Par Andrew Beatty et Ivan Couronne
Donald Trump a dénoncé jeudi une «chasse aux sorcières» face aux appels à la démission de son procureur général dans l’affaire des contacts supposés de ce dernier et d’autres fidèles alliés avec des proches du Kremlin pendant la campagne électorale américaine.
Soutien de la première heure au Sénat du président républicain, dont il a inspiré la politique anti-immigration, le procureur général Jeff Sessions a reconnu avoir rencontré l’ambassadeur russe aux Etats-Unis à deux reprises l’année dernière, en contradiction apparente avec des déclarations récentes.
«Jeff Sessions est un honnête homme», a écrit Donald Trump dans un communiqué jeudi soir, au terme d’une journée agitée par cette affaire au Capitole et dans les médias américains. Il l’avait plus tôt assuré de sa confiance «totale».
Donald Trump reconnaît toutefois que son procureur général aurait pu répondre «plus précisément» lorsqu’une commission parlementaire l’a interrogé sur ses éventuels contacts avec des responsables russes.
Jeff Sessions is an honest man. He did not say anything wrong. He could have stated his response more accurately, but it was clearly not….
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) March 3, 2017
Jeff Sessions a en effet plus tard admis avoir eu de tels contacts pendant la campagne mais en sa qualité de sénateur et non de représentant de la campagne de Donald Trump. «Mais ce n’était clairement pas intentionnel», poursuit le président. «Il n’a rien dit de faux.»
«Toute cette histoire est une façon de ne pas perdre la face pour les démocrates qui ont perdu une élection que tout le monde pensait qu’ils devaient gagner», accuse encore Donald Trump, assurant que l’opposition a «perdu le sens de la réalité».
«La véritable histoire, c’est toutes les fuites illégales d’informations classées et d’autres informations. C’est une véritable chasse aux sorcières!», conclut-il.
A coups de fuites et révélations, Donald Trump ne parvient pas à mettre un terme à cette affaire russe, qui l’a déjà conduit à se séparer de son conseiller à la sécurité nationale, Michael Flynn, le 13 février.
Un nombre croissant de parlementaires de l’opposition démocrate mais aussi de la majorité républicaine appelaient à ce que «l’Attorney General» s’exclue de lui-même de l’enquête conduite par le FBI sur la campagne de piratage et de désinformation attribuée à Moscou.
L’existence de cette enquête, rapportée par de multiples journaux américains, n’a pas été confirmée officiellement.
«Parjure»
Lors d’une conférence de presse, Jeff Sessions a finalement annoncé jeudi, le 2 février, qu’il se récusait dans toute enquête sur la campagne. Et il a expliqué que c’était son rôle de sénateur de rencontrer des diplomates et qu’il avait parlé de «choses normales» avec l’ambassadeur russe, disant ne pas se souvenir si le sujet de l’élection avait été abordé.
Cette affaire à tiroirs alimente les soupçons sur le rapprochement envisagé par le nouveau locataire de la Maison Blanche avec Vladimir Poutine.
Sous l’administration Obama, Washington a accusé Moscou d’avoir mené en 2016 une campagne d’influence pour tenter de discréditer Hillary Clinton et aider son adversaire républicain.
Donald Trump a nié à plusieurs reprises toute collusion, bien que l’enquête ait mis en évidence des contacts entre des membres de son équipe et des proches du Kremlin, selon plusieurs médias.
L’ambassadeur Sergueï Kisliak semble avoir assidûment cherché à nouer des liens avec le premier cercle du républicain avant et après l’élection.
En attestent les rencontres avec Jeff Sessions en juillet et septembre, des coups de fil avec Michael Flynn en décembre 2016, ainsi qu’une visite le même mois à la Trump Tower à New York, lors de laquelle il a également rencontré le gendre du président, Jared Kushner, selon le New Yorker – un rendez-vous confirmé par la Maison-Blanche.
A l’inverse, ni l’ambassadeur ni aucun autre responsable russe n’ont rencontré de membre de l’équipe de campagne d’Hillary Clinton, a confirmé à l’AFP le porte-parole de celle-ci.
