Nous publions ici le texte diffusé par le Mouvement pour le socialisme (MPS) lors de la manifestation de solidarité avec la révolte du peuple syrien à Genève le 28 mai 2011.
1.- La révolte populaire monte en Syrie depuis plus de 11 semaines. Elle s’est étendue, aujourd’hui, à l’ensemble du pays. Les divisions confessionnelles et/ou communautaires, distillées par la politique du régime depuis des décennies, sont largement surmontées : par un sentiment de solidarité nationale (un slogan s’affirme: «Le peuple syrien est un») ; par une détestation de la dictature héréditaire du clan Assad, avec son éclatante corruption ; par le ressentiment, la douleur et la rébellion face à une répression sans rivage ; par une détermination fondée sur la volonté de conquête de la dignité ainsi que des droits démocratiques et sociaux.
Au début du mouvement, les manifestants exigeaient la levée de l’état d’urgence (en place depuis 48 ans) et la fin du monopole du parti Baas, celui du dictateur Bachar al-Assad. Désormais, ils réclament la chute d’un régime de massacreurs qui espéraient commettre leurs crimes en huis clos.
Or, tous les jours des récits, des vidéos dévoilent la bestialité de la répression du pouvoir et des appareils répressifs, qui ne font qu’un ! Bachar al-Assad, en janvier 2011, confiait encore au quotidien de la finance, le Wall Street Journal, qu’il se sentait «inébranlable», à la différence de régimes voisins.
La révolte populaire syrienne, dans son ampleur, a pris de court la dictature. L’option qualifiée, par euphémisme, de «sécuritaire» est sa seule réponse. Le prix de la confrontation et de la liberté est et sera exorbitant. Dès lors, une solidarité internationale plus active et permanente avec ce peuple luttant pour sa libération constitue une exigence, un impératif.
2.- La répression est tous les jours relevée par les médias, de manière plus ou moins succincte. L’image reste donc floue. Un dossier du site Al-Jazeera, le 24 mai 2011 – site qui a rectifié une orientation plus douteuse initialement, sous l’influence du Qatar – en donne une représentation plus concrète et donc plus effrayante. En donner quelques exemples relève de la nécessité.
A Homs, le 22 avril, Fawaz al Haraki est blessé par balle. Une hémorragie met en danger ses jours. La voiture qui le conduit à l’hôpital est arrêtée par la police. Il décède. Empêcher les voitures et les ambulances de conduire des blessés vers les hôpitaux se généralise dans tout le pays: des check points sont installés dans ce but. La police ou des miliciens entrent dans les hôpitaux pour saisir les blessés afin de «les soigner dans des hôpitaux militaires». Ils y sont torturés et disparaissent. Le 5 mai, à Homs, une chaîne humaine a entouré l’hôpital pour que les blessés ne puissent être enlevés par les hommes de main du régime.
Des snipers tirent depuis les toits sur les personnes se rendant dans les pharmacies. Les médecins sont menacés afin qu’ils n’accordent pas de soins aux blessés dans leur cabinet privé.
Des familles doivent signer des papiers officiels qui affirment que des parents ont été tués par des «gangs armés», si possible «étrangers», thème de la propagande officielle. Des adolescents torturés – dents et ongles arrachés – sont relâchés afin de «diffuser la terreur».
Les tanks bombardent, indistinctement, des maisons, au centre de certaines villes ou dans la périphérie, afin de terrifier la population. Les miliciens «alouites» (chabihas), en même temps, tirent sur les habitants. Des écoles sont transformées en centres de détention. Les manifestations de femmes se multiplient et sont réprimées.
La ville de Deraa, au sud du pays, foyer de la révolte, a été encerclée par l’armée du 25 avril au 5 mai : plus d’électricité, d’eau, d’alimentation, de médicaments… Lorsqu’une fosse commune a été découverte au centre de la ville, l’armée a mis en place un «périmètre de sécurité» pour empêcher que les familles puissent chercher les corps des martyrs. Et ce n’est pas le seul exemple. Le chiffre de 1000 personnes tuées est, à coup sûr, largement inférieur à la réalité; sans mentionner les milliers de disparus et de personnes emprisonnées et torturées, dont les familles sont sans nouvelles.
C’est à cette aune répressive qu’il faut mesurer le courage et la profondeur de la révolte pour que, massivement, la population de nombreuses villes et bourgades ose organiser des funérailles et enterrer ses morts dans des cimetières baptisés «cimetières des martyrs», en faisant face à la police (en uniforme ou non) et à l’armée.
3.- Le père de Bachar al-Assad, Hafez, s’empara du pouvoir en 1970 et renforça la dimension répressive d’un régime qui l’était déjà. En 2000, dans le cadre d’une «République héréditaire», son fils Bachar lui succéda. Des années 1970 à la fin des années 1980, le pouvoir combina une politique de répression, de surveillance étroite de la population, de colonisation policière de la société – la crainte de parler était révélatrice à ce propos – avec une politique de subvention des biens de base pour les couches les plus défavorisées, un accès à l’éducation supérieure pour des couches urbaines et un certain développement du secteur de la santé. Tout en cultivant des divisions communautaires et régionales, auxquelles s’ajoute un réseau clientélaire bien sélectionné. La stabilité socio-politique était ainsi relativement assurée, en jouant aussi sur une politique extérieure démagogique, dite «anti-impérialiste».
Une mince couche liée au clan Assad, à des militaires et autres responsables de la «sécurité», ayant la main sur l’appareil d’Etat, va se défaire lentement d’un «interventionnisme économique» pesant, et «planifié» à son image. Les réformes initiées, modestement, en 1987 devaient stimuler l’investissement privé; le résultat ne fut pas concluant. En 2002, le constat d’échec se traduit par un taux de croissance proche de zéro.
