Par Aric Miller
Le gouverneur du Michigan, Rick Snyder [homme d’affaires, politicien, membre du Parti républicain, gouverneur depuis le 1er janvier 2011, suite à un gouverneur démocrate Jennifer Granholm] a appointé un «gestionnaire d’urgence» pour la ville de Detroit, affirmant que cette décision aidera à l’amélioration de la ville et à rétablir le niveau de vie de ses habitants. Loin de représenter les intérêts des habitants ordinaires de Detroit, le «gestionnaire d’urgence» représentera plutôt les intérêts de la propriété privée et des entreprises, ce qui aura des conséquences douloureuses pour la grande majorité des habitants.
Les officiels de l’Etat du Michigan ont annoncé la nomination du «gestionnaire d’urgence» Kevyn Orr le 14 mars. Ce dernier est un juriste spécialisé dans les faillites [ici de Detroit]. Il a perçu environ 1 million de dollars en 2009 lors de sa première année en charge de la faillite de Chrysler. K. Orr travaille pour «la firme de juristes» Jones Day. Celle-ci représente Wells Fargo [dont le siège est en Californie, San Francisco], banque qui a procédé à des saisies de domicile dans l’Etat du Michigan.
Jones Day représente également Amway Corp., entreprise qui a apporté sa contribution au passage de la législation antisyndicale intitulée «droit de travailler» adoptée par le législatif du Michigan. Jones Day représente également la Bank of America et Lehman Brothers, deux banques qui furent au centre de la crise financière de 2008.
En vertu de la nouvelle loi de l’Etat, qui entrera en vigueur le 28 mars 2013 – soit la même semaine qu’Orr prendra ses fonctions –, le «gestionnaire d’urgence» disposera de pouvoirs considérables afin de restructurer le plan financier de la ville. Ces pouvoirs comprennent la possibilité de changer des contrats collectifs de travail négociés, ainsi que la vente de biens municipaux.
Le travail du «gestionnaire d’urgence» consiste, fondamentalement, à faire passer la responsabilité de la crise capitaliste des banquiers, des CEO et des gestionnaires de hedge funds [fonds spéculatifs par excellence] sur le dos des plus vulnérables. Dans le cas de la ville de Detroit, cela signifie le faire sur le dos des pauvres et des Afro-Américains de la classe laborieuse qui composent la vaste majorité de la population.
Dès que le gestionnaire d’urgence prendra ses fonctions, 49% des habitants afro-américains du Michigan passeront sous «gestion d’urgence». Ils seront, par conséquent, sans représentants élus. Detroit rejoindra Benton Harbor, Pontiac, Flint, Allen Park et les districts scolaires de Detroit, Highland Park et Muskegon Heights qui sont déjà administrés par un gestionnaire d’urgence.
Une fois en place, celui-ci dépouillera les employé·e·s élus de tous leurs pouvoirs, dépossédant complètement les habitants des processus politiques locaux. Les employé·e·s élus désormais sans pouvoir pourraient alors jouer un rôle de soutien ou de conseiller, mais cela uniquement s’ils se plient complètement aux décisions du «gestionnaire d’urgence», lequel dispose de l’autorité en dernière instance.
Le «gestionnaire d’urgence» aura des pouvoirs de contrôle quasi dictatoriaux sur la municipalité, qui est une ville détruite en lien avec la crise de l’automobile. Il pourra, unilatéralement, procéder à des coupes budgétaires, éliminer, vendre ou privatiser des secteurs ou des biens municipaux ainsi qu’invalider ou amender des contrats de travail négociés avec les syndicats et des obligations de retraite.
Les conséquences sur les habitants «ordinaires» de Detroit seront probablement dévastatrices. Toute coupe que décidera le «gestionnaire d’urgence» s’ajoutera aux coupes sévères qui ont déjà été réalisées au cours des dernières années. La moitié de l’éclairage public est éliminée et les services de bus ont été diminués de moitié. C’est là deux domaines qui, selon le State Treasurer [responsable des finances de l’Etat] Andy Dillion, feront probablement l’objet de la plus grande part des coupes supplémentaires.
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La crise à Detroit est tout à fait réelle. Elle doit être résolue. Le «gestionnaire d’urgence» ne va toutefois en rien contribuer à résoudre les plus grands problèmes auxquels fait face Detroit, tels que le manque de services, la pauvreté et le chômage. Le gestionnaire d’urgence, au contraire, va exacerber le problème en réalisant plus de coupes et plus de licenciements.