La récusation de Jeff Sessions ne suffira pas aux démocrates, qui continuaient d’appeler à sa démission après sa conférence de presse en l’accusant de mensonge, voire de parjure. Ils réclament également la nomination d’un procureur indépendant pour faire toute la lumière sur les ingérences russes et d’éventuelles collusions politiques américaines.
Politiquement, ce nouvel épisode place Donald Trump sur la défensive, au moment où il veut engager un train de réformes.
Des membres de la majorité n’hésitent plus à demander, eux aussi, la nomination d’un procureur indépendant ou «spécial». C’est un magistrat similaire qui avait été nommé sous la présidence de Bill Clinton pour enquêter sur l’affaire immobilière Whitewater [investissement effectué par Bill et Hillary Clinton dans une firme du nom de Whitewater Development Corporation qui fit faillite; «affaire» pour laquelle Bill Clinton, finalement, n’a pas été condamné; le procureur, alors, avait pour nom: Kenneth Starr; en mai 2016, ce dernier a été démis de son poste de président de l’université Baylor, université privée baptiste et fort conservatrice pour «manquements caractérisés» suite à des accusations d’agressions sexuelles de la part des membres de son équipe de football américain].
Ces investigations avaient donné naissance à l’affaire Monica Lewinsky et conduit à la mise en accusation du président démocrate par la Chambre des représentants en 1998. (Article paru dans le quotidien du Québec La Presse, en date du 2 mars 2017, mis en ligne à 22h30)
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Etats-Unis. Jeff Sessions accusé de «parjure»
Par Frédéric Autran
Jeff Sessions subira-t-il le même sort que Michael Flynn ? Le mois dernier, le conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump avait été poussé à la démission pour avoir menti sur le contenu de ses échanges téléphoniques avec l’ambassadeur russe à Washington. Pilier de l’équipe Trump, le ministre de la Justice est quant à lui accusé d’avoir menti lors de son audition au Sénat – ce qu’il nie catégoriquement. Ces dernières révélations relancent la polémique sur l’ingérence présumée de la Russie dans l’élection de Donald Trump. Pour tenter d’éteindre l’incendie, Jeff Sessions a décidé de se récuser de toute enquête liée à la campagne.
Que reproche-t-on
à Jeff Sessions?
Au cœur de cette affaire, il y a ce dialogue, le 10 janvier au Sénat, lors de l’audition de confirmation de Jeff Sessions au poste de ministre de la Justice. Le sénateur démocrate Al Franken l’interroge : «S’il y a des preuves que quelqu’un affilié à la campagne Trump a communiqué avec le gouvernement russe au cours de la campagne, que feriez-vous?». Réponse de Jeff Sessions : «Sénateur Franken, je ne suis au courant d’aucune de ces activités. J’ai été appelé une fois ou deux à prendre part à cette campagne et je n’ai pas eu de communications avec les Russes».
Mercredi soir, le Washington Post a pourtant révélé que Jeff Sessions, alors sénateur de l’Alabama, avait rencontré à deux reprises l’ambassadeur de Russie aux Etats-Unis, Sergueï Kislyak, en juillet puis en septembre 2016. Côté démocrate, beaucoup accusent Jeff Sessions d’avoir sciemment menti sous serment lors de son audition, ce qui constituerait un acte de parjure. Juridiquement, le mensonge intentionnel sera toutefois très difficile à prouver. Ironie de l’histoire : en 1999, Jeff Sessions avait qualifié le parjure de «crime grave» et voté pour la destitution de Bill Clinton, qui en était accusé.
Avait-il le droit de rencontrer un ambassadeur étranger?
