Venezuela. «Non à l’Assemblée nationale constituante! Abstention et vote nul!»

Conférence de presse de la Pate-forme démocratique pour la défense de la Constitution de 1999

Par la Plate-forme civique pour la défense de la Constitution

Les organisations et membres individuels de la Plate-forme civique pour la défense de la Constitution ont publié une déclaration rejetant l’Assemblée nationale constituante [ANC– proposée par le gouvernement Maduro et par son mentor Diosdado Cabello, militaire, ex-président de l’Assemblée nationale] et appellent la population à l’abstention ou au vite nul (blanc) pour ceux et celles qui sont contraints de participer au vote référendaire.

Cliver Alcalá Cordones (voir note 2)

Avec la signature des anciens ministres Navarro Héctor [1], Oly Millán Campos, Ana Elisa Osorio et Gustavo Márquez, des professeurs d’université Edgardo Lander, Esteban Emilio Mosonyi, Santiago Arconada, du constitutionnaliste Freddy Gutiérrez, du général Cliver Alcalá Cordones [2] et les dirigeants de Marea socialista Gonzalo Gómez, Juan García et Roberto Lopez Sanchez, entre autres, a été publié un document qui proclame: «Non à l’Assemblée nationale constituante! Abstention ou vote nul!»

La Plate-forme qualifie la convocation du scrutin pour la constitution de l’ANC comme une usurpation de la part du Président Maduro et, au même titre, elle rejette la politique de la direction de la MUD (Table de l’Unité démocratique), «visant à la construction d’une fracture institutionnelle par la création d’un gouvernement et un Etat parallèle ayant le soutien de Washington…».

Le document énonce en 8 points les motifs du rejet qui selon les signataires fait (voir ci-dessous) constitue des violations de la Constitution de 1999 et représente une usurpation du pouvoir détenu, à l’origine, par le peuple vénézuélien.

Les signataires ont expliqué dans le texte complet une série de délits auxquels serait mêlé le président, cela alors qu’ils démontent les arguments avancés par Maduro pour justifier le vote en faveur de l’ANC.

Ils mettent garde que, simultanément, en maintenant cette orientation pour l’ANC se ferment toutes possibilités de dialogue et que ne restera que la voie de la violence pour résoudre le conflit actuel. Ci-dessous, le texte intégral de la déclaration. (Communiqué de la presse)

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Pas d’Assemblée nationale constituante! Abstention ou Vote nul!

La Plate-forme civique pour la défense de la Constitution s’est prononcée contre l’appel du CNE (Conseil national électoral) pour la tenue d’un vote, le dimanche 30 juillet 2017, en faveur de présumés motifs au sujet d’une dite Assemblée nationale constituante (ANC) convoqué de manière usurpatoire par le président Maduro.

En outre, bien que ce ne soit pas le but principal de ce document, nous réitérons notre rejet de la politique de la direction du MUD visant à générer une fracture institutionnelle par la mise en place d’un gouvernement et d’un Etat parallèle ayant le soutien de Washington, avec toutes les conséquences que cela implique. Se placer en dehors de la Constitution de 1999 va susciter encore plus de violence et faire obstacle à une solution constitutionnelle et pacifique à la crise.

Nous parlons d’usurpation parce que l’art. 347 de la Constitution attribue au peuple du Venezuela, et seulement à lui, en tant que dépositaire du pouvoir constituant initial, l’autorité de convoquer une Assemblée nationale constituante avec la capacité de transformer l’Etat et de créer un nouvel ordre juridique ainsi que de rédiger une nouvelle Constitution.

Convoquer une Assemblée nationale constituante relève de la prérogative exclusive du peuple du Venezuela dans son ensemble, consulté par référendum. Le Président du Conseil des ministres, les 2/3 de l’Assemblée nationale et 15% de personnes enregistrées sur du Registre électoral permanent (REP), selon l’art. 348 de la Constitution, peuvent prendre l’initiative d’appeler le référendum. Ce qu’ils ne peuvent pas faire est de l’ignorer. Voilà l’usurpation que nous dénonçons et dont se rend coupable le Président Maduro.

Nous sommes conscients que la raison véritable pour ne pas organiser un scrutin référendaire réside dans le simple fait que le gouvernement sait qu’il perdrait de manière écrasante.

