Les élections dans le Land de Berlin (élections régionales) confirment des tendances lourdes apparues lors de celles qui se sont déroulées dans le Land de Mecklenburg-Vorpommern (Mecklembourg-Poméranie-Occidentale) deux semaines avant [voir à ce sujet l’article publié sur ce site en date du 5 septembre].
Avant tout, l’AfD (Alternative für Deutschland, l’Alternative pour l’Allemagne) – le parti de droite extrême et d’extrême droite – se présentait pour la première fois dans ce Land. Il obtient 14, 2% des voix. C’est beaucoup dans une grande ville. Les partis établis sont, dorénavant, qualifiés «d’anciens – d’ex-partis populaires» («ehemalige Volksparteien») dans les grands médias. [L’AfD siège dans les assemblées de dix des seize Länder.]
En effet, le SPD social-démocrate, comme parti majoritaire, n’a obtenu que 21,6% des voix. Il a perdu 6,7 points de pourcentage par rapport aux élections de 2011. La CDU chrétienne-conservatrice (Union chrétienne-démocrate d’Allemagne) arrive à hauteur de 17,6%, un recul de 5,7 points de pourcentage. Die Linke, le parti de gauche, obtient 15,6% des suffrages et gagne 3,9 points de pourcentage comparé à 2011. Les Verts, eux, obtiennent 15,2% des voix et perdent 2,4 points. Le FDP libéral (Freie Demokratische Partei), avec 6,7% des voix, passe cette fois-ci la barrière des 5%; en 2011 il avait échoué avec un résultat de 1,8%. Les Pirates perdent beaucoup de voix – 7,2 points de pourcentage – et ne réunissent que 1,7% des suffrages.
En 2011, le taux de participation se situait à 60.2%. Cette fois, il atteint le 66,9%. C’est bien l’AfD qui a mobilisé la grande majorité des abstentionnistes de 2011. En 2016, 2,5 millions de personnes disposaient du droit de vote; presque 1,7 million ont voté. L’AfD a pu mobiliser 69’000 personnes parmi celles qui n’avaient pas participé aux élections en 2011. Elle a pris 39’000 électrices et électeurs à la CDU et 24’000 au SPD, ainsi que 12’000 au parti Die Linke et également 12’000 aux Pirates, mais seulement 4000 au parti des Verts.
Il faut ajouter que le SPD a pu reconquérir 53’000 électrices et électeurs qui avaient boudé les urnes en 2011; la CDU 34’000 et les Verts 22’000. Mais, parmi celles et ceux qui avaient voté en 2011, des dizaines de milliers se sont abstenus: 46’000 d’entre eux avaient donné leur suffrage au SPD, 31’000 à la CDU, 24’000 aux Verts et 22’000 aux Pirates. Toutefois, 24’000 électrices et électeurs ayant voté pour le parti des Pirates en 2011 (sur 255’000) ont opté ce mois de septembre 2016 pour Die Linke. Le FDP a surtout profité d’électrices et d’électeurs –31’000 – qui avaient manifesté leur préférence pour la CDU en 2011.
Pour le gouvernement du Land de Berlin il est clair que la «grande coalition» du SPD avec la CDU ne pourra pas être reconduite. Le plus probable semble être une coalition dite «rouge-rouge-verte», sous direction du SPD avec comme partenaires juniors Die Linke et les Verts.
Bernd Riexinger et Katja Kipping, les porte-parole du parti Die Linke, se réjouissent du résultat des élections en faisant remarquer qu’on peut tenir tête aux assauts de l’extrême droite en mettant l’accent sur les thèmes sociaux et en argumentant contre les démagogies nationalistes et racistes. En même temps, ils parlent d’un signal donné pour l’échéance des élections fédérales de 2017: une majorité «de gauche» formée par le SPD, les Verts et le parti Die Linke, selon eux, pourrait être possible.
Il est vrai que Gregor Gysi, qui avait renoncé à ses fonctions de dirigeant de la fraction de Die Linke au Bundestag (Parlement fédéral), est revenu, en vedette, sur la scène politique lors de la campagne électorale de Berlin afin d’annoncer son retour au premier plan dans la direction de son parti. Son idée forte réside justement dans la perspective d’une «majorité de gauche» au niveau fédéral. Une «majorité» au sein de laquelle le parti Die Linke co-gouvernerait avec le SPD et les Verts. Mais à quel prix? Ne faudra-t-il pas participer aux guerres d’intervention? Ne faudra-t-il pas accepter la discipline budgétaire «d’acier» et donc accepter les politiques d’austérité au détriment des salarié·e·s et des sans-emploi?
L’AfD d’extrême droite déclare ne pas vouloir co-gouverner avec des partis établis qui ne veulent pas réaliser ses revendications principales, surtout les mesures draconiennes contre les réfugié·e·s. Le parti Die Linke serait avisé de répondre avec une clarté symétrique qu’il n’est pas d’accord de co-gouverner avec des forces politiques qui ne sont pas prêtes à mettre en œuvre des mesures anticapitalistes visant à obtenir une redistribution «équitable» des richesses produites par les salarié·e·s et des revenus.
Dans le débat public en Allemagne, les résultats des élections régionales de Mecklenburg-Vorpommern et de Berlin sont avant tout perçus comme un défi lancé à la politique de la chancelière Angela Merkel face à «l’arrivée» des réfugié·e·s. Sous cette pression, Angela Merkel a déclaré «avoir compris». Il faut donc s’attendre à de mesures plus dures contre les réfugié·e·s en Allemagne et contre ceux et celles qui veulent gagner l’Union européenne et l’Allemagne.
Pour les forces de gauche en Europe, le défi est de taille. Il faut à tout prix développer des initiatives en vue d’actions solidaires par-delà les frontières pour unir les luttes des salarié·e·s, des sans-emploi, des démunis, qu’ils soient indigènes ou pas. C’est la seule possibilité pour combattre de manière efficace l’extrême droite et le grand capital. (20 septembre 2016)
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Manuel Kellner est rédacteur de la Sozialistische Zeitung (S0Z)
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