En 2006, la deuxième vague de «réformes néolibérales» est lancée. Le contrôle des prix des biens de base est levé. La hausse de ces prix comme de l’essence est rapide et les salaires sont donc écrasés. Les prix de l’immobilier s’envolent et cela touche lesdites «classes moyennes». Le chômage grimpe vite. L’accès à la terre est ouvert avec une expulsion et un appauvrissement des petits paysans qui forment quelque 23% de la population active.
Ces «réformes» sont effectuées sous la direction et en faveur d’une classe, mince, qui disposait d’un pouvoir absolu lui servant à extraire le maximum de richesse, dans tous les segments du circuit du capital. La Banque centrale stabilisait la monnaie locale afin que les revenus captés puissent être convertis en dollars et envoyés à l’extérieur ou encore permettre une consommation somptuaire. La «contre-réforme» censée favoriser les exportations ne pouvait aboutir au sein d’une telle configuration politico-étatique de classe.
La description faite dans la presse par un citoyen, qui se dit peu politisé, illustre le résultat de ces contre-réformes néolibérales: «En haut il y a les corrompus qui s’enrichissent de plus en plus et en bas l’immense majorité des Syriens qui doivent cumuler deux ou trois emplois pour pouvoir survivre. On n’en peut plus.» Dans la ligne de mire se trouve le cousin germain, par sa mère, du président Bachar: Rami Makhlouf. Il possède une fortune colossale, il a investi dans l’hôtellerie, le secteur bancaire, l’industrie lourde et les télécommunications. C’est la personnification de la corruption du régime, au même titre que Gamal Moubarak en Egypte.
Pendant ce temps, le chômage effectif dépasse les 25%. Le «marché du travail» devrait être apte à absorber 380’000 nouveaux entrants chaque année. Il en est fort loin. La Syrie se trouve dans une configuration proche de la Tunisie, sur ce point : une jeunesse nombreuse dont une partie importante a fait des études et dont l’emploi est incertain ou inexistant. Le 11 mai 2011, les 2000 étudiants qui manifestaient sur le campus de la ville d’Alep ont été attaqués par la police. Quant à la paupérisation extrême ou moyenne, elle touche respectivement 14% et 34% de la population.
Voilà le soubassement social de la révolte présente. Le mixte entre un pouvoir dictatorial, une répression d’une brutalité rare, une crise sociale frappant des couches de plus en plus amples fournit l’humus d’un soulèvement qui réunit des secteurs de la société et des régions comme des villes dont les observateurs pensaient que les clivages entre eux ne seraient jamais surmontés. Pour l’heure, la révolte dépasse ces «séparations», car les mutations de la société depuis la fin des années 1990 sont profondes.
4.- Le régime d’Hafez al-Assad a pendant longtemps joué la carte d’un «anti-impérialisme» et de l’«anti-sionisme», afin de susciter une «adhésion nationale». Or, depuis 1974, ce régime n’a jamais franchi la moindre ligne rouge dans le conflit avec Israël. La démagogie sur la question palestinienne a donné lieu, en Syrie, à un trait d’esprit. Il résume bien le fond de la politique du clan Assad-Makhlouf: «Le pouvoir adore la Palestine, mais abhorre les Palestiniens.» Ce que le régime du père a démontré en 1976 au Liban. La crainte du gouvernement Netanyahou face à la «déstabilisation» en Syrie confirme cette opinion.
Certains oublient que la Syrie a participé militairement à la guerre «La Tempête du désert», en 1991, sous direction des Etats-Unis. En contrepartie, elle a reçu des fonds des Etats pétroliers du Golfe et elle y a envoyé des travailleurs. Ce qui réduisait le chômage et lui permettait de recevoir des devises. Les relations avec la dictature iranienne – que certains aveugles caractérisent d’anti-impérialiste – reposent sur des intérêts financiers. Par contre, quelques ignorants qui, suite à un voyage de solidarité(s) au Liban, classaient le Hezbollah parmi les forces «anti-impérialistes» feraient bien de lire le message du poète égyptien Ahmad Fouad Nagm, favorable au Hezbollah. Il dénonce le silence d’Hassan Nasrallah face aux massacres en Syrie (Jadaliyya, 15 mai 2011).
5.- Les analyses dominantes et impérialistes de cette région sont une fois de plus mises en échec par le soulèvement en Syrie. Une énumération suffit. 1° Les régimes «autoritaires» seraient durables. 2° La «démocratisation» ne correspond pas aux «caractéristiques culturelles du monde arabe». 3° La population est passive et anesthésiée par la peur ou les effets de la rente pétrolière. 4° Le seul acteur politique alternatif serait «le fondamentalisme islamique». 5° La dimension «arabe» est inexistante, bien que l’on parle de «contagion» (ce qui n’implique pas des différences entre pays et régimes, cela va de soi). Tout cela s’écroule.
Aujourd’hui, l’insurrection populaire en Syrie – face à un pouvoir massacreur – est décisive pour toute la région. L’essentiel de la population a refusé «le dialogue national». La dictature de Bachar al-Assad doit tomber. Le mouvement de solidarité en Egypte, au Liban, en Tunisie est très important. Celui dans les pays impérialistes doit, enfin, être à la hauteur du courage d’un peuple, sur la durée.
Le Syrie a attendu le 11 mai 2011 pour retirer sa candidature au Conseil des droits de l’homme qui siège à Genève! Son expulsion doit être confirmée jusqu’à la chute de Bachar al-Assad.
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