Le délit d’usurpation dans le procès d’appel de convocation du scrutin pour une ANC est traduit par l’indignation face aux «secteurs sociaux de la vie sociale, politique et économique» qui formeront la base du «corps électoral» [le 23 mai 2017, Maduro a indiqué que la «constituante originale» comportera 537 élu·e·s constituants, selon le Décret 2830]. Tout d’abord, il y a surreprésentation des municipalités dont la population est plus petite et une sous-représentation de la population des municipalités les plus peuplées. La violation des principes constitutionnels de la représentation proportionnelle (articles 63 et 293 de la Constitution) et l’égalité entre tous les citoyens/citoyennes (un citoyen, un vote), les voix des habitant·e·s des municipalités où le gouvernement croit qu’il dispose d’un soutien électoral supérieur [les carnets d’alimentation sont plus contrôlés, ainsi que les emplois publics] valent beaucoup plus que les voix des habitants des grands centres urbains, où résident la plupart des habitants du pays et où le rejet du gouvernement est plus fort. Selon le dernier recensement de la population nationale de 2011, dix municipalités (10) avec la plus forte population comptaient une population de 8’354’071 habitants, ce qui représente 32% de la population totale: Distrito Capital, Maracaibo, Valencia, Caroni, Iribarren, Sucre, San Francisco, Maturin, et Girardot Simón Bolívar (Barcelona). Selon les modalités trompeuses dont sont constituées ces «circonscriptions électorales» [«bases comiciales»], ces dix (10) municipalités comptent seulement 22 représentants régionaux à l’Assemblée constituante. Il en découle une représentation de seulement 6,0% des électeurs/électrices choisis sur une base territoriale [d’autres critères existent pour la formation du corps électoral].

En revanche, les 212 municipalités ayant une population de moins de 50’000 habitants – qui ensemble réunissent une population beaucoup plus petite que la population des dix municipalités les plus peuplées – comptent  212 membres élus territorialement, soit 58% de tous les membres de l’ANC élus territorialement. Par exemple, la municipalité Simón Rodríguez dans l’Etat de Tachira, qui comporte 2445 habitants, va «choisir» un représentant, tandis que le district de la capitale pourra élire un représentant pour 277’700 habitants (sept représentants pour 1’943’901 habitants).

Le nombre de représentant·e·s de chaque Etat a peu à voir avec sa population. Les Etats de Tachira et Falcon sont les Etats avec le plus grand nombre de représentants (30 et 26 respectivement). Sept Etats (Anzoategui, Aragua, Bolivar, Carabobo, Lara Miranda et Zulia et le district de la capitale) disposent d’une population plus importante que ces deux Etats, et ils ont moins de représentants. La population de l’Etat Zulia est environ quatre fois supérieure à celle de l’Etat Falcon, mais a droit à moins de représentants. L’Etat de Tachira avec une population de 1’168’908 habitants a droit à 30 représentant·e·s tandis que le district de la capitale avec 1’943’901 habitants aura seulement sept représentants.

Selon le décret présidentiel portant création des «bases comiciales» pour l’élection de l’ANC, le corps constituant est sélectionné pour représenter chacun des domaines suivants: 1.- les travailleurs; 2.- les agriculteurs, les pêcheurs et 3.- les étudiants. S’ajoutent: 4.- les personnes handicapées; 5.- les Peuples indigènes; 6.- les retraité·e·s; 7.- les hommes/femmes d’affaires, 8.- les Communes et conseils communaux.

Il est également établi que pour chaque quatre-vingt-trois mille (83’000) électeurs/électrices inscrites sur le Registre électoral un représentant sectoriel sera élu (Décret n ° 2878 du 23 mai 2017). Le CNE a annoncé qu’il y aura un total de 173 représentants sectoriels. Cela définit arbitrairement un ensemble de 14’359’000 électeurs admissibles à participer à l’élection des représentant·e·s sectoriels, laissant en dehors de la représentation sectorielle quelque cinq millions d’électeurs/électrices du pays. Ce qui viole le principe fondamental de l’égalité consacrée par la Constitution. De cette façon, sont définis des citoyens de première classe, qui pourront voter deux fois (vote territorial et vote sectoriel). Et environ cinq millions de citoyens/citoyennes de seconde classe qui pourront voter une seule fois (vote territorial).

Les listes électorales correspondant à chacun des secteurs qui ont été définis selon les «bases comiciales». Les membres de ces secteurs n’ont pas été consultés, il n’y a pas de contrôle externe sur l’établissement de ces listes. Selon le CNE, «le Conseil national électoral demandera les registres des secteurs aux institutions officielles, aux syndicats et aux associations dûment établies» (Résolution du 7 juin 2017). La plupart de ces listes sont contrôlées directement par le gouvernement ou par des associations corporatives ou des organisations privées.

