Par Manolo Gari
On ne répare pas une maison en ruine en bâclant des à-peu-près. Encore moins un pays soldé aux enchères. Si nous regardons plus loin que les comptabilités (doubles) des partis politiques, les cartes de crédit noires, les valises pour Andorre, ou les subventions à des cours de formation [1], la perte de l’honorabilité de l’élite gouvernante et l’indignation populaire, nous constatons des crevasses encore plus profondes. Nous vivons dans un Etat d’urgence et de putréfaction politique. [Ce texte doit être replacé dans le contexte du débat dans Podemos; un compte rendu du congrès de Podemos les 18 et 19 octobre est publié sur ce site – Réd. A l’Encontre]
Les politiques mises en œuvre, loin de nous sortir de la crise, ne font que consolider la stagnation économique et la croissance de l’inégalité sociale. Travailler, pour autant qu’on a trouvé un emploi, n’est plus synonyme de pouvoir couvrir ses besoins fondamentaux.
Les services publics sont gravement touchés et le droit du travail est dans un état comateux. La récupération économique que nous vend Mariano Rajoy (Président du gouvernement depuis décembre 201; membre du Parti populaire) et n’a que des fondements très fragiles. L’amélioration de la «confiance » des marchés financiers n’a pas résolu le problème de la croissance exponentielle de la dette souveraine qui, de privée qu’elle était, a été convertie en dette publique, ce qui plombe les conditions de vie des gens qui sont en bas de l’échelle sociale.
Les tentatives de régénération du système politique et des partis qui le soutiennent continuent à être dénuées de crédibilité. L’Etat des Autonomies prend l’eau [il y a 17 régions autonomes, avec des pouvoirs différenciés]. La vieille légitimité de la Constitution de 1978 se détériore et une nouvelle n’est pas née encore. Cela affecte toutes les institutions de l’Etat et concentre l’attention des principaux acteurs politiques, mais aussi des conseils d’administration et de la Troïka [BCE, UE et FMI].
De la part du peuple, le mouvement du 15M [Mouvement des Indignés du 15 mai 2011] a mis en évidence la désaffection des nouvelles générations à l’égard du régime de 1978 et leur méfiance à l’égard de l’oligarchie économique. Le compte à rebours de la Constitution espagnole a donc commencé. Les Marées, blanche et verte et le mouvement du 22M [2] ont mis en évidence la nécessité incontournable d’une réorientation des priorités économiques.
C’est impossible de revenir à la situation passée, mais la situation actuelle d’impasse et de vide est insoutenable. Il est urgent d’apporter des solutions. Nous avons le même dilemme que devant une maison en ruine. Boucher les trous ou reconstruire. Changer la Constitution ou changer de Constitution. Remâcher des formules caduques – néolibérales ou keynésiennes – ou chercher d’urgence des nouvelles alternatives non-capitalistes.
Deux projets sont foireux: une bande avec des bons contacts dans les banques nous «vend» (nous impose) un régime autoritaire oligarchique d’exclusion de la majorité sociale; un groupe subsidiaire – qui a perdu le Nord et ne le retrouve plus – n’aspire qu’à nous réconcilier avec un régime légèrement réformé auquel il s’accroche sans aucune alternative. Il semblerait que l’unique option réaliste est celle d’une rupture démocratique par le moyen de la mise en mouvement d’un processus constituant – qui étant donné la réalité espagnole serait plurinational – qui sera configuré par le développement de plusieurs processus constituants. Ce qui n’a pas été fait en 1978, aujourd’hui il n’y a plus d’autre remède que de s’y atteler: repartir du commencement et poser des fondations solides.
C’est là l’objectif d’une feuille de route qui commence par les prochaines élections municipales ainsi qu’autonomiques [soit en mai 2015, ce qui n’est pas la position des hyper-dirigeants de Podemos, dont Pablo Iglesias] et culmine dans les prochaines élections législatives [novembre 2015]. Il s’agit de gagner les élections pour écarter les partis de la caste et constituer un gouvernement. Voilà la condition sine qua non pour commencer la nouvelle maison tant dans le domaine politique et institutionnel, que dans les domaines économiques et sociaux.
Qui s’enhardit à ramasser le gant sera instantanément soumis à des pressions insoutenables, à affronter seul. Le changement dont nous avons besoin n’est pas possible si on se fie uniquement à parvenir au Palais de la Moncloa, le siège de la présidence du gouvernement. C’est justement arrivé là qu’il devra pouvoir compter sur l’alliance avec les mouvements sociaux, avec un peuple vivant, actif, organisé et en marche. Un peuple chargé du pouvoir, sur le chemin pour créer un effectif pouvoir populaire. Si nous empruntons sans permission les mots de Pedro Ibarra Güell qui formulent dans ce processus le rapport du maintenant avec le demain: «“Faire” de la démocratie participative, c’est construire des sujets collectifs dotés de conscience citoyenne, active, républicaine. Et de la volonté de la mettre en pratique. Ce n’est qu’ainsi que les développements ultérieurs de la démocratie participative pourront s’enraciner dans un exercice réel de pouvoirs partagés, dans un contexte de contre-pouvoir.»
