Par Noa Shauer
et Shiraz Grinbaum
Dans deux articles décrivant des visites sur place et des rencontres avec des travailleurs migrants en Israël, Noa Shauer et Shiraz Grinbaum mettent en évidence les conditions de vie et de travail de ces derniers, leurs difficultés et l’exploitation qu’ils subissent. Dans la première partie, des travailleurs agricoles thaïlandais à Kfar Varburg exposent aux membres de ‘Kav LaOved’Hotline – une ligne d’assistance des travailleurs – leurs conditions de vie inférieures aux normes légales ainsi que leurs bas salaires et leurs conditions de travail abusives. Dans la seconde partie, l’enquête a porté sur la situation dans le moshav Sde Nitzan qui se situe au nord-ouest du Néguev et fait partie de la Eshkol Local Authority. (Rédaction A l’Encontre)
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Kfar Varburg
Nous nous sommes rendus à Kfar Varburg à la fin du mois passé, après que la ligne d’assistance aux travailleurs Kav LaOved a reçu une plainte évoquant des conditions de logement inférieures à la norme et le refus de verser des salaires minimums. Nous avons rencontré un groupe de travailleurs thaïlandais là où ils vivaient – dans l’arrière-cour de la villa de leur employeur. Des représentants des travailleurs d’autres fermes du village les ont rejoints pour se renseigner sur leurs droits fondamentaux et sur les moyens de pouvoir en bénéficier. Finalement, nous étions assis avec une quarantaine de Thaïlandais travaillant pour 11 employeurs israéliens différents.
Les travailleurs de Kfar Varburg reçoivent 120 à 130 NIS [1 euro = 4.65 NIS] par journée de travail (soit 15 à 16.25 NIS l’heure), plus 18-20 NIS pour chaque heure supplémentaire (les travailleurs agricoles travaillent en général entre 11 et 16 heures par jour). Le salaire minimum en Israël est de 3000 NIS par mois, ou de 23.12 NIS l’heure. D’autres travailleurs nous ont dit recevoir une paie mensuelle fixe de 3000 NIS pour 200 heures de travail. Ils ne voient jamais leur fiche de paie, et ne peuvent donc pas contrôler comment sont calculés leurs salaires. En outre, leurs employeurs ne leur ont pas ouvert des comptes bancaires. Or, la loi israélienne exige que les employeurs ouvrent des comptes bancaires pour les travailleurs étrangers qu’ils embauchent. Cela fonctionne comme un moyen de réguler l’emploi de travailleurs migrants. Il s’agit là d’une stratégie souvent utilisée par les employeurs pour cacher le fait qu’ils les privent des salaires minimums et de droits sociaux.
Certaines des fermes que nous avons visitées cultivent des fruits différents selon la saison. En ce moment c’est la saison des grenades et les employés sont obligés d’effectuer des heures supplémentaires, parfois jusqu’à 16 heures par jour. Ils n’ont droit qu’à une demi-heure pour la pause de midi.
Les 40 travailleurs nous ont tous dit qu’ils vaporisent les différents fruits avec des produits chimiques au moins trois fois par semaine. Malgré cette utilisation fréquente de produits chimiques, on ne leur fournit pas l’équipement de protection indispensable. Certains ont dit souffrir de vertiges après avoir pulvérisé les champs. Aucun des travailleurs n’est renseigné sur son assurance maladie et ils n’ont pas de carte d’assurance maladie israélienne, alors que ce document est nécessaire pour avoir accès à un traitement.
L’autre grief important avait trait à leurs conditions de logement. Après cette réunion, nous avons parcouru plusieurs fermes du village. La première construction loge 9 travailleurs et ne dispose que d’un WC et d’une douche. La cuisine est improvisée, les chambres à coucher sont minuscules et certaines ne sont même pas équipées d’un placard. Les travailleurs nous ont dit qu’ils avaient essayé de parler à leur employeur au sujet des moisissures dans les douches et les sols, mais qu’il n’avait pas réagi. Dans le troisième bâtiment, les travailleurs avaient improvisé une cuisine à l’extérieur, dans un espace découvert. Ils y font la cuisine et mangent leurs repas en toute saison et par tous les temps.
