Le président chinois Xi Jinping, qui veut à tout prix éviter une crise financière à l’approche d’un remaniement majeur de la direction du Parti communiste [XIXe Congrès du PCC en octobre-novembre 2017], semble décidé à faire le ménage dans son système bancaire. Quitte à se faire des ennemis puissants, en bousculant certaines des entreprises les plus emblématiques du pays aux structures réputées opaques.
Les autorités s’inquiètent des risques pris par les banques nationales pour accompagner la frénésie de rachats à l’étranger des grands groupes chinois, qui a atteint des sommets l’an dernier. La commission de régulation bancaire (CRBC) leur a demandé de fournir des informations détaillées sur les prêts accordés aux sociétés les plus boulimiques, ont rapporté des journaux anglo-saxons. Et ce dans un contexte d’envolée de la dette publique et privée chinoise (plus de 260% du PIB), de gonflement des créances douteuses et d’émergence d’une «finance de l’ombre» échappant à tout contrôle.
En lançant cette enquête, Xi Jinping resserre la bride à des milliardaires flamboyants, à l’appétit insatiable et bénéficiant généralement de connexions politiques de très haut niveau. Le régulateur financier a en effet dans le collimateur cinq groupes de poids: Wanda – dont le patron, Wang Jianlin, était l’homme le plus riche de Chine en 2016; Anbang, le troisième assureur chinois; HNA-Group [en 2016 a acquis pour 6 milliards Ingram Micro, très grande firme active dans la vente mondiale d’informatique à des grossists, la même année acquisition de Carlson: Radisson, Park Plaza, soit 1400 hôtels, et encore 63% du suisse Gategroup (restauration aérienne), etc.; Fosun International [qui a une politique d’acquisition dans le monde entier, même accélérée après les difficultés, en décembre 2015, de son patron ultra-milliardaire Guo Guangchang]; le rachat du club de football du Milan AC [de Berlusconi] par un groupe d’investisseur pour 740 millions d’euros, soit le groupe chinois Rossoneri Sport Investment Lux, Milan AC aura dès lors comme président Li Yonghong, un homme «d’affaires» connu].
Tous sont devenus de gigantesques conglomérats, à grands coups d’acquisitions spectaculaires. HNA a annoncé pour plus de 30 milliards de dollars de rachats depuis l’an dernier, selon les calculs de l’agence Bloomberg, incluant une prise de participation dans les hôtels Hilton ou une montée au capital de la Deutsche Bank.
Risques systémiques
De son côté, Wanda, qui a démarré dans l’immobilier, a dépensé plus de 10 milliards de dollars depuis 2016 pour transformer son groupe en un géant mondial du divertissement, mettant notamment la main sur le studio de cinéma américain Legendary, producteur de Jurassic World ou Batman. Quant à Fosun, qui contrôle le Club Med et détient des parts dans le Cirque du Soleil, il a aussi racheté pour plusieurs milliards d’actifs à l’étranger.
Au total, les fusions et acquisitions réalisées par des entreprises chinoises hors de leurs frontières ont bondi de 246% l’an dernier, dépassant les 221 milliards de dollars, selon le cabinet PWC [Price WaterhouseCooper]. Pékin avait déjà commencé à restreindre les acquisitions à l’étranger depuis la fin de l’année dernière, afin de limiter la fuite des capitaux, qui pèse sur la monnaie chinoise. Du fait du blocage du pouvoir central, de nombreuses opérations ne se sont pas concrétisées, comme le rachat par Wanda de Dick Clark, la société de production des Golden Globes.
Les autorités s’inquiètent des «risques systémiques» posés par les grands groupes, a reconnu Zhiqing Liu, directeur adjoint de la CRBC. Elles cibleraient les rachats dans l’immobilier, les hôtels, le divertissement et les clubs de sport. Les banques doivent soumettre leur évaluation des risques potentiels et préciser les mesures mises en place pour les limiter. Ces établissements pourraient se retrouver dans l’embarras, tant les institutions financières chinoises sont enclines à contourner les règles de crédit par des montages et des produits financiers complexes.
La révélation de cette enquête intervient une semaine après la suspension des fonctions du patron d’Anbang, dans le but de l’interroger. Les autorités s’intéresseraient aux sources de financement des acquisitions de l’assureur et de possibles manipulations de cours, selon certains médias. Plus globalement, Pékin souhaite aussi probablement éviter que de grands groupes lancés dans des opérations hasardeuses ne fassent faillite, menaçant la survie de sociétés étrangères rachetées. Un scénario noir qui serait catastrophique pour l’image de la Chine. (Article publié dans Le Figaro daté du 24 au 24 juin 2017; les ajouts entre [ ] sont de la rédaction de A l’Encontre)
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