A l’heure de prendre les décisions, il ne suffit pas de disposer de bons conseillers [allusion à des positions de la direction de Podemos], prêts à conseiller le gouvernement du moment. Il faut disposer d’un projet élaboré collectivement d’en-bas, un programme de mesures de base favorables à la majorité sociale. Et il faut l’annoncer publiquement pour créer l’enthousiasme et pour mobiliser. Le plan et les calculs pour la nouvelle maison doivent être faits à l’avance. Ou dit autrement, un programme dont le pilote indique les coordonnées de la souveraineté populaire, de l’économie mise au service des personnes, le droit à décider des peuples et la participation démocratique, avec des mesures portant sur la dette illégitime, la banque publique, l’égalité effective des femmes ou la socialisation du système énergétique basé sur les énergies renouvelables. Un programme capable de consolider les services publics, les droits des travailleurs et l’équilibre écologique; ceci sans ambiguïtés, ni calculs électoralistes, ni concessions aux pouvoirs de fait.
La feuille de route comporte donc quatre éléments: 1° une victoire électorale; 2° la mobilisation et pouvoir populaire,;3° un programme de rupture démocratique et de majorité sociale; 4° et un gouvernement à son service, capable d’engendrer une nouvelle Constitution. Voilà les idées-forces qui inspirent le document Construyendo pueblo (Former peuple) que j’ai signé [3] pour être voté par l’assemblée citoyenne de Podemos [qui s’est tenue à Madrid] avec l’espoir qu’elles soient utiles pour les classes subalternes, pour le peuple. (Traduction A l’Encontre; publié sur le site Viento Sur, 25 octobre 2014)
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[1] Mis en examen, en prison préventive, Luis Bárcenas, le trésorier du PP, a révélé la comptabilité B du parti, secrète et niée, alimentée par les fonds d’entreprises obtenant des mandats publics, entre autres financements illégaux.
• Quatre-vingt-six ex-administrateurs de la nouvelle banque publique Bankia, anciennement Caisse d’épargne de Madrid, avaient reçu du président du moment, en plus de leurs émoluments, une carte de crédit sans limites (sic) et non déclarée au fisc.
Le sauvetage de Bankia a coûté au contribuable 24 milliards d’euros [voir à ce sujet les articles publiés sur ce site en date du 9 mai et du 23 mai 2013].
La plupart des bénéficiaires de ces cartes de crédit – dont le richissime Rodrigo Rato, ancien vice-premier ministre et directeur du FMI, président de Bankia de 2010 à 2012 ainsi que des représentants au conseil d’administration de Izquierda Unida et des Commissions ouvrières (CCOO) qui avaient aidé le PP dans l’assemblée de la Communauté de Madrid à réorganiser la Caisse d’épargne contre le PSOE – les ont utilisées en bijoux, repas, vacances, voyages, safaris en Afrique ou pour effectuer des retraits en liquide. Entre 2003 et 2012, 15 millions d’euros ont été «utilisés» de la sorte. Une instruction pénale est ouverte.
• L’ancien président de la Généralité de Catalogne, Jordi Pujol, «Père du catalanisme bourgeois», a déclaré, lors de l’amnistie fiscale de 2012, 4 millions de son père banquier cachés depuis des décennies dans une banque de la Principauté d’Andorre. Il a été mis en examen à cause des soupçons d’une origine plus récente de ce trésor caché. Plusieurs de ses fils sont en examen pour prévarication, captation de commissions illégales et fraude fiscale, avec plusieurs comptes cachés à Andorre.
• La macro-enquête pour corruption et prévarication dans la Junte d’Andalousie – que mène depuis des années la juge Mercedes Ayala – a révélé, entre autres, que la fédération syndicale UGT (Union générale des travailleurs) s’est financée depuis des années sur des subventions du gouvernement andalou attribuées à des cours de formation bidon. Deux secrétaires généraux successifs ont dû démissionner, car mis en examen pour appropriation personnelle de certains de ces fonds. (Rédaction A l’Encontre)
[2]Les Marches de la dignité qui ont convergé sur Madrid le 22 mars 2014. Voir à ce propos les différents articles publiés sur ce site en date du: 19 mars 2014, du 23, 24, 28 et 31 mars 2014, ainsi que du 2 avril 2014, sous l’onglet Europe, Espagne. (Rédaction A l’Encontre)
[3] Les signataires de ce document pour l’Assemblée citoyenne «Si se puede» étaient Manuel Garí (Economía, Ecología y Energía), Ana Gil (Tetuán-Dehesa de la Villa), Miguel Barrionuevo (Lavapiés), Clara Marañón (Arganzuela), José Luis Mateos (Ciudad Lineal), Raúl Camargo (Rivas). Le document en langue espagnole peut être lu ici : http://www.tercerainformacion.es/IMG/pdf/construyendo_pueblo.pdf. L’assemblée de Podemos s’est tenue les 18 et 19 octobre à Madrid. (Rédaction A l’Encontre)
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