Après que nous ayons visité les bâtiments pendant quelques heures, l’employeur s’est aperçu de notre présence et nous a expulsés avec des hurlements.
Déporter «l’organisateur» de la grève
Le moshav Sde Nitzan se situe au nord-ouest du Néguev et fait partie de la Eshkol Local Authority. Le moshav, une communauté agricole, est composé de quelque 80 familles ainsi que de 157 travailleurs étrangers thaïlandais qui effectuent des travaux agricoles. Le 10 septembre 2013, suite à la demande des travailleurs étrangers, les membres de l’ONG Kav LaOved ont visité les terrains du moshav.
Nous avons découvert que les travailleurs avaient déjà entamé une grève pour protester contre les bas salaires et le fait que ces derniers étaient versés avec du retard. Les travailleurs recevaient 120 NIS pour une journée de travail de huit heures et 17 NIS par heure supplémentaire, alors qu’en Israël le salaire minimum pour une heure de travail normale est de 23.12 NIS et pour les heures supplémentaires cette somme est majorée à 125% pour les deux premières heures. Pour un salaire minimum, par exemple, le salaire pour une heure supplémentaire est de 28.88 NIS par heure.
Les membres de Kav LaOved ont expliqué aux travailleurs qu’ils devaient dresser une liste de revendications pour leurs employeurs et demander spécifiquement un salaire quotidien correct. D’abord, les travailleurs avaient demandé un salaire de 130 NIS par jour, mais l’ONG leur a expliqué que ce montant était significativement en dessous du salaire minimum légal, et qu’il était de leur responsabilité de revendiquer au minimum ce qui est garanti par la loi. Les travailleurs ont ensuite essayé de revendiquer le salaire minimum, mais c’était trop tard – le premier jour de la grève, les employeurs ont accepté d’augmenter le salaire journalier des travailleurs étrangers à 130 NIS par jour et à 20 NIS par heure supplémentaire.
Lorsque les employeurs ont rendu compte de la grève à l’agence responsable de faire venir des travailleurs étrangers en Israël, celle-ci a envoyé des représentants directement au moshav. Ils ont repéré le travailleur qu’ils pensaient être à la tête de la grève, lui ont ordonné de faire son bagage et l’ont amené de force dans leurs bureaux. Là, on lui a demandé de signer des documents en hébreu avant de le conduire à l’aéroport. Arrivé à l’aéroport, lorsqu’il est devenu évident qu’il allait être déporté, le travailleur a contacté Kav LaOved. Même s’il ne restait qu’une heure avant le vol, les membres de Kav LaOved lui ont expliqué que l’expulsion était illégale et qu’il n’avait pas besoin de monter dans l’avion. Mais, n’étant pas sûr de retrouver un travail, il a décidé de monter dans l’avion et rentrer dans son pays.
Après cette déportation, les autres travailleurs dans le moshav, craignant d’être les suivants sur la liste, ont décidé de mettre un terme à la grève, d’accepter les conditions de leurs employeurs et de retourner au travail.
Lorsque des membres de Kav LaOved leur ont rendu une nouvelle visite pour examiner leurs demandes et pour exprimer de la solidarité avec leur lutte, ils ont été surpris par la réaction enthousiaste des travailleurs. Les membres de l’ONG ont réalisé à quel point il était important pour les travailleurs étrangers de savoir que d’autres soutenaient leur action courageuse.
Au cours de cette visite, les travailleurs ont aussi demandé plus d’informations sur leurs droits sociaux. En particulier, ils voulaient en savoir plus sur le salaire minimum, sur les heures supplémentaires et sur comment ouvrir un compte bancaire israélien. Ils voulaient également savoir comment ils pouvaient quitter leur emploi sans être accusés d’évasion. Kav LaOved a transmis aux travailleurs les formulaires de démission en thaï et en hébreu et leur a expliqué la manière correcte de gérer un avis anticipé de démission.