Absolument. La première rencontre, en juillet, a d’ailleurs eu lieu lors d’un événement réunissant une cinquantaine d’ambassadeurs étrangers, en marge de la convention républicaine à Cleveland. L’événement était co-organisé par le département d’Etat et un think-tank conservateur. A l’issue de l’intervention de Jeff Sessions, plusieurs dignitaires l’auraient approché, y compris le représentant de la Russie. La seconde rencontre interpelle davantage. En septembre, le sénateur de l’Alabama a reçu en tête-à-tête l’ambassadeur russe dans son bureau du Capitole, à Washington. On ignore la teneur de leur conversation, mais une certitude : sa tenue était totalement légale.
Quelle est sa ligne de défense?
Elle est simple : d’après Sessions, la question de son collègue Al Franken portait sur les possibles contacts entre la Russie et l’équipe de Trump, pas sur son travail de sénateur. Ses deux rencontres avec l’ambassadeur russe, au cours desquelles il assure n’avoir «jamais discuté de la campagne», n’étaient donc pas pertinentes. «Il n’y avait absolument rien de trompeur à propos de sa réponse», assurait dès mercredi soir sa porte-parole. Précisant au passage que le sénateur Sessions a eu l’an dernier plus de 25 conversations avec des ambassadeurs étrangers en tant que membre influent de la commission des forces armées au Sénat.
Quelles conséquences?
Même s’il assure n’avoir rien à se reprocher, Jeff Sessions a tout de même rapidement cédé à l’intense pression suscitée par cette affaire. «J’ai maintenant décidé de me récuser de toute enquête en cours ou à venir qui concernerait la campagne présidentielle américaine», a-t-il annoncé jeudi soir lors d’une conférence de presse. Ce faisant, il accède à la demande de nombreux élus, y compris de son propre camp, qui le sommaient de se dessaisir des enquêtes concernant l’ingérence russe dans la campagne. «Le ministre Sessions doit clarifier sa déclaration et se récuser», déclarait par exemple l’élu de l’Utah, Jason Chaffetz. Si cette décision rapide devrait en partie éteindre la fronde, notamment chez les républicains, nombre de démocrates pourraient maintenir la pression. Certains réclament la nomination d’un «procureur spécial», indépendant du ministère de la Justice et de la Maison Blanche.
Enfin, de nombreux démocrates, dont les chefs de l’opposition au Congrès et Bernie Sanders, réclament carrément le départ de Jeff Sessions. «Le département de la Justice doit être au-dessus de tout reproche. Pour le bien du pays, le ministre Sessions doit démissionner», a déclaré le chef de la minorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer. «Après avoir menti sous serment au Congrès au sujet de ses contacts avec les Russes, le ministre de la Justice doit démissions», a déclaré de son côté Nancy Pelosi, chef de file des démocrates à la Chambre des représentants.
Que dit la Maison Blanche ?
Donald Trump a assuré jeudi avoir une confiance «totale» dans son ministre de la Justice, premier sénateur à lui avoir apporté son soutien lors de la campagne des primaires républicaines. Lors d’une visite à bord d’un porte-avions, jeudi en Virginie, le président a laconiquement ajouté qu’il n’était «pas au courant» des contacts entre l’ambassadeur russe et Jeff Sessions et que ce dernier avait «probablement» répondu honnêtement aux sénateurs lors de son audition.
Sous couvert d’anonymat, des responsables de la Maison Blanche se sont montrés plus loquaces, dénonçant une fausse polémique visant à affaiblir le président. «C’est la dernière attaque en date contre l’administration Trump par des démocrates partisans. Le ministre Sessions a rencontré l’ambassadeur en tant que membre de la commission des forces armées du Sénat, ce qui est entièrement cohérent avec son témoignage», a assuré l’un d’eux à la chaîne CNN. «Ce n’est pas une surprise, ajoute cet officiel, que cette histoire surgisse immédiatement après le discours réussi du président Trump à la nation». De fait, le timing de ces nouvelles révélations a de quoi interpeller. Après un discours effectivement réussi [dans le ton], mardi 28 février devant le Congrès, Donald Trump semblait pour la première fois être en mesure de faire oublier les débuts chaotiques de sa présidence. L’affaire Sessions replonge son administration dans la tempête.
Où en sont les enquêtes sur le rôle de la Russie?