Du point de vue d’une sortie de la crise profonde de la société vénézuélienne, c’est une Constituante inutile. Les principaux problèmes qui se posent actuellement à la population (l’insécurité, les pénuries de nourriture et de médicaments de base, l’inflation, la violence) ne sont pas des problèmes d’origine légale et constitutionnelle. Le gouvernement détient maintenant tous les instruments juridiques et les pouvoirs de l’Etat pour faire face à la crise, entre autres à travers les politiques publiques. Ce n’est pas par constitutionnalisation des Missions [organisant une aide médicale ou autre] et des CLAP (Comité locaux d’approvisionnement et de production) que seront résolus les problèmes d’insécurité, les pénuries et l’inflation [les estimations diffèrent, mais les 1660% semblent vraisemblables pour 2017; elle était évaluée à 720% en avril et l’estimation n’a cessé de suivre la pente ascendante].

Il n’y a aucune garantie que les résultats du scrutin à l’Assemblée nationale constituante seront soumis à l’examen de la population du Venezuela, comme cela s’est produit avec la Constitution de 1999. La garantie de cet examen n’est pas envisagée dans le Décret qui convoque le scrutin pour l’Assemblée nationale constituante (décret n° 2830, mai 2017), au même titre que le décret fixant les «bases comiciales» (décret n°2878 du 23 mai 2017). La seule chose qui existe dans ce sens est une exhortation non contraignante «pour les membres élus à l’Assemblée nationale constituante selon laquelle le projet de Constitution qui sera rédigé par cette dernière soit soumis à un référendum populaire d’homologation [d’approbation] selon les conditions prévues à l’article 70 de la Constitution de la République bolivarienne», une procédure indiquée dans une résolution de la CNE (7 juin 2017). Ce qui n’engage en rien l’Assemblée nationale constituante. Dans les mains de cette assemblée, élue sur une base contraire à la Constitution, reposeront des pouvoirs supra constitutionnels de décider si elle organise ou non un référendum pour approuver la nouvelle Constitution.

Il est donc possible que quel que soit le taux de participation au scrutin du 30 juillet, les résultats de cette Constituante seront imposés à la société dans son ensemble, sans consulter la population vénézuélienne.

Il est peu vraisemblable que l’un des objectifs de l’Assemblée constituante réside dans «l’exigence du caractère multiculturel du pays». Cela lorsque, après 18 ans de processus bolivarien, les droits des peuples autochtones – droits clairement indiqués dans la Constitution de 1999 – n’ont pas été concrétisés et qu’aucun progrès n’a été accompli au regard de la principale revendication de ces peuples: la reconnaissance et la démarcation de leurs territoires [ce qui possède une importance particulière au moment où sont mis en œuvre des projets «industriels» extractifs: mines, pétrole, gaz, or, etc.].

On ne peut pas s’attendre à ce que l’Assemblée nationale constituante contribue à «la préservation de la vie sur la planète, en lui donnant un caractère constitutionnel, avec des droits souverains plus spécifiques ayant trait à la protection de notre biodiversité et au développement d’une culture écologique dans notre société». Il existe un large éventail de normes juridiques pour la protection de l’environnement; elles ont été systématiquement violées par l’Etat. Ce qui est nécessaire n’est pas la création de nouvelles normes et règlements, mais simplement que soit concrétisé ce qui est établi dans la Constitution de 1999 et les lois qui en découlent.

Le gouvernement a annoncé à plusieurs reprises que ce serait une Assemblée nationale constituante ayant les pleins pouvoirs. Selon Elías Jaua, Président de la Commission présidentielle pour l’Assemblée constituante, elle serait «supra constitutionnelle, originale et tous les organes de la puissance publique sont subordonnés à cette assemblée…». Diosdado Cabello a déclaré qu’il «n’y aura aucune instance aucun pouvoir constitué qui pourra s’opposer aux décisions prises de manière souveraine» par l’Assemblée nationale constituante. Cela signifie qu’à partir du moment où l’Assemblée nationale constituante a été installée, elle va concentrer tous les pouvoirs de l’Etat. En fait, depuis ce moment serait abrogée la Constitution de 1999 avec tous ses droits et ses garanties et sera établi un régime qui ne pourra être qualifié que d’autoritaire dans la mesure il concentrera tout le pouvoir dans une seule instance qui sera loin d’être représentative de l’ensemble de la société. Cette dite ANC est un pouvoir dérivé [du pouvoir du parti-Etat]. Il n’est pas représentatif du pouvoir original qui réside dans le peuple et ne peut être transféré (art. 5 de la Constitution de 1999).