Au cours de la visite, les travailleurs avaient hâte de savoir comment réagir aux menaces de déportation. Cela non seulement suite à la déportation de leur leader, mais également parce que leurs employeurs les menacent régulièrement de les faire déporter en Thaïlande s’ils n’obéissent pas aux ordres. Les membres de Kav LaOved leur ont expliqué qu’il est absolument interdit de déporter des travailleurs entrés en Israël légalement tant qu’ils n’ont pas dépassé le délai de séjour de cinq ans et trois mois. [Sur la mobilisation des migrant·e·s dits illégaux voir l’article publié sur ce site en date du 8 janvier 2014.]
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Moshav Sde Nitzan
Les conditions de travail
Voici une description détaillée des conditions de vie et de travail des travailleurs étrangers au moshav Sde Nitzan. Les travailleurs du moshav Nitzan travaillent 10 à 12 heures par jour en comptant la pause de midi. Parfois, ils travaillent le samedi, ce qui est considéré comme des heures supplémentaires. Les travailleurs n’ont jamais eu des comptes en banque israéliens, bien que d’après la loi israélienne les employeurs sont obligés d’ouvrir des comptes en banque pour les travailleurs étrangers. Une analyse des fiches de paie a révélé des décomptes des nombres d’heures supplémentaires qui ne correspondent pas à celles que les travailleurs disent avoir effectuées.
Les travailleurs achètent leur nourriture au magasin du moshav (ou dans un magasin à proximité du moshav). Lorsqu’on leur a posé des questions sur le prix de la nourriture au moshav, ils ont expliqué que les prix étaient trop élevés pour eux, vu que leurs salaires étaient plus bas que ceux des autres habitants du moshav. Les travailleurs transmettent leurs salaires à des agents qui encaissent leur argent liquide et le transfèrent en Thaïlande, en gardant une commission de 2%. Les travailleurs reçoivent un message (SMS) qui leur indique combien d’argent a été versé en Thaïlande; certains reçoivent un reçu pour l’argent transféré. Le reçu en question montre qu’un résident du moshav a ouvert une entreprise pour faciliter ce transfert d’argent.
Les conditions de logement
Il faut mentionner que les logements qu’ont visités les membres de Kav LaOved semblent «adéquats». Il s’agit d’appartements de 2 ou 3 pièces, fabriqués en béton, face à face sur deux longs alignements. Entre les appartements, il y a un espace ouvert collectif et un abri contre les bombes, qui sert également d’espace collectif quand il fait froid. Dans chacun des appartements, il y a des réfrigérateurs, des placards et des salles de bains. Les travailleurs vivent à deux dans chaque pièce, ce qui fait qu’il y a entre quatre et six travailleurs qui dorment dans chaque appartement.
Le droit au traitement médical
Les travailleurs expliquent que lorsqu’ils sont malades leurs employeurs les conduisent parfois chez des médecins si leur situation médicale l’exige. On a découvert que les cartes d’assurance maladie des travailleurs étaient toutes entre les mains de leurs employeurs, et qu’en cas de problème de santé ils doivent les demander à l’employeur.
Aucun employeur n’a le droit de détenir les documents d’un employé, surtout des documents aussi importants que les documents médicaux, qui doivent rester entre les mains des travailleurs eux-mêmes. Il est n’est pas impossible que les employeurs partent de l’idée que les travailleurs ne sauraient pas que faire de documents rédigés en hébreu et que c’est la raison pour laquelle ils conservent ces documents. Mais cette situation risque de se compliquer si les travailleurs ne veulent pas révéler leur problème de santé à leur employeur ou s’ils veulent se rendre chez le médecin sans demander la permission, par exemple si une travailleuse ne veut pas informer son employeur qu’elle va voir un gynécologue. En conservant ces documents, les employeurs mettent les travailleurs dans une situation où ils dépendent entièrement de leurs employeurs en ce qui concerne leurs besoins de santé. (Traduction A l’Encontre; ces deux articles ont été publiés sur le site israélien +972)
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