Premières à se pencher sur le sujet, les agences américaines de renseignement ont conclu que la Russie avait mis sur pied une vaste opération visant à discréditer Hillary Clinton, notamment via le piratage et la diffusion des emails du parti démocrate et de son directeur de campagne. En janvier, dans un rapport transmis à l’époque au président Obama et au président-élu Trump, ces mêmes agences ont indiqué que Vladimir Poutine avait autorisé lui-même cette opération.
Depuis plusieurs mois, le FBI enquête sur cette interférence présumée, notamment sur les possibles liens entre responsables russes et membres de l’équipe Trump. L’avancée et l’ampleur des investigations demeurent inconnues, au grand dam des démocrates qui montrent des signes d’impatience. Jeudi, le directeur du FBI, James Comey, a témoigné à huis clos devant la commission du renseignement de la Chambre des représentants. A l’issue des discussions, le démocrate Adam Schiff a accusé James Comey de cacher certaines informations cruciales. «Afin de mener notre enquête de manière approfondie et crédible, nous allons avoir besoin que le FBI coopère pleinement», a-t-il martelé, ajoutant que Comey «n’y était pas disposé pour le moment».
Au Congrès, trois commissions du Sénat et une commission de la Chambre ont lancé des enquêtes sur différents aspects de l’affaire russe. La dernière en date a été approuvée mercredi soir, mais les démocrates redoutent que les républicains – qui contrôlent ces commissions – ne cherchent à étouffer l’affaire pour protéger le président. Ils réclament la création d’une commission spéciale, comme celle qui avait été mise sur pied par les républicains pour enquêter sur l’attaque de l’ambassade américaine à Benghazi, à l’époque où Hillary Clinton était secrétaire d’Etat. (Publié dans Libération en date du 3 mars 2017)
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Jeff Sessions se récuse 24 heures après les révélations
Par Grégoire Pourtier
Aux Etats-Unis, la journée du 2 février a été marquée par les révélations concernant le ministre de la Justice Jeff Sessions. Ce très proche de Donald Trump a en effet eu par deux fois des relations directes avec l’ambassadeur russe à Washington durant la campagne présidentielle. Or, Moscou est accusé par les agences de renseignement américaines d’avoir manœuvré pour favoriser l’élection de Donald Trump. Et Jeff Sessions avait assuré ne pas avoir été en contact avec des officiels russes lors de son audition devant le Sénat. En milieu d’après-midi, il a dû se récuser de toute enquête concernant la campagne électorale de Donald Trump.
Jeff Sessions ne veut surtout pas que sa mise en retrait soit considérée comme un aveu de culpabilité. Mais de fait, il devenait impossible pour le nouveau ministre de la Justice de continuer à superviser une enquête dans laquelle son nom est désormais cité.
Une heure auparavant, Donald Trump avait pourtant affirmé à des journalistes qu’il lui maintenait sa confiance, et avait benoîtement estimé qu’il n’était pas nécessaire qu’il prenne ses distances avec les investigations en cours.
Le président américain avait ainsi soutenu la ligne de défense de son proche conseiller, qui assure avoir témoigné de bonne foi devant le Sénat alors qu’il lui a caché ses entretiens avec l’ambassadeur russe en juillet et septembre dernier.
Dire, aujourd’hui, que les discussions ne concernaient pas l’élection présidentielle américaine mais qu’il agissait alors en tant que sénateur membre de la commission des forces armées n’a donc toutefois pas été suffisant.
Car l’implication de la Russie durant la campagne électorale est une accusation trop grave pour qu’un doute puisse subsister sur la sérénité et l’impartialité de l’investigation, et les pressions se sont donc multipliées toute la journée. Si l’opposition démocrate a carrément réclamé la démission ou le limogeage du ministre de la Justice, certains élus républicains ont quant à eux demandé à ce que Jeff Sessions se récuse de l’enquête, ce qu’il a donc fait moins de 24h après que l’affaire a été révélée. (RFI, mis en ligne le 3 mars 2017 à 8h57)
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