Le gouvernement a réagi à la crise en raison de la chute des prix du pétrole et à l’incapacité de poursuivre avec le même degré de dépendance aux hydrocarbures, en optant pour une exploitation minière massive, soit un modèle extractiviste, encore plus prédateur. Avec le lancement du dit Arco Minero del Orinoco, qui incorpore 112’000 kilomètres carrés du territoire national, il a ouvert la voie à une exploitation des ressources par les grandes sociétés minières transnationales. Le gouvernement attend l’arrivée accélérée dans le pays d’importants volumes d’investissement [IDE]. Toutefois, dans la mesure où les décisions ayant trait à l’Arco Minero ont été prises en violation flagrante de la Constitution, des principales lois environnementales et de celles concernant le droit du travail ainsi que les droits des peuples autochtones, les transnationales considèrent qu’il existe un manque de sécurité juridique indispensable avant d’effectuer des investissements considérables et rentables seulement à moyen et à long terme. Ne se pourrait-il pas que l’un des principaux objectifs de l’Assemblée nationale constituante – ce qui expliquerait la précipitation du processus de sa convocation – soit précisément de garantir la sécurité juridique pour les transnationales qui l’exigent?

En plus de sa nature non constitutionnelle, il y a eu un abus systématique du pouvoir par le gouvernement Maduro, consistant à imposer, par tous les moyens, le projet de l’Assemblée nationale constituante. Cela a fonctionné principalement de deux manières. Tout d’abord, par l’utilisation écrasante de la propagande des médias d’Etat pour valoriser ce scrutin et refuser l’expression à des opinions critiques. En second lieu, il y a eu une offensive soutenue prenant la forme de chantage visant les employés de l’Etat et des entreprises publiques [qui sont relativement nombreux: quelque 2,4 millions], ainsi que les bénéficiaires des programmes des missions et de CLAP, en les menaçant de la perte de leur emploi ou des «avantages» dont ils disposent, comme si l’Etat et les ressources attribuées aux programmes sociaux étaient la propriété privée du PSUV (Parti Socialiste Unifié du Venezuela) et des sommets du gouvernement.

Le Président Maduro et d’autres porte-parole du gouvernement ont fait valoir que cette paix constituante et le dialogue sont demandés. Rien ne pouvait être plus éloigné de la vérité. Avec une Constituante illégitime et un Parti unique pourraient se fermer toutes les possibilités de dialogue et de négociation, ce qui pourrait aboutir à ce que la violence paraisse comme la seule alternative pour traiter les différences profondes qui existent aujourd’hui au sein de la société vénézuélienne.

Ce sont les raisons pour lesquelles nous appelons toutes les personnes qui le peuvent à s’abstenir de voter et à exprimer ainsi leur rejet pur et simple d’une usurpation de la souveraineté populaire et des violations de la Constitution qu’illustre la mise en place «des Bases Comiciales». Ceux et celles que leur situation particulière oblige à participer au scrutin, nous les appelons à voter nul en vue de délégitimer, de manière énergique, la suffisance consistant à parler de «fête démocratique» pour faire accepter cette politique d’usurpation

Plate-forme civique pour la défense de la Constitution.
(Texte publié, entre autres, sur le site Aporea.org, le 25 juillet 2017;
établi à Caracas, le 25 juillet 2017; traduction A l’Encontre)

La Plate-forme civique pour la défense de la Constitution: Navarro Héctor, Oly Millán Campos, Esteban Emilio Mosonyi, Edgardo Lander, Ana Elisa Osorio, Gustavo Marquez Marin, Santiago Arconada, Freddy Gutiérrez Trejo, Cliver Alcalá Cordons, Gonzalo Gómez, Carlos Carcione, Juan García, Roberto López Sánchez.

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[1] Depuis février 1999, Héctor Navarro est membre du premier gouvernement de Hugo Chavez Frias, nommé par ce dernier ministre de l’Education et de la Culture, puis il a occupé d’autres charges, comme la production d’électricité. Il fut écarté de son poste de direction du PSUV (Parti Socialiste Unifié du Venezuela) le 24 juin de 2014 pour avoir défendu son ancien camarade Jorge Giordani, membre de la première équipe gouvernementale et ayant eu des responsabilités à la planification, mais s’était risqué à émettre des critiques au gouvernement.

La liste des fonctions des autres signataires confirme leur engagement dans la tentative bonapartiste de «révolution citoyenne» fondée sur la rente pétrolière. (Réd. A l’Encontre)

[2] Il participa à la tentative de coup de 1992, aux côtés de Chavez. Il fut commandant de la Région de la défense intégrale de Guyana jusqu’en 2013, lorsqu’il quitta l’armée et se fit défenseur de la Constitution vénézuélienne – datant de 1999 et issue de l’Assemblée convoquée à cet effet en 1998 – que Nicolas Maduro veut changer par l’appel à la nouvelle Assemblée constituante. (Réd. A l’Encontre)

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