Par un militant du syndicat CWA
La grève chez l’opérateur téléphonique Verizon – anciennement Bell Atlantic Corporation et, aujourd’hui, numéro un aux Etats-Unis – est l’une des plus grandes batailles menées depuis de nombreuses années dans le monde du travail aux Etats-Unis. Un salarié de Verizon, membre du Communications Workers of America (CWA), le plus important syndicat américain des médias et de la communication affilié à l’AFL-CIO, explique l’importance et les difficultés de cette lutte. Il l’a fait sur le site socialistworker.org. (Rédaction)
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Le message de VERIZON COMMUNICATIONS est clair: ils ne sont pas intéressés à négocier, mais seulement à obtenir le maximum de concessions de la part des syndicats.
Environ 45’000 membres du syndicat Communication Workers of America (CWA) et du syndicat International Brotherhood of Electrical Workers (IBEW) sont, depuis le Massachusetts jusqu’en Virginie, sur les piquets de grève organisés après que la convention collective liant les syndicats avec le géant des télécommunications a expiré le 7 août 2011 à minuit.
C’est une lutte autour de la question de la convention collective et non de l’argent. Si l’on se base sur les chiffres disponibles à ce jour, les revenus de Verizon sont estimés pour cette année à plus de 108 milliards de dollars. Les profits nets étaient, l’année passée, de 6 milliards de dollars. Les cinq exécutifs au sommet de Verizon reçoivent à eux seuls des primes se montant à 258 millions de dollars pour les quatre dernières années.
Les exigences de la compagnie – qui n’ont pas changé depuis le début des négociations en juin – videraient de son contenu le pouvoir syndical dans la compagnie, en laminant l’assurance-maladie, les retraites, le paiement des jours de maladie, le paiement des heures supplémentaires et la sécurité de l’emploi.
Verizon veut que les membres du syndicat paient 25% des primes de leur assurance-maladie à travers une contribution déductible des impôts qui remplacerait le système de financement actuel pour lequel les employé·e·s ne paient rien. Verizon cherche aussi à affaiblir la capacité de la CWA et de l’IBEW de défendre leurs membres.
«En fait, ils veulent se débarrasser de notre syndicat», dit Melissa, une déléguée syndicale de CWA Local 1101 [section locale] présente sur le piquet de grève devant le siège central de Verizon dans le Lower Manhattan. Elle souligne: «Le nouveau chef de Verizon, qui autrefois dirigeait AT&T, vient du Texas. Il ne veut pas de syndicat dans l’entreprise.»
Les grévistes sont des techniciens et des employés du service clientèle de la division du réseau câblé de Verizon qui alimente Internet et des réseaux téléphoniques câblés dans tout le pays. Pour ce qui est de l’immense division du sans-fil, c’est presque un désert syndical.
La lutte est justement nommée le Wisconsin du secteur privé – en référence à l’épreuve de force qui a eu lieu au début de l’année lorsque le gouverneur du Wisconsin Scott Walker s’en était pris à des droits des employés du secteur public garantis par leurs contrats collectifs. [Voir les nombreux articles à ce sujet sur ce site.]
Selon la propagande de la compagnie, certains techniciens gagneraient plus de 100’000 dollars par an en plus de diverses primes d’intéressement, mais la réalité est que beaucoup d’employés payés à l’heure ne pourraient atteindre ce niveau qu’en faisant massivement des heures supplémentaires. Le salaire de base le plus haut est de 77’000 dollars par année, ce qui ne correspond de loin pas à la hausse des profits, et une majorité des techniciens gagnent beaucoup moins.
«Le chef se fait 55’000 dollars par jour, mais ils s’attendent à ce que ce soit nous qui perdions, alors que beaucoup d’entre nous ne gagnent même pas 55’000 dollars par an», affirme un autre employé en grève à Manhattan.
Il en va dans cette lutte du pouvoir qu’ont les syndicats de protéger les emplois. Derrière l’attaque de Verizon, il y a la même logique que dans l’assaut mené contre les travailleurs du secteur public. Les dirigeants politiques à travers les Etats-Unis essaient de monter les contribuables contre les travailleurs et travailleuses du secteur public en prétendant que les crises du budget de l’Etat ]au plan des Etats et au plan fédéral, comme dans les municipalités] sont le résultat des énormes salaires et retraites des enseignants et des pompiers.
