Par Pablo Stefanoni
Les élections du 25 octobre 2015 en Argentine ont abouti à des résultats en apparence contradictoires: elles ont mis en piste pour la présidence un front dominé par un front de centre droite (Mauricio Macri) dans un contexte national dans lequel le sens commun de centre gauche (exprimé de façon biaisé par le kirchnérisme) est loin de s’être évaporé [voir sur ce site l’article de Yamila Iphais Fuxman publié sur ce site en date du 31 octobre 2015.
On peut dire que c’est parce que Mauricio Macri avait déjà assuré le vote de droite qu’il est sorti chercher celui des progressistes, mais l’activisme exagéré dont il a fait preuve pour tenter de se défaire de sa réputation de néolibéral et de privatisateur – et pour éviter la démagogie de la main dure (sécuritaire) – semble montrer que les votes qu’il a recueillis ne sont pas associés à une droitisation de l’électorat.
C’est ainsi que Gabriela Michetti (candidate à la vice-présidence aux côtés de Macri) affirme qu’ils n’avaient pas privatisé et ne privatiseraient jamais rien; qu’elle s’était trompée en votant contre le mariage pour tous, que les procès contre les acteurs de la répression se poursuivraient, etc.
Quand à Mauricio Marci, il se laisse prendre en photo avec Félix Diaz [représentant des peuples autochtones], que la présidente Cristina Fernandez de Kirchner avait décidé de ne jamais inviter . En outre, il cache ses économistes les plus connotés néolibéraux pour mettre en avant les «développementistes» [desarrollo: développement conçu dans les années 1950 au moyen de la substitution d’importations par des investissements industriels] ou les «keynésiens».
Pour terminer, Jaime Duran Barba [conseiller en images politiques, d’origine équatorienne, qui a mené une campagne douteuse contre le Front pour la Victoire de Daniel Scioli] a accusé la Présidente de transformer le changement en un grand vide construit sur une profonde fatigue par rapport à l’officialisme (péronisme) et sur la totale absence de vision de l’avenir dans le discours des partisans de Danel Scioli. Une continuité dans le changement (incluant le kirschnérisme-antikirchnérisme en tant que variable centrale) a permis au front PRO-UCR (l’alliance présidée par Macri; l’alliance électorale PRO a été créée en 2007) de vaincre les résistances d’un secteur de l’électorat face à Macri [fils d’industriel et fort riche].
Mais, en ce qui concerne la province de Buenos Aires, le profil de Maria Eugenia Vidal [née en 1973 ; vice-maire de la capitale et élue le 25 octobre gouverneur de la Province de Buenos Aires] a donné à la joute électorale un sens additionnel, dans la mesure où elle est vue comme une bataille entre les gens normaux (comme elle) et la caste (les barons péronistes – et les mâles – du Conurbano-de la périphérie). Jeune mère, dynamique et de classe moyenne, intelligente, femme normale ayant un discours sensé, une sensibilité sociale et des vêtements simples, Vidal est une parfaite représentante de l’image post-politique (ou de la politique sans conflit) que transmet le front PRO. Une image de «proximité» qui s’oppose, à plusieurs égards, à celle de Cristina Kirchner – riche, isolée dans le pouvoir, prétentieuse, etc. Sans compter qu’elle est également une anti Miguel Del Sel [une des figures du PRO qui fait dans la démagogie]. A cela il faut ajouter une projection efficace d’une gestion (surestimée) de la ville de Buenos Aires.
Dans ce contexte, l’argument de la «gauche kirchnériste» ou philo-kirchnériste selon laquelle l’élection du 22 novembre 2015 [second tour entre Macri et Scioli] serait comparable au ballottage français de 2002 entre Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen de l’ultra-droite (dans lequel la gauche française a voté avec le nez bouché pour Chirac) n’est pas très pertinent.
Fondamentalement parce que la majorité des dirigeants du PRO ressemblent très peu à Le Pen et pourraient plutôt être comparés à la droite de Chirac. L’argument selon lequel le PRO serait la droite organique, alors que le «sciolisme» conserverait un lien avec les intérêts populaires est également plus que difficile. Tout d’abord c’est le même argument qui a été utilisé pour soutenir Carlos Menem en 1989. On pourrait argumenter, a contrario, que lorsque c’est le péronisme qui fait l’ajustement structurel il est généralement plus efficace que le non-péronisme pour contrôler la situation socio-politique et battre ceux qui protestent que le «non-péronisme».
Cela dit, Cambiemos (le bloc de Macri) est dominé par le centre droit. Une possible victoire aura des conséquences dans divers secteurs de l’Etat et dans la politique régionale (les provinces de l’Etat fédéral]. Il est évident que le PRO est un parti ayant une ouverte sensibilité pro-patronale qui combine des liens avec, d’une part, un catholicisme ouvert aux nouveaux courants spirituels et au bénévolat et, d’autre part, avec des think tanks libéraux et des réseaux internationaux de centre droit ou de droite, en plus de mettre en action des images de modernité politique (voir à ce sujet le livre Mundo Pro. Anatomia de un partido fabricado para ganar, de G. Vommaro, S. Morresi et A. Belotti, Ed. Planeta, 2015).
Le «sciolisme», pour sa part, impliquerait une reconstruction du péronisme en tant que ligue des caudillos provinciaux, avec un poids relatif du kirchnérisme. Il représente fondamentalement une inconnue pour l’avenir. La force du «changisme» («cambiemos») macriste réside justement dans le fait qu’il ne peut rien proposer de plus attractif qu’une continuité améliorée de ce qui existe déjà; une sorte de stagnation dynamique. Et c’est également ce qui semble expliquer les faux pas de l’officialisme qui se succèdent depuis quelques jours; ce qui semble déjà durer depuis des mois ou des années. (Traduction A l’Encontre; Pablo Stefanoni est rédacteur en chef de la revue Nueva Sociedad)
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