Par Federico Lopez
L’historien Sergio Grez [professeur auprès de l’Université du Chili, faculté de philosophie et de sciences humaines] considère que l’empreinte du mouvement étudiant des vingt dernières années est profonde et de la plus grande importance. Elle va se prolonger parce que la possibilité de changements structuraux, comme ceux que réclament les étudiant·e·s, nécessite également le soutien et la compréhension de travailleurs et travailleuses ainsi que secteurs de citoyens, forts et organisés.
Sergio Grez, qui est spécialiste en histoire sociale, et ancien élève de l’Institut national, est venu marquer sa solidarité avec les étudiants qui avaient occupé l’édifice de l’Institut national. Dans la rue Arturo Prat, à Santiago, il a dialogué avec un groupe de jeunes à qui il a exposé un compte rendu historique des mouvements qui se développent. Grez est un dirigeant du Mouvement pour la Grève générale constituante (voir à ce sujet les articles publiés sur ce site en date du 26 juin, du 18 juin et du 4 juin 2013).
Pour l’historien, la mobilisation étudiante marque un processus de «repolitisation» de la société qui a mis fin à la léthargie sociale créée durant la transition (post-dictature Pinochet). Il s’agit d’une passivité qui découle de la «naturalisation» du modèle néolibéral que la dictature a imposé. C’est-à-dire un modèle qui présume naturel quelque chose qui ne l’est pas et qu’il faut changer.
Cette repolitisation, que stimulent les étudiant·e·s au travers de leurs mobilisations, remet en question les fausses certitudes. Les étudiant·e·s ont été entourés d’un énorme appui populaire parce que l’éducation est, avec la santé, la préoccupation la plus importante des familles. Toute une série de conflits ont éclaté. Nous assistons, a déclaré Grez, «à une crise profonde de l’accord entre les partisans de la dictature et ses opposants modérés» qui a mis fin au régime de Pinochet. Cette «repolitisation» explique les mobilisations dans les provinces de Magallanes et de Aysén, à Arica et à Calama, aggravées par le centralisme excessif qui fait que tout doit se régler à Santiago.
Le compte rendu historique de Sergio Grez est utile pour comprendre un processus qui est en plein développement. Quelques faits sont à souligner.
Après la fin de la dictature, le mouvement étudiant a connu un véritable effondrement. C’est en 1995 qu’on a vu un signe important de changement, quand des étudiant·e·s communistes ont gagné les élections dans les Fédérations d’étudiants de l’Université du Chili, et celles de Santiago et de Playa Ancha. Le paysage est ensuite devenu plus complexe.
D’autres groupes de gauche sont apparus qui ont rénové l’orientation des étudiant·e·s, en radicalisant leurs objectifs et en impulsant des manifestations qui ont eu un grand impact. L’exigence d’une éducation gratuite, égalitaire, laïque et de qualité s’est généralisée avec le refus absolu que l’éducation (comme la santé) soit considérée comme une activité marchande.
Les revendications proprement étudiantes ont dû s’élargir parce qu’il n’est pas possible de les satisfaire sans des changements sociaux profonds comme une réforme de l’imposition et une Assemblée constituante pour élaborer une nouvelle Constitution.
Les élèves des écoles secondaires se sont joints à la lutte. En 2001, la FESES (Fédération des étudiants du secondaire) a été dissoute et remplacée par l’Assemblée coordinatrice des étudiants secondaires (ACES) qui en 2006 a animé la dite «révolution des pingouins» qui dura plusieurs mois et tint en échec le gouvernement de la présidente Michelle Bachelet (sociale-démocrate).
En 2011, les manifestations de rue, les grèves et les occupations se sont multipliées. Ce furent les manifestations de masse les plus grandes depuis la fin de la dictature. Le conflit s’est prolongé jusqu’à ce que l’approche de la fin de l’année universitaire oblige les étudiants à reculer.
L’année 2012 a été l’année des «propositions». Les étudiants ont élaboré et ajusté leurs revendications et les ont liées à des changements substantiels de l’économie et des institutions. Les élèves du secondaire ont fait preuve d’une plus grande radicalité et ont appelé à l’abstention aux élections municipales (octobre 2012).
Pendant ce temps, le gouvernement, qui a déjà vu quatre ministres de l’Education se succéder, refuse la revendication d’une éducation sans but lucratif et de qualité. Il refuse la fin de la municipalisation et réaffirme le principe selon lequel l’éducation doit être considérée comme une entreprise lucrative et non comme un instrument pour satisfaire un droit de la société. (Traduction A l’Encontre, article publié dans Punto Final, N° 786, 26 juillet-8 août 2013)
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