De la même manière, le management de Verizon veut monter les uns contre les autres les travailleurs syndiqués et non-syndiqués de la compagnie, en faisant croire que nos «avantages» se font sur le dos des non-organisés et en ne parlant surtout pas de leurs profits gargantuesques. Ironiquement, Verizon est une des nombreuses entreprises géantes américaines qui a réussi à trouver la combine pour ne payer aucun impôt sur les deux dernières années – contribuant ainsi lourdement aux déficits du gouvernement à tous les niveaux.
Les salarié·e·s qui travaillent encore dans le réseau de communication par fibre bénéficie des fruits de décennies de luttes syndicales – pas de primes à payer pour la couverture maladie, des retraites à primauté de rente, donc qui sont versées indépendamment des hauts et des bas de la Bourse et une sécurité de l’emploi presque inattaquable pour ceux qui ont été engagés avant 2004.
Mais ce secteur de salariés ne représente actuellement plus que le 30% des employés de Verizon. La majorité de ces derniers sont non syndiqués, des travailleurs précaires avec des salaires et autres avantages très inférieurs.
C’est la situation qui règne partout dans l’industrie. Les dirigeants syndicaux et politiques ont eux-mêmes diffusé ces discours selon lesquels aucun groupe de travailleurs ne devrait bénéficier de «privilèges» spéciaux tels qu’une retraite sûre par exemple. Et ils sont en train d’essayer de tirer avantage du fait que la grande crise que nous vivons a déjà détruit les moyens d’existence de tant de gens [en juillet plus de 21 millions de personnes sont sans-emploi ou en situation de sous.emploi selon l’étude de l’Economic Policy Institute]. Mais c’est de la pure hypocrisie quand l’on considère que le patron précédent de Verizon, Ivan Seidenberg, a ramené chez lui l’année passée plus de 81 millions de dollars.
La lutte de Verizon, qui est la plus grande bataille du mouvement ouvrier des dernières années, pourrait stimuler fortement le sentiment que les travailleurs ont déjà assez donné et qu’ils doivent reprendre la lutte là où elle est restée l’hiver passé au Wisconsin.
Mais nous sommes partis pour une rude bataille. Le syndicat n’a plus l’influence qu’il avait encore lors du dernier round de négociations en 2009, lorsque Verizon était encore en train de construire son réseau de fibre optique. Au lieu de faire la grève à ce moment-là, quand la situation était en faveur du syndicat, nous avons accepté de travailler sans convention collective et avons fait des concessions qui n’étaient pas nécessaires. L’amertume ressentie à ce propos conduit beaucoup de membres du syndicat à penser que cette fois nous devons faire la grève jusqu’à ce que nous gagnions.
On ne sait encore si la compagnie accepterait ou non un retour au travail qui ne soit pas une reddition totale. Tous les indicateurs portent à penser que Verizon veut nous faire avaler des concessions massives tout en mettant en faillite le CWA et l’IBEW et en démoralisant leurs membres. La direction de Verizon a déjà fait venir à New York City des employés non-syndiqués d’autres états pour passer outre les piquets de grève et elle met en place des équipes pour transférer les appels vers des centres d’appel non-organisés syndicalement.
A la lumière de la position agressive de la compagnie, l’annonce par la direction du CWA selon laquelle elle est prête à retourner immédiatement à la table de négociation à condition que Verizon retire sa proposition du type «tout ou rien» est déconcertante. Le syndicat se trouve dans une position de faiblesse sur un grand nombre de points – les sections locales de l’IBEW n’ont pas de fonds de grève et de nombreux membres ne gagnent pas assez pour avoir les économies leur permettant de faire une grève longue. Mais recommencer à travailler sans disposer d’une convention collective après s’être mis en grève rendrait de plus difficile toute bataille contre la politique des concessions [des directions syndicales face au patronat].
Si le CWA et l’IBEW veulent réussir à capitaliser malgré la très forte amertume contre les pouvoirs syndical et politique que la bataille du Wisconsin a mise en lumière, ils conduire une lutte publique, militante et venant de la base qui relie la lutte des autres salariés à la nôtre. Cela demandera des piquets de grève qui soient plus que symboliques et qui obtiennent le soutien actif d’autres syndicats. Cela exigera également que les syndicats sortent de leurs confortables salles de conférence dans de beaux hôtels et des tribunaux des prud’hommes et qu’ils retournent dans la rue.
Les premiers jours du piquet ont montré que l’énergie et la colère sont là. Il est maintenant temps de s’organiser pour le long terme. (Traduction A l’Encontre)
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