Dans le domaine des écoles publiques de Detroit, le «gestionnaire d’urgence» Robert Bobb – qui a été nommé par la gouverneure, membre du Parti démocrate, Jennifer Granholm – a échoué à équilibrer le budget tandis qu’il a systématiquement sapé la viabilité du district en réalisant de vastes fermetures d’écoles ainsi que des licenciements. Même des écoles très performantes ont vu leurs portes fermées. Des écoles «sous contrat» ont simultanément été ouvertes, la plupart d’entre elles gérées par des entreprises visant des profits.
A Benton Harbor, le «gestionnaire d’urgence» a vendu un espace vert bien conservé, faisant face au lac Michigan, pour qu’il soit transformé en terrain de golf. La police et les pompiers de Pontiac [ville de quelque 65’000 habitants en 2000, siège du comté d’Oakland] ont été entièrement licenciés et sous-traités au comté ainsi qu’aux villes voisines. L’ensemble du district scolaire de Muskegon Heights a converti ses écoles en écoles «sous contrats». Si ces cas constituent une indication quelconque de la manière dont le «gestionnaire d’urgence» de Detroit va agir, nous devons nous attendre à des coupes sévères similaires, ainsi qu’à la vente de biens publics, très utiles à l’ensemble des habitants.
Le racisme de la nomination du «gestionnaire d’urgence» ne pouvait être plus manifeste. Dans le prolongement d’une longue histoire de «dé-émancipation» des Noirs et des métis. En effet, Detroit est la ville d’Amérique qui compte la plus grande proportion d’habitants noirs d’Amérique. Elle sera sans direction élue et donc dirigée par un dictateur de facto nommé par un gouverneur républicain blanc dans un Etat majoritairement blanc.
Plus encore, la loi établissant le «gestionnaire d’urgence» elle-même a été annulée par la majorité des électeurs lors d’un vote en novembre 2012 pour être rétablie par le législateur à peine un mois plus tard. Une claire gifle à la démocratie.
Non seulement les Afro-Américains de l’Etat sont dépouillés de droits démocratiques, mais aussi les effets des coupes que réalisera le «gestionnaire d’urgence» frapperont en premier lieu les habitants Noirs. Les services qui seront coupés sont ceux-là même sur lesquels les pauvres et les Noirs de la classe laborieuse ont le plus besoin, tels que les transports publics et l’éclairage public.
Les femmes de couleur sont, en particulier, «surreprésentées» dans l’emploi du secteur public. Elles feront donc face de façon disproportionnée aux coupes et aux licenciements. Ces mesures s’ajouteront à celles qui ont déjà été menées ou qui sont planifiées au niveau étatique et fédéral, tels que le plan de supprimer la distribution du samedi de l’U.S. Postal Services, ce qui aura pour effet, entre autres, la suppression de plusieurs milliers d’emplois.
Il est également important de situer Detroit dans le contexte d’austérité qui balaie la nation ainsi que le monde dans des pays comme la Grèce, le Portugal et l’Egypte. L’accord de «séquestration» [1] d’Obama promet de tailler le budget fédéral de plusieurs milliards de dollars et aura pour conséquence la suppression de milliers d’emplois ainsi que la destruction de services vitaux sans que les impôts des plus riches soient augmentés. Cela alors que le 1% connaît ses plus beaux jours avec le Dow Jones atteignant son sommet historique le 5 mars et d’importantes entreprises publiant des profits immenses.
L’annonce d’un gestionnaire d’urgence n’a pas été faite sans résistance. De nombreux «ralentissements» se sont déroulés sur les autoroutes locales. Une manifestation significative a également eu lieu dans le centre-ville aussitôt après l’annonce. D’autres sont prévues. Bien qu’un mouvement d’ampleur contre les coupes n’existe pas encore, le terrain pour des résistances prochaines est préparé. (Traduction A l’Encontre)
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[1] Barack Obama a convoqué, le vendredi 1er mars 2013, les chefs de file du Congrès, sans guère d’espoir d’éviter le déclenchement d’une cure d’austérité qui risque de peser sur la croissance de la première économie mondiale. Ironie de l’histoire, le mécanisme, appelé «séquestre» en termes comptables, a été mis en place par le président américain lui-même. Le séquestre n’a pas toujours existé. Les coupes budgétaires automatiques qui s’enclenchent vendredi ont été conçues en août 2011 par Obama, au terme d’un accord entre la Maison-Blanche et le Congrès. Démocrates et républicains s’écharpaient sur la meilleure manière de réduire le déficit américain: fallait-il réduire les dépenses de (version républicaine) ou augmenter des impôts (version démocrate). La version républicaine implique des attaques dures contre les programmes sociaux qui touchent la base électorale des «démocrates». (Rédaction A l’Encontre, sur base de notes du quotidien Le Monde)
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Article publié le 18 mars par l’ISO, socialistworkers. Joel Reinstein a contribué aussi à cet article.
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