne n’échappe à la machine infernale que nos dirigeants sont en train d’élaborer, l’exécutif prévoit enfin de multiplier les outils de contrôle. La durée de la retenue pour vérification du droit au séjour, actuellement fixée à 16 heures, passera ainsi à 24 heures. Le Siao (Service intégré d’accueil et d’information) et l’Office français de l’immigration et de l’intégration devront également échanger leurs informations. Le principe d’inconditionnalité de l’hébergement risque de fait d’être remis en cause par le contrôle systématique de la situation administrative des bénéficiaires des centres d’hébergement d’urgence. «Des circulaires préfectorales demandant aux associations gestionnaires de collaborer ont déjà été émises, alerte Claire Rodier, du Gisti. On ne sait pas jusqu’où ira ce projet de loi, mais c’est très inquiétant.»
Cerise sur le gâteau, Gérard Collomb entend retirer à l’aide sociale à l’enfance la mission d’évaluation de l’âge des mineurs non accompagnés pour que l’État s’en charge seul. «C’est le signe d’une défiance à l’égard des services de la protection de l’enfance, et d’une suspicion envers tous les jeunes étrangers», conclut Dominique Noguères. (Article publié dans L’Humanité du 18 décembre 2017)
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«J’habiterai mon nom»
Par Jacques Munier
Instituée en l’an 2000, cette Journée internationale des migrants vient rappeler l’adoption de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. Aujourd’hui, 150 manifestations donneront le coup d’envoi officiel des Etats généraux de la migration, avec le secteur associatif qui pallie quotidiennement les insuffisances de l’Etat en matière d’hébergement et de nourriture, pour rappeler qu’il existe une France solidaire qui agit au nom des droits de l’homme et du respect de la dignité.
Dans Le Monde, des maires de grandes villes, dont Martine Aubry, Alain Juppé ou Roland Ries signent une tribune collective où ils «s’alarment de la pénurie de moyens mis à disposition par l’Etat pour accueillir les migrants». Car les villes sont en première ligne: «Intégrer celles et ceux reconnus réfugiés et venir en aide aux déboutés du droit d’asile qui malgré tout restent sur notre territoire est un enjeu majeur», rappellent les signataires, qui évoquent «la mise en place d’un réseau solidaire entre les villes de France et qui, en lien avec les réseaux existants, se consacre à cette question».
C’est que le chef de l’État lui-même, qui vantait pourtant durant la campagne l’accueil des réfugiés en citant l’Allemagne comme modèle, a adopté à cet égard une «ligne dure», celle de la «dissuasion migratoire». Maryline Baumard en décrit les effets: «A Calais, alors que la ville grelotte, les couvertures des 700 exilés sont jetées au gré des opérations policières, les abris détruits. A Paris, les petites toiles de tente des plus chanceux des 800 migrants vivant dans les rues ont été lacérées cette semaine. Dans ces deux départements, la consigne donnée aux forces de l’ordre d’éviter la reconstitution de campements efface toute autre considération.» Le ministère de l’intérieur va même jusqu’à «prendre la main sur l’hébergement d’urgence qu’il sait être une réserve de sans-papiers. Une circulaire, en date du 12 décembre, instaure la création de “brigades mobiles” envoyées pour contrôler les personnes hébergées dans les hôtels sociaux». La journaliste du Monde le souligne: «Jamais un gouvernement n’était allé aussi loin.»
Dans les pages idées de Libération, la romancière rwandaise Scholastique Mukasonga fait le récit de sa rencontre avec les migrants à Ouistreham. «Sous les capuches, on devine des visages noirs, jeunes, très jeunes, et ils marchent par deux, par trois, jamais plus, ils marchent, ils marchent… Ils regardent au loin, bien au-delà de l’horizon borné de la Manche… Et je me suis vue moi-même comme il y a quarante ans, marchant, marchant sans savoir où aller dans cette ville inconnue qu’était alors pour moi Bujumbura, la capitale du Burundi.» L’hiver est là, il souffle un vent glacial. Une dame âgée qui passe régulièrement voir les migrants s’insurge: «Pourquoi la municipalité n’ouvre-t-elle pas un de ses gymnases ?» Les habitants de Ouistreham, observe l’écrivaine, «du moins certains, ont plus de cœur que leur maire», qui ne veut pas que sa ville «devienne un nouveau Calais».
«J’ai reconnu dans ces jeunes, qu’ils soient chassés de chez eux par la guerre, la misère, la famine, une énergie inébranlable qu’on appelle l’espérance», nous dit aussi Scholastique Mukasonga
En dépit de tout et notamment la brutalité du démantèlement du camp de la «jungle», dont témoigne Émilie Grillet, de Médecins Sans Frontières, dans la dernière livraison de la revue transculturelle L’autre. «Un hangar, plusieurs files d’attente, deux propositions de ville en France, un choix, un bus et adieu Calais.» La psychologue clinicienne s’inquiète pour ses patients les plus fragiles et vulnérables, elle a organisé un suivi sans connaître leur destination. Et elle raconte ce lieu de consultation qui s’était improvisé dans la Jungle, où leur existence était reconnue. L’effet en retour aussi de leur récit de vie, consigné dans leur dossier, où ils se reconnaissaient avec émotion à travers la traduction.
Zeid Ra’ad Al Hussein, le Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, estime dans La Croix que «Plus qu’une crise des migrants, l’Europe traverse une crise d’identité et de ses politiques d’intégration.» Car selon lui, «le nombre des gens qui migrent reste très faible» et «les migrations seront de plus en plus Sud-Sud. Chacun sait que la solution serait d’ouvrir les canaux de migration légale et sécurisée et de combattre la xénophobie et l’intolérance.»
L’Humanité décrypte le projet de loi «immigration et asile», une série de mesures jugées inquiétantes par les associations, comme la «déconstruction du droit d’asile», « l’enfermement et l’éloignement généralisés», le contrôle des centres d’hébergement d’urgence: «Des circulaires préfectorales demandant aux associations gestionnaires de collaborer ont déjà été émises», alerte Claire Rodier, du Gisti. Dans le beau recueil intitulé Exil, Saint-John Perse rend hommage à la figure du migrant, avec cette réponse aux incessantes mises en demeure et vérifications auxquelles il est soumis: «J’habiterai mon nom». (France Culture, 18 décembre 2017, 6h40)
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