Par Yves Tomic et Jean-Arnault Dérens
En date du 12 février 2014, l’émission «Décryptage» de RFI donnait la parole à deux spécialistes de la Bosnie-Herzégovine afin d’expliquer la «révolte sociale» en cours. Nous avons sur ce site donné des premiers éléments en date du 12 février. Dans cette émission, Yves Tomic initie son intervention en affirmant: «Il y avait une certaine apathie auparavant. Il n’y avait pas de contestation sociale. On est dans un cadre où tout se définit à partir de l’appartenance nationale et là on a affaire à des premières manifestations où l’on casse le lien avec la nation. On avance avant tout des revendications sociales. Là il y a quelque chose d’inédit.» Jean-Arnault Dérens poursuit: «Il n’y a pas de caractère partisan [dans ces mobilisations], au contraire il y a une méfiance très large envers tous les partis… C’est surtout des formes nouvelles de démocratie directe qui sont en train de s’inventer.»
Les lectrices et lecteurs du site alencontre.org pourront prendre connaissance des analyses de ces deux observateurs à l’écoute de cette émission «Décryptage» en cliquant sur le lien:
http://www.rfi.fr/emission/20140212-bosnie-situation-balkans/
Yves Tomic est vice-président de l’Association française d’études sur les Balkans (AFEBALK) et Jean-Arnault Dérens est rédacteur en chef du Courrier des Balkans.
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En date du 13 février, le site de La Libre Belgique publiait l’article suivant de Jean-Arnault Dérens avec le titre «Les Bosniens unis comme jamais»
«Non au nationalisme!»: le slogan s’écrit sur les murs, il est scandé dans les cortèges qui sillonnent les villes du pays depuis une semaine. Lundi et mardi, le centre de Sarajevo était bloqué par des milliers de manifestants réclamant la démission du gouvernement de la Fédération croato-bosniaque. Mercredi, la mobilisation marquait le pas dans la capitale, mais s’étendait en Republika Srpska, où la colère sociale gronde aussi.
Milorad Dodik, l’homme fort de cette entité serbe d’une Bosnie toujours divisée, essaie de présenter la vague de contestation comme «une menace pour la Republika Srpska». Les médias officiels qualifient les protestataires de «traîtres» ou jouent le black-out sur les mobilisations en cours, à peine évoquées sur la télévision publique RTRS. Des rassemblements ont pourtant bel et bien lieu depuis une semaine à Banja Luka, Prijedor ou Bijeljina. Même les puissantes associations d’anciens combattants dénoncent «la criminalité, la corruption et le népotisme» qui règnent dans l’entité serbe. Les vétérans, dans un communiqué diffusé mardi, appellent Milorad Dodik à présenter sa démission immédiate.
Panique à bord
Un vent de panique a saisi tous les responsables politiques du pays. Le Parti social-démocrate (SDP) et les nationalistes bosniaques du Parti de l’action démocratique (SDA), les deux principales formations de la Fédération croato-bosniaque, suggèrent d’organiser des élections anticipées. Mais cette revendication a peu de chances de satisfaire les manifestants, qui réclament une remise à plat du cadre institutionnel du pays. La suppression des dix cantons que compte la Fédération est une revendication de plus en plus présente, au risque d’indisposer les partis nationalistes croates, très attachés à leurs petits fiefs.
Mostar, divisée depuis la guerre entre quartiers croates et bosniaques, reste mobilisée : des milliers de citoyens sont encore descendus dans les rues mardi et mercredi, Bosniaques et Croates unis pour la première fois depuis 1991… Les nationalistes croates du HDZ ont accusé des «hooligans» venus des quartiers bosniaques de l’est de la ville, mais ce discours ne semble plus prendre dans l’opinion croate de Bosnie.
Lundi soir, Zoran Milanovic, Premier ministre de la Croatie voisine, a fait une visite express à Mostar, pour appeler au calme et évoquer la «perspective européenne de la Bosnie-Herzégovine», mais il s’est fait huer par une foule convaincue que «ni la Croatie ni la Serbie ne doivent plus s’occuper des problèmes de la Bosnie».
Pour le chercheur Vedran Dzihic, «les histoires de haine ethnique font partie de la mythologie de la Bosnie de Dayton [1], une mythologie soignée par les médias proches du régime, qui ont tout intérêt au maintien du statu quo».
Place au plénum
A Tuzla, épicentre de la révolte, les autorités cantonales ont démissionné vendredi dernier. Depuis, la ville expérimente une forme inédite de démocratie directe, avec un «plénum» des citoyens, ouvert à tous, qui se réunit chaque soir à 18 heures dans le bâtiment de la Maison de la paix. Le plénum, reconnu comme interlocuteur légitime par les autorités, notamment le maire de la ville Jasmin Imamovic, élabore des plates-formes de revendications et gère la poursuite de l’action au jour le jour. L’expérience fait tache d’huile : des plénums sont en train de se former à Zenica – où les autorités cantonales ont également démissionné – et à Sarajevo.
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[1] Accords de Dayton, fin 1995. Ces accords ont été mis au point sur une base aérienne près de Dayton dans l’Ohio, aux Etats-Unis. Etaient présents: Slobodan Milosevic (président serbe), Franjo Tudjman (Croate), Alija Izetbegovic (Bosnie). Ces accords ont abouti à une partition de la Bosnie-Herzégovine entre la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine (croato-bosniaque) et la République serbe de Bosnie. Ces accords ont été faits sous la houlette de Richard Holbrooke. Une force internationale dite de la paix IFOR était prévue dans les accords. (Réd. A l